• Aucun résultat trouvé

L’Etat et les trois secteurs de l’économie

Le secteur primaire, essentiellement agricole, est victime de difficultés structurelles et conjoncturelles. Difficulté structurelles tout d’abord. Fribourg a un secteur agricole pléthorique, peu productif, qui vit en autoconsommation et commercialise mal ses excédents. Le résultat en est un endettement alarmant et des difficultés persistantes. Problèmes conjoncturels ensuite. Après la période faste, pour les agriculteurs, de 1914-1918, les prix s’effondrent et des épidémies de fièvre aphteuse s’attaquent au cheptel. La production de lait était de 97 millions de kilos en 1915 ; elle tombe à 70 millions en 1920. Il faut attendre 1924 pour revenir au niveau de 1915, deux tiers de la production étant transformés en fromages.

Le monde agricole réclame, en 1922, de l’aide par le biais de ses nombreux députés qui se plaignent de la chute des prix, des baux onéreux et des difficultés d’exporter, le tout risquant d’amener la désertification des campagnes. L’Etat répond en finançant une action de secours en faveur des éleveurs de bovins, en versant des subsides à l’assurance pour le bétail et en créant l’Institut agricole de Grangeneuve et une Ecole de laiterie (1922). Il crée des commissions de conciliation en matière de baux (1923). Il mécanise, pour servir d’exemple, ses propres domaines. Les paysans créent un Secrétariat agricole et un journal puis restructurent leur association qui devient l’Union des Paysans fribourgeois. Un débat s’engage à nouveau en 1927 au Grand Conseil face aux conséquences d’une nouvelle épidémie de fièvre aphteuse, du manque de fourrage et des difficultés d’écoulement des produits. L’Etat souligne ce qu’il a déjà fait et promet de renforcer l’enseignement agricole et les subventions.

La situation s’améliore un peu pendant cinq ans, puis les effets de la crise mondiale frappent aussi le canton : beaucoup de paysans sont au bord de la faillite. L’Etat pratique une baisse fiscale sur les terres exploitées et une aide directe aux agriculteurs obérés, moyennant un assainissement de leur situation et un contrôle de leur gestion. Des crédits ad hoc sont votés en 1933, en 1934 puis en 1935 et ils concernent 1'279 exploitations. L’Etat crée une Caisse pour l’amortissement de la dette agricole (1935). Les paysans se plaignent en 1938 de l’achat de terres par des capitalistes étrangers.

Un espoir ténu apparaît avec l’idée de colonisation intérieure qui mettrait en valeur les friches, des marais, des terrains inexploités et jusque-là incultes. L’idée est de créer des exploitations familiales et de rendre le pays autarcique. Le Conseil d’Etat soutient cette colonisation interne par un décret en 1937, imitant la politique fédérale en la matière. Le plan Wahlen (1939-1945) sera tout bénéfice pour les paysans fribourgeois : les surfaces cultivées passent de 18'000 à 29'500 hectares. Cela permettra aux paysans fribourgeois et suisses de voir reconnu leur rôle essentiel dans l’économie et la défense du pays (loi fédérale de 1952).

