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Des oppositions prêtes à s’unir tactiquement

Le parti radical est la plus forte composante des oppositions au conservatisme. Il représente entre 20 et 25% de l’électorat au Conseil national et entre 23 et 29% de celui du Grand Conseil. Il est présidé successivement par Pierre Glasson (1948-1952) puis par Edmond Blanc et Georges Gremaud. Divisé lors des élections de 1946, il se ressoude rapidement en présentant une liste commune au Conseil national en 1947. L’approche de la célébration du centenaire du parti (1848-1948) facilite les choses. Un congrès réunissant les radicaux traditionnels et les radicaux indépendants a lieu à Romont le 11 avril 1948. Il consacre l’unité en élisant Pierre Glasson président et le syndic de Morat Willenegger vice-président. Cette unité refaite permet de célébrer les 100 ans du parti à Bulle : un cortège fait défiler 2'500 personnes. Le conseiller fédéral Max Petitpierre s’exprime ensuite devant 1'500 convives.

Le parti radical lutte pour une extension des droits démocratiques. Il a fait passer le principe du referendum financier en matière cantonale. Mais, alors que le texte déposé demande le vote populaire pour une dépense extraordinaire de plus de 500'000 francs, le Conseil d’Etat et le Grand Conseil « interprètent » la volonté des 6'478 signataires : ils proposent au peuple le montant de 1'000'000 de francs de dépenses pour un referendum obligatoire ! L’affaire va jusqu’au Tribunal fédéral qui décide que les deux montants seront soumis au peuple. Le vote a lieu le 14 mars 1948 : c’est un triomphe pour les radicaux et leurs alliés minoritaires et une gifle pour les conservateurs. Le projet du Grand Conseil (1'000'000 de francs) échoue (8'575 oui contre 14'000 non) alors que celui des initiants (500'000 francs) est accepté par 12'540 oui contre 10'131 non.

En 1953, le parti radical dépose une initiative qui recueille 9'176 signatures. Elle demande, entre autres, l’élection des Conseillers d’Etats par le peuple, la diminution du quorum au Grand Conseil de 15 à 10%, l’incompatibilité des fonctions de juge et de député, la réduction du nombre des Conseillers d’Etat de sept à cinq et la couverture de toute dépense budgétaire nouvelle. Une procédure houleuse s’engage : les conservateurs coulent le projet au Grand Conseil en argumentant

sur un manque d’unité de matière (1954). Les députés radicaux déposent aussitôt des motions reprenant les mêmes idées mais elles sont écartées (1956). Les seules « réformettes » qui passent la rampe sont la fixation du nombre de députés à 130 et la limitation à deux du nombre de conseillers d’Etat pouvant siéger aux Chambres fédérales (1960). Les grandes modifications constitutionnelles viendront plus tard (1969-1972).

Dans son programme de 1961, le parti radical s’engage pour l’extension de l’école secondaire, y compris pour les filles, et sa gratuité. Il veut des déductions fiscales pour les familles et de meilleures allocations familiales. Il soutient la construction accélérée de H.L.M. Ces propositions coûtant cher, il veut diminuer les dépenses administratives et abolir les « budgets et comptes électoraux. » Un contrôle populaire accru doit être exercé par le referendum financier obligatoire. De nouvelles recettes doivent être trouvées par une dynamisation de l’économie : aide aux améliorations foncières et aux remaniements parcellaires, soutien aux entreprises existantes et politique d’industrialisation prévoyante face à la spéculation foncière, fiscalité adaptée aux moyens de l’artisanat, de l’industrie et du commerce.

