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La Suisse et l’Europe vivent dans l’angoisse d’une crise économique après 1945 : la crise de 1929 va-t-elle continuer à distiller ses effets néfastes après la mobilisation économique due au conflit mondial ? Le Conseil fédéral, alors que la guerre est en cours, charge Otto Zipfel d’étudier de grands travaux pour occuper les chômeurs. Zipfel (1888-1966) occupe un poste important dans le secteur privé (Saurer SA) mais il œuvre aussi dans l’administration fédérale au sein de l’Office de guerre de l’économie et du travail, puis comme délégué du Conseil fédéral à la création d’emplois. Il a notamment l’idée d’un réseau autoroutier qui intéresse directement le canton de Fribourg.

La conjoncture économique des années 1945-1973 est très différente des prévisions pessimistes faites : on parle des « Trente Glorieuses »années pour cette période de croissance forte. Les problèmes que doit affronter la Suisse sont plutôt la surchauffe économique et le manque de main d’œuvre indigène. Le canton de Fribourg bénéficie lui aussi de cette manne inespérée : il dispose de terrains bon marché, d’une main d’œuvre abondante et, nous le verrons, de la volonté de ne pas rater ce tournant économique. Aura-t-il les infrastructures nécessaires pour cela ?

Quelques chiffres montrent la mutation historique du canton :

Années Secteur primaire (%) Secteur secondaire (%) Secteur tertiaire (%)

1941 43 29 28

1950 35 35 30

1960 27 41 32

1970 18 45 37

Le secteur primaire n’occupe plus la majorité des actifs fribourgeois depuis 1930 (44% des actifs). Même s’il est toujours considéré comme très important, comme « la toile de fond de notre économie », le secteur agricole décline quant à ses emplois au fur et à mesure qu’il se modernise. L’industrie fait une percée remarquable qui est plutôt un rattrapage, Fribourg offrant en 1960 une répartition analogue à celle de la Suisse de 1910.

La population recommence à augmenter à partir de la décennie 1930-1940, stagne ensuite dans les années 1950-1960 pour s’envoler par la suite :

Années Population Confédérés (%) Etrangers (%)

1920 143’055 15 4 1930 143’230 16 3 1941 152’053 18 2 1950 158’695 18 3 1960 159’194 19 4 1970 180’309 20 9

Si le canton connaît un léger baby boom à la fin de la guerre, force est de constater que les Fribourgeois continuent à s’expatrier dans les années 1950-1960. La politique économique nouvelle porte ses fruits dans les années 1960-1970, au point que le canton peut retenir ses enfants pour travailler dans ses frontières et doit faire venir de la main d’œuvre étrangère.

Le canton doit faire un énorme effort de rattrapage s’il veut donner à sa population les infrastructures nécessaires à son bien-être et s’il veut attirer des entreprises de l’extérieur. Un effort impressionnant, et nécessaire, est entrepris. La population a compris les signes des temps dès 1947. Lorsqu’il s’agit de voter sur l’AVS et les « articles économiques » de la constitution fédérale, on peut se demander comment va réagir le peuple fribourgeois très fédéraliste auparavant et donc méfiant à toute centralisation venant de la Berne fédérale. Les électeurs disent un petit oui à l’AVS (17'469 oui contre 14'474 non) plébiscité par 21 et demi cantons sur 22 et à trois et demi citoyens contre un. Ils soutiennent les articles économiques permettant l’intervention fédérale en faveur de secteurs menacés par un score analogue (17'668 oui contre 14'042 non), alors qu’il y a une majorité beaucoup moins nette au plan fédéral : 582'449 oui (13 cantons) contre 520'179 non (9 cantons). Le canton voisin de Vaud combat ce changement de la constitution au nom du fédéralisme. Fribourg a déjà effectué une révolution mentale considérable. Il va mettre en application les lois fédérales, qui l’aident, sans barguigner.