L’industrie et l’artisanat connaissent aussi des difficultés de 1919 à 1923 et de 1930 à 1939. L’Etat réplique au chômage en lançant des grands travaux ferroviaires dans les années 1920 puis de goudronnage accéléré des routes dans les années 1930. Les pouvoirs publics sont confrontés à la fermeture des ateliers CFF en 1923-1924 : la régie fédérale veut les concentrer à Yverdon. Conseil d’Etat et Conseil communal de la capitale luttent pour le maintien de ces installations et de leurs 150 emplois. Ils se rendent en délégation à Berne, le 15 juin 1923, pour discuter avec le conseiller fédéral Haab qui déclare que les CFF ferment aussi les ateliers de Coire et de Rohrschach pour des raisons d’économie. Soutenus par le Conseil d’Etat et l’unanimité de la municipalité, le syndic Pierre Aeby demande le maintien desdits ateliers et, si cela n’est pas possible, des compensations. Celles-ci seraient les suivantes : reconstruction de la gare de Fribourg, électrification rapide de la ligne Berne-Fribourg-Lausanne et arrivée d’une nouvelle industrie dans la capitale. Une nouvelle entrevue a lieu le 11 mars 1924 suite à une intervention du conseiller fédéral Musy. Les CFF acceptent les demandes fribourgeoises et laissent de plus un dépôt occupant 50 personnes dans la capitale ainsi qu’une sous- station électrique (15 emplois). Ils s’engagent à reconstruire le viaduc de Grandfey et à faire venir une fonderie de manière durable. Les autorités se sont bien défendues, comme le reconnaissent la presse conservatrice et les journaux radicaux. Les socialistes affirment que les responsables politiques n’ont rien fait pour retenir les ateliers, créant ainsi la légende noire, vraie mais pas sur ce point, d’un canton anti-industriel qui va perdurer.

Le gouvernement n’est pas hostile à l’industrie au point de laisser partir des entreprises établies. Il a d’autres idées, soutenant des entreprises de taille petite et moyenne, alimentées à l’hydroélectricité. Il a peur des grandes concentrations industrielles. Un article de La Liberté en 1926, à propos de la révision de la loi fiscale, décrit cette conception : des fabriques de 200 à 250 ouvriers, dont plusieurs à Fribourg, une à Morat, Romont, Bulle et Estavayer pour lutter contre le chômage chronique. Fribourg présente l’atout d’une main d’œuvre abondante, bon marché et sûre. Il manque par contre des terrains liés au rail et les tarifs de l’eau, de l’électricité et du gaz sont aussi élevés qu’ailleurs. Les conditions fiscales ne sont pas bonnes, ce que veut corriger la loide 1926 : elle prévoit que le Conseil d’Etat peut exonérer d’impôt, pour une période déterminée, les industries nouvelles de caractère permanent.

La crise des années 1930 est l’occasion d’une nouvelle prise de conscience du manque d’industrie. Certaines initiatives sont lancées. Le Directeur des E.E.F., Paul Joye, qui doit placer son surplus électrique, favorise la création d’entreprises liées à cette énergie. Les milieux radicaux de la capitale fondent un comité « Pro Industria » qui tient 22 réunions (1929-1930) et qui cherche à maintenir les entreprises existantes et à en attirer d’autres. Il assiste le Conseil communal qui prend des contacts avec notamment WATCH Tavannes et une entreprise de Thoune. Il leur met des locaux à disposition. Il s’est montré ouvert, dès 1927, à des concessions fiscales analogues à celles de l’Etat en faveur de l’établissement de nouvelles industries, en y ajoutant une baisse de 50% sur la contribution immobilière pendant trois ans.

Les années de guerre (1939-1945) favorisent une prise de conscience et de premières actions, encore limitées. Le Conseil d’Etat constate que le revenu des impôts par habitant du canton est très bas (28 francs), même en le comparant à des cantons proches de sa situation : Soleure (72 francs), Neuchâtel (80 francs), Thurgovie (39 francs). Valais (38 francs) et Saint-Gall (33 francs). En 1940, le Conseil d’Etat demande un crédit de 400'000 francs pour le soutien à l’artisanat et à l’industrie. Le Conseil d’Etat constate la difficulté pour les nouvelles entreprises à trouver des capitaux dans le canton, la Banque de l’Etat se consacrant à des placements sûrs. Le gouvernement craint le chômage qui suivra la fin de la guerre mondiale. Il est prudent : il ne fait qu’employer la part qu’il a reçu du bénéfice de la Banque Nationale. Il utilise 30'000 francs comme subside à l’Association de cautionnement des Arts et Métiers. Le décret passe sans opposition au Grand Conseil le 10 mai 1940.

Il y a des essais louables d’attirer des entreprises extra cantonales mais l’image du canton est-elle suffisamment attractive ? (voir plus bas)