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Antimaçonnisme, antilibéralisme et xénophobie

La franc-maçonnerie est l’enjeu d’un débat idéologique entre les radicaux qui la soutiennent au nom de la liberté d’association et les conservateurs qui suivent l’Eglise catholique dans sa condamnation des activités maçonniques. La Liberté attaque violemment la franc-maçonnerie et ne se demande pas

pourquoi le fascisme, le communisme puis le nazisme l’interdisent. Ce n’est qu’en 1934 que le journal conservateur constate que les nationalistes, les frontistes et les fascistes suisses s’en prennent aux francs-maçons. Le commentaire du journaliste est toujours très négatif : la franc-maçonnerie change de tactique en se présentant comme le plus innocent des agneaux et comme une activité désintéressée et philanthropique. Le résultat de ces attaques contre « les frères trois points » est l’acceptation de l’initiative Fonjallaz par le canton, seul en Suisse, alors que les loges fribourgeoises accueillent…sept membres !

Les conservateurs, en particulier les jeunes, sont parcourus par un courant antilibéral, surtout depuis la crise de 1929 qui remet en question les conceptions économiques et politiques de beaucoup de gens. Dans « Neue Ordnung » du 3 janvier 1934, les Jeunes Conservateurs (JC) dressent un triste état de la Suisse : disputes des partis, égoïsme des associations économiques, faiblesse de l’autorité de l’Etat, économie publique à crédit et règne de cliques (Genève). Ils préconisent une forte concentration du pouvoir, différente d’une dictature, et ils veulent un parti conservateur dirigé par des fortes personnalités, afin de faire face aux grandes tâches qui s’annoncent. On ne s’étonnera donc pas du soutien des JC à la révision totale de la constitution fédérale qui a l’appui des Fronts. Pierre Barras, dans la page des Jeunes Conservateurs du 1er octobre 1937, n’hésite pas à écrire que :

« la source de toutes les faiblesses des Etats modernes réside dans un triple libéralisme politique, économique et social ». L’auteur prédit les pires malheurs aux nations faibles. Le libéralisme politique

amène la crise de l’autorité et rend le peuple ingouvernable, le libéralisme économique a engendré la crise mondiale de 1929 et le libéralisme social a créé des minorités de riches et des masses de pauvres. Tous les JC ne sont pas de cet avis (voir plus bas).

La méfiance vis-à-vis des étrangers est aussi présente. Les Jeunes Conservateurs, dans leur page du 20 janvier 1939, annoncent la couleur : « La Suisse aux Suisses ». L’auteur constate que la Suisse a la proportion d’étrangers la plus élevée en Europe. On parle de grignotage par les étrangers qui ont pris des emplois aux Suisses. On affirme que les Suisses devront défendre les frontières, alors que les étrangers monopolisent les emplois grassement rémunérés et les grandes entreprises. La solution semble simple : il faut restreindre l’immigration et prévoir un impôt spécial sur les étrangers travaillant en Suisse. Les Jeunes Conservateurs récidivent en 1942 en se félicitant de la décision de l’assemblée bourgeoisiale d’Estavayer de refuser de naturaliser des étrangers jusqu’à la fin de la guerre. Le commentaire est sans appel : « Bravo ! Prière d’imiter ! » Conclusion, dans la page des JC du 6 novembre 1942 : la naturalisation peut accorder le droit de vote, mais pas d’éligibilité, ni l’accès aux magistratures ou aux postes de fonctionnaires !

L’antifascisme

Les radicaux dénoncent rapidement les nazis au pouvoir : l’Indépendant traite Goebbels, en mars 1933, de demi-fou. Il dénonce, le 11 octobre 1933, un groupe d’hitlériens à Fribourg qui vendent aux écoliers des boutonnières et des bagues avec des croix gammées. Il demande l’interdiction de ce commerce. Un mois plus tard, il signale le cas de deux étudiants de Fribourg, pronazis et fils d’employés conservateurs de l’Etat. La Liberté met plus de temps à saisir le danger. Elle fait, le 2 juillet 1934, un compte-rendu de la « Nuit des Longs Couteaux » lors de laquelle Hitler fait liquider les chefs de la SA. Elle souhaite au Führer de mener le nettoyage à bonne fin et ajoute : « il faut qu’il se

débarrasse des Rosenberg et consorts qui pervertissent les esprits par la propagande du paganisme et qui mènent la guerre contre la religion ».

Dès 1936, l’Indépendant dénonce des professeurs nazis à l’Université, tel Hubert Erhard, rappelé à l’ordre par le Conseil fédéral. Il dénonce la carence de l’autorité et notamment celle du conseiller d’Etat Piller, malgré une interpellation au Grand Conseil. Piller est dénoncé comme entretenant à grand frais des « nazistes » au sein de la haute école. Le journal radical agit de même en novembre 1938 en signalant une fête nazie à Fribourg, y signalant la présence des professeurs de l’Université Newald et Reiners.