Le parti radical doit définir ses relations avec le parti majoritaire avec lequel il collabore au Conseil d’Etat en y détenant deux sièges (1946-1952 et 1966-1971) ou un seul (1952-1965). Cette collaboration est mal récompensée, notamment dans le domaine de la justice, le troisième pouvoir. Les radicaux constatent, en 1949, que le parti majoritaire obtient 57% des suffrages au Conseil national mais qu’il ne veut pas partager son pouvoir : il détient six des sept sièges au Tribunal cantonal, 56 des 63 postes de juges de district (dont les sept présidences). Les juges de paix sont la cerise sur le gâteau judiciaire conservateur avec un score de 28 sur 29 ! Les promesses d’ouverture aux minorités sont rarement tenues, le gouvernement allant jusqu’à maintenir au Tribunal de la Sarine un juge condamné pour escroquerie, le Conseil d’Etat ayant promis un poste au parti radical à la prochaine vacance ! Les radicaux subissent aussi cet ostracisme partiel lorsqu’ils présentent un candidat à la Préfecture de la Gruyère en 1963. Réponse gouvernementale : nomination du conservateur Robert Menoud. Le parti radical refait un bilan de cette collaboration en 1964. Les radicaux ont conquis, de haute lutte, un second siège au Tribunal cantonal mais le parti majoritaire détient toujours 23 des 26 postes de juge de paix et tous ceux de chef de service et de chef de bureau dans l’administration cantonale.

Le parti radical ne va donc pas hésiter à participer à la préparation de la chute de l’hégémonie conservatrice. Cela va commencer par des listes communes avec un ou deux des autres minoritaires (socialistes et agrariens) au Grand Conseil. Trois listes apparentées, groupant les trois partis minoritaires, sont déposées lors des élections au Conseil national en 1963, raflant trois des six sièges. Lors de l’élection partielle et des élections générales au Conseil d’Etat de 1966, les radicaux et les socialistes vont se soutenir, alors que les agrariens feront liste commune avec les conservateurs en novembre de cette année-là.

Le parti socialiste va osciller, dans les années 1946 à 1966, entre le troisième et quatrième rang des partis fribourgeois et entre le rôle de deuxième ou troisième minorité d’opposition. Si les socialistes ont des scores assez stables au Conseil national en obtenant entre 11 et 13% des suffrages qui lui assurent un siège, il n’en est pas de même au Grand Conseil où son nombre de députés passe de 13 en 1946 et à 6 en 1951. Il remonte ensuite à 12 en 1961 pour culminer à 21 en 1966 ! Si le mauvais résultat de 1951 s’explique en partie par un virage à droite dans le canton et par la non réalisation

d’une entente électorale en Sarine-Campagne avec les radicaux, il est plus difficile de cerner les causes de la stagnation qui va de 1951 à 1961. Le quorum de 15% est un obstacle majeur que le PSF n’aura de cesse de dénoncer ; radicaux et conservateurs sauront faire liste commune au Grand Conseil dans des cercles où ils sont trop proches de cette barre des 15% ! Une autre explication est le manque de relève des cadres. Après les temps héroïques et l’opposition constante au conservatisme, les leaders se renouvellent peu et continuent dans leur voie traditionnelle. Le secrétaire politique du PSF osera écrire en 1967 : « Parti minoritaire…essoufflé quant aux hommes et aux idées, notre parti

n’avait pas, en tant qu’organisation, d’attrait particulier ». Le PSF est présent aux élections au Conseil

d’Etat dès 1951 mais avec un succès très limité jusqu’en 1966.

Les présidents du PSF sont : le député Charles Meuwly de 1931 à 1951, Louis Gillard de 1951 à 1953 et le conseiller national Charles Strebel de 1953 à 1968, tous issus de la section de la capitale. Cette section compte tous les conseillers nationaux et la majeure partie des députés de la période 1946-1966. Elle détient la fonction de « section directrice » jusqu’à ce que le parti cantonal la supprime. Le parti fait un travail de fond en ouvrant des sections dans de nouvelles communes et en tentant d’être encore plus présent au sein de l’Union syndicale fribourgeoise (USF) :