Le canton ne saurait négliger son agriculture. Il accompagne les mutations en votant une loi sur les améliorations foncières (1960), puis un subventionnement de 10 millions de francs à celles-ci. Il vient en aide aux agriculteurs touchés par le gel en 1956 pour 500'000 francs. Il leur offre de nouvelles terres aptes aux cultures en soutenant la deuxième correction des Eaux du Jura en 1960. Cette œuvre intercantonale lui coûte 5'720'000 francs, sur un total de 42 millions dont 50% à charge de la Confédération. Le canton poursuit son effort en matière d’enseignement agricole en faveur d’une branche de l’économie qui a montré son importance vitale en 1939-1945 et qui reste une des bases électorales des conservateurs.

Les routes nécessitent une modernisation accélérée, consacrée dans la loi sur les routes de 1967. Elles bénéficient de sept crédits pour 65 millions de francs en vingt ans (1946-1966). Ces crédits passent comme une lettre à la poste au Grand Conseil, les députés s’efforçant d’obtenir plus de travaux routiers dans leur région. A noter que jusqu’en 1951, ces crédits ont pour justification la lutte contre un chômage éventuel. La loi fédérale sur les routes nationales est appliquée par le canton dès 1961 : Fribourg crée une Bureau des Autoroutes pour réaliser concrètement les projets fédéraux et une Commission foncière pour les expropriations. La RN 12 de l’époque n’aurait dû compter que trois

pistes de Fribourg à Vevey. Or, en 1965, on atteint déjà les pronostics de trafic pour …1980. Les fonctionnaires fribourgeois, soutenu par le Directeur des Travaux Publics Claude Genoud, n’hésitent pas : ils exproprient et ils construisent les ouvrages d’art pour quatre pistes ! Les autorités fribourgeoises sauront agir à Berne pour calmer l’ire des services fédéraux concernés.

L’énergie est l’une des conditions préalables au développement économique. Les barrages fournissant l’hydroélectricité sont emblématiques de la volonté cantonale de couvrir une part des besoins en énergie au niveau local. Le barrage de Rossens est décidé en pleine guerre (1943) et achevé en 1948. Le barrage de Schiffenen est soutenu par le Grand Conseil en 1959 qui permet aux EEF d’entreprendre des opérations financières pour 70 millions et d’accroître leur capital de 20 à 40 millions. L’installation électrique est exploitée dès 1964.

Le tourisme peut aussi être une aubaine pour les régions préalpines et leurs beaux paysages ainsi que pour les villes historiques (Gruyères, Fribourg, Morat notamment). Le parlement vote, en 1964, une loi sur le développement du tourisme et la perception de taxes. L’Etat confie un mandat à l’Union fribourgeoise du Tourisme qui reçoit 50'000 francs par an et la possibilité de percevoir des taxes de séjour.

La formation est une des conditions nécessaires au décollage industriel du canton. Les conseillers d’Etat Quartenoud et Torche, certains députés et entrepreneurs locaux le relèvent. Le canton dispose d’un bon réseau d’écoles primaires mais il veut l’améliorer en votant deux crédits en faveur de constructions scolaires de 3 millions en 1957 et en 1964. L’école secondaire est moins développée : 30% des garçons et 21% des filles la fréquentent en 1964. Une motion du député radical Paul Genoud en faveur d’un cycle secondaire pour tous rencontre un accueil favorable au gouvernement (1964) qui affirme que cette affaire est en cours. Un crédit de 9 millions en faveur de la construction d’écoles secondaires est d’ailleurs demandé en 1965 et obtenu au parlement. Tenant compte des demandes des organisations économiques et syndicales, le Grand Conseil accepte, en 1962, un crédit de 5,3 millions pour construire une école professionnelle, indispensable au système dual d’apprentissage en Suisse. Enfin, l’université, de plus en plus à l’étroit, n’est pas oubliée : cinq millions lui sont octroyés en 1965. Le canton favorise l’accès généralisé par la loi sur les bourses d’études de 1966. Une Commission des études de douze membres est créée en 1954. Elle a pour but de préaviser, dans son domaine d’activité, les lois, règlements et manuels scolaires. Elle compte une section à Fribourg (huit membres) et une section à Morat (quatre membres) représentant les écoles officielles et libres de la minorité confessionnelle réformée.