Une réaction contre les menées nazies se fait jour chez les conservateurs en 1938, suite à l’annexion de l’Autriche par Hitler. Cela commence au printemps 1938 par la participation à une landsgemeinde, tenue à Neuchâtel, pour la Suisse romande. Les cantons de Berne,

Fribourg, Genève, Neuchâtel,

Soleure et Vaud tiennent, à l’exemple du reste de la Suisse, un rassemblement des sociétés patriotiques (tir, chant, musique, sport) pour créer une peuple uni, libre et fier. Les associations fribourgeoises jouent bien leur rôle et, sous la direction des préfets, les officiers, les sous-officiers, les artilleurs, les musiciens, les chanteurs, les fonctionnaires et les membres de l’ACS et du TCS appellent leurs collègues à se rendre à cette assemblée patriotique. La manifestation est un succès : douze trains spéciaux, 1'000 voitures, plus de 20'000 participants ! Fribourg est présent avec 1'200 délégués et 150 drapeaux. Trois des sept membres du gouvernement sont présents et Bernard Weck prononce un discours remarqué.

Le comportement d’un étudiant allemand, Karl Meran, donne naissance, en 1938, à l’affaire Meran. Né en 1907, il étudie à l’Université de Fribourg de 1927 à 1932, année où il obtient un doctorat. La police fribourgeoise enquête : c’est un hitlérien déclaré qui surveille, pour le parti nazi, les étudiants allemands et autrichiens à Fribourg. Il est, dès 1933, chef des étudiants allemands à Fribourg. Il a dénoncé alors certains de ses condisciples à la Gestapo ! Il quitte la Suisse en 1933 et suit une formation au sein du parti nazi en Allemagne.

Meran revient en Suisse en 1938. Il est arrêté par la police cantonale qui transmet des informations à Berne. Meran est venu en Suisse pour participer à la création d’un Centre international de documentation sur les organisations politiques dirigé par l’anticommuniste de Vries. Meran en serait le secrétaire général. Le budget de cette organisation serait de 50'000 francs par année, dont un tiers à trouver à l’étranger. Le siège du centre serait à Fribourg. Meran a des liens avec Fred de Diesbach et il a rencontré Musy, notamment lors d’un contact avec le Suédois Nils de Bahr, président de l’Alliance anticommuniste mondiale. Les statuts de ce centre ont été rédigés et envoyés à Diesbach, Musy, Lodygenski, Oltramare, de Vries, Le Fort et au consulat allemand à Genève. En bref la police découvre derrière Meran tout un réseau d’extrême-droite lié au IIIème Reich.

Cette fois-ci, les choses vont plus loin. Le député et conseiller national Pierre Aeby dépose une interpellation au Grand Conseil concernant l’activité des étudiants étrangers. Aeby est de plus professeur de droit à l’université. Il se félicite, le 30 novembre 1938, que le peuple suisse ait chassé les suppôts du communisme de son sol, mais il ne s’agit pas de laisser agir un autre totalitarisme. Il s’en prend nommément aux activités de Meran et de ses complices. Il rappelle l’annexion toute fraîche de l’Autriche et les manœuvres des agents allemands en Suisse. L’Université de Fribourg doit rester une citadelle de la liberté face au néo-paganisme et à la révolution. Il demande au Conseil d’Etat s’il est décidé à fermer les portes du canton aux agitateurs des totalitarismes. Aeby est applaudi par ses collègues députés. Piller étant absent, c’est le Directeur de la Police, Jules Bovet, qui répond dans le sens souhaité par Aeby : le gouvernement ne tolérera pas que des étudiants

étrangers sèment le désordre et la subversion. Le Conseil d’Etat rappelle qu’il a demandé et obtenu du Grand Conseil un crédit pour développer son service de police. On s’étonne moins, au vu de cette affaire, de la non réélection de Musy au Conseil national en 1939.

On apprend de plus (Indépendant du 14 octobre 1938) que Meran n’a pas été arrêté seul : un extrémiste croate du nom de Kruno Pandzitch a subi le même sort et a été expulsé de Suisse. L’organe radical signale de plus que Meran avait ses amis à Fribourg (Diesbach) et des gens qui le pilotaient (Musy). Il demande d’autres expulsions de personnes louches. Cela suscite une réaction de la police cantonale qui rappelle que si c’est le ministère public fédéral qui expulse les personnes dangereuses, ce sont les polices cantonales des étrangers qui préparent les dossiers.

Conservateurs et radicaux finissent par se rejoindre quant aux menaces rouges et brunes. Les JC mettent sur le même plan, en mai 1939, la peste rouge et le choléra brun. La Liberté explique, en juin 1939, que l’hitlérisme et le bolchévisme sont des frères jumeaux, bien moins hostiles l’un à l’autre qu’ils ne le disent. Le pacte Ribbentrop-Molotov, deux mois après, donne raison à ce journal.

L’Indépendant le rejoint sur ce point en janvier 1940 en ridiculisant l’idée que l’Allemagne est le

rempart de l’Europe contre le communisme avec lequel elle pactise. Pour ce journal, nazisme et communisme procèdent des mêmes conceptions de l’Etat et de la société, usant de moyens de domination semblables. Il se félicite de l’arrestation du fasciste Fonjallaz et de sa bande, en qui il voit des éclopés de la politique et des ratés. Il cite même, le 17 février 1940, le nom de Bullois mis en examen dans cette affaire : le major Léonhart et un nommé Eisenegger qui sont du menu fretin. Il y a de plus gros poissons à Fribourg en matière d’admirateurs d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de Salazar.