Années Sections du PSF Membres du PSF Membres de l’USF

1947 15 272 5’987 1953 12 445 5’050 1957 11 356 5’063 1966 19 ? 5’973 1968 24 659 6’045* *chiffre de 1967

Le tournant des années 1960 est bien visible. Une nouvelle génération de leaders apparaît. Le PSS envoie à Fribourg Jean Riesen, secrétaire central et syndicaliste expérimenté. Ce Neuchâtelois dynamise le parti cantonal et fait une belle carrière de député, de conseiller d’Etat et de conseiller national fribourgeois. Il est appuyé par l’adhésion d’intellectuels : Denis Clerc, futur conseiller d’Etat, Gérald Ayer, futur député, François Nordmann, futur ambassadeur. Le mélange prend bien entre les syndicalistes (Riesen et Morel, futur parlementaire fédéral et conseiller d’Etat) et les intellectuels. Ce sera la raison des succès de 1971 et 1981.

Le PSF agit longtemps dans l’ombre du parti radical, opposition la plus ancienne aux conservateurs. Il s’en affranchit petit à petit, collaborant à l’occasion, en faisant des listes communes aux élections cantonales ou nationales ou en soutenant l’élection de Claude Genoud en mars 1966. Sa place sur l’échiquier politique fribourgeois n’est pas facile : il est constamment accusé d’être infiltré par des éléments communistes ou d’avoir une idéologie marxiste. Il suffit qu’un membre du PSF ait visité la Chine de Mao pour qu’on le taxe de communiste. La Gruyère écrit lors des élections fédérales de 1947 : « Voterons-nous pour Moscou ? Les socialistes fribourgeois sont particulièrement proches des

communistes. » En 1966 encore, on peut lire dans La Liberté : « Le socialisme est bureaucratique, lourd. Dans les Etats socialistes, les impôts sont très élevés. L’Etat est le tueur (sic) des citoyens ».

Ce discours passe de plus en plus mal : le PSS a un siège au Conseil fédéral dès 1943, et après une éclipse de cinq ans, deux sièges dès 1959, au sein d’une « formule magique » lancée notamment par les conservateurs ! Le PSF s’oppose à l’implantation d’une section du Parti du Travail à Fribourg. Il refuse de s’apparenter à une liste lancée en 1951 par le très à gauche Laurent Ruffieux.

Le programme du PSF est proche de celui du PSS, avec des spécificités cantonales en plus. En 1963, il veut un soutien accru pour la jeunesse (bourses d’études, école secondaire généralisée). Il veut des hôpitaux agrandis. Le renchérissement doit être bloqué, la sécurité routière assurée. Le PSF soutient le suffrage féminin.

Le PSF fait connaître ses idées par son journal Travail dont les rédacteurs successifs sont Robert Burgel (1946-1948), René Mauroux (1949-1951), Giacomo Bernasconi (19552), Charles Meuwly (1953-1956), Pierre Currat (1956-1958), René Mauroux (1959-1965) et, représentant de la nouvelle génération François Nordmann (1966-1967).

Le parti agrarien voit sa force évoluer de manière oscillante : entre 5 et 15% au Conseil national et entre 3 et 12% au Grand Conseil. Il est présent au Conseil national, avec un siège, de 1951 à 1963. Sa force au Grand Conseil va de trois à 15 sièges. Le parti agrarien, Paysans, Artisans et Indépendants de 1951 à 1971, connaît une période faste en 1955 (élections nationales) et en 1956 (élections cantonales). Cela est sans doute dû à la réélection de son conseiller d’Etat Ducotterd, l’élu surprise de 1952 (partielle au Conseil d’Etat) qui réussit à dynamiser momentanément le parti qui sait exploiter une partie du mécontentement de l’électorat. Les agrariens sont longtemps dirigés par Robert Colliard. Le flambeau passe ensuite à Joseph Cottet, futur conseiller d’Etat qui trouvera un moyen d’expression dans le Courrier fribourgeois.