Le canton doit aussi mettre en place des conditions sociales favorables, liées aux lois fédérales qui les ont créées. Le parlement vote, le 2 décembre 1947, la loi d’application sur l’AVS fédérale, créant une Caisse de compensation du canton, complété trois jours plus tard par la création d’un Office cantonal des assurances sociales. En 1962, le Grand Conseil vote le règlement d’organisation et de procédure de la Commission cantonale d’Assurance Invalidité. Le Conseil d’Etat patronne aussi de nombreux contrats collectifs afin d’apaiser les relations sociales. La grève des menuisiers, (mai-juin 1952) qui veulent une modeste augmentation est un conflit social qui fait exception. Il est réglé, grâce à l’intervention de l’Office cantonal de conciliation et du conseiller d’Etat Quartenoud, en faveur des menuisiers.

Les autorités craignent que le développement économique soit entravé par la spéculation immobilière. Elles dénoncent, en 1955, des opérations fictives par le truchement de sociétés écran.

Un crédit de 10 millions est voté la même année en faveur de logements H.L.M. et d’œuvres sociales. Suivant la politique fédérale en la matière, le canton accepte le principe d’une aide aux sociétés constructrices d’H.L.M. Elle sera augmentée en 1964 et 1965, passant de 55'000 à 140'000 puis à 200'000 francs par an.

La santé fait aussi partie des préoccupations des autorités. Elles se réjouissent de constater que, grâce aux antibiotiques, la tuberculose recule massivement mais la vigilance et la détection restent de mise. L’alcoolisme est un souci constant depuis deux siècles. L’Etat se dote d’une loi, en 1965, contre ce fléau social. On crée une commission cantonale ad hoc et un service médico-social de lutte contre l’alcoolisme. La réalisation d’un hôpital cantonal est une nécessité. L’Etat dispose d’une institution mais qui est vieille et sans possibilité d’extension, alors que la capitale dispose de l’Hôpital des Bourgeois qui souffre des mêmes maux. L’affaire commence bien : l’Etat et la ville de Fribourg décident de construire un nouvel hôpital à Villars-sur-Glâne sur des terrains de la Bourgeoisie. Un crédit d’étude de 80'000 francs est voté en 1954. L’affaire dérape ensuite avec l’augmentation constante du coût de construction : les besoins en lits sont en augmentation et les progrès des techniques médicales sont vertigineux et coûteux ! Un montant de 29 millions est voté en 1961. On en est à 49 millions en 1965 ! Et la valse des millions se poursuit !

Les soucis de l’environnement et le respect du patrimoine deviennent un enjeu pour le public et les autorités. Un Office cantonal de l’épuration des eaux est créé en 1949. La loi fédérale sur la protection des eaux amène la naissance d’une loi d’application cantonale et la naissance d’une Commission cantonale de la protection des eaux (1959). La loi cantonale est complétée en 1964. L’aménagement du territoire est capital si l’on veut éviter un développement anarchique. La loi cantonale de 1962 met en place des plans directeurs cantonaux, des plans d’aménagement et des plans de zone. Les communes ont leurs compétences dans ces décisions. Des associations privées interviennent, notamment la Heimatschutz. Si elles ne font aucune objection à la classification du Mont Vully en zone à protéger, il n’en est pas de même lorsque l’Etat veut toucher au centre historique de la capitale. L’Etat, par sa caisse de pension, a racheté les immeubles de la rue des Bouchers en 1955. Le conseil communal de la capitale a ratifié les plans d’alignement. L’idée est de démolir les vénérables bâtiments pour en faire une nouvelle chancellerie et pour centraliser les services de l’Etat. Ce modernisme architectural suscite l’intervention de la Heimatschutz et même du Conseil fédéral en 1962. Le conseiller d’Etat Ayer doit reconnaître, le 22 mai 1963, que les projets successifs ont créé des oppositions à Fribourg, en Suisse et en Europe. Les subventions fédérales (jusqu’à 60%) ne sont plus assurées. Il adopte, devant le Grand Conseil, une ligne de repli : le gouvernement ne veut pas braver le Conseil fédéral et l’opinion publique. Il construira un bâtiment administratif dans un endroit moins sensible, proche de la voie ferrée Berne-Fribourg. C’est un triomphe pour les défenseurs du patrimoine, notamment les 250 personnes qui fonderont l’association Pro Fribourg en 1964.