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Vers une consécration du principe de non-révision

Dans le document La rémunération des dirigeants sociaux. (Page 112-115)

LES SANCTIONS DE LA RÉMUNÉRATION EXCESSIVE

SECTION -1- ANNULATION DE LA RÉMUNÉRATION

2. Vers une consécration du principe de non-révision

126. Dans certains cas précis, le législateur a permis la prise en compte de la

survenance, en cours d’exécution d’un contrat, d’un déséquilibre issu d’un bouleversement des circonstances. Il en va ainsi, par exemple, de l’article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle relatif à la cession des droits d’exploitation sur une œuvre de l’esprit492, ou encore de l’article 900-2 du Code civil permettant la révision des donations et charges apposées à certaines libéralités493. Le nombre de ces cas reste néanmoins limité. Les parties peuvent aussi insérer dans le contrat des clauses de renégociation494. Également, le juge, même s’il ne peut pas réviser un contrat déséquilibré, dispose du pouvoir d’imposer aux parties une obligation de renégociation en cas de modification imprévue des circonstances

490 CE, 30 mars 1916, Gaz de Bordeaux, D. 1916, III, p. 25, note M. HAURIOU ; M. LONG, P. WEIL et G. BRAIBANT, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Paris : Dalloz 19e éd., 2013, p. 183.

491 Divers fondements susceptibles d’être exploités par le juge pour contourner la carence législative en ce domaine ont été proposés : disparition de la cause lors de l’exécution du contrat, invocation de l’obligation de bonne foi prévue à l’article 1134, alinéa 3, du Code civil recours à un principe général d’équilibre contractuel et de proportionnalité. Sur ce point, v. A.-S. CHONÉ, note sous Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67369, LPA 24 décembre 2010, n° 256, p. 7, n° 8.

492 « En cas de cession du droit d’exploitation, lorsque l’auteur aura subi un préjudice de plus de sept douzièmes

dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l’œuvre, il pourra provoquer la révision des conditions de prix du contrat ».

493 « Tout gratifié peut demander que soient révisées en justice les conditions et charges grevant les donations

ou legs qu’il a reçus, lorsque, par suite d’un changement de circonstances, l’exécution en est devenue pour lui soit extrêmement difficile, soit sérieusement dommageable ».

494 La clause dite de hardship permet aux parties d’un contrat d’exiger qu’une nouvelle négociation s’ouvre lorsque la survenance d’un évènement de nature économique ou technologique, bouleverse gravement l’équilibre des prestations prévues au contrat ; É. SAVAUX, « L’introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision », RDC 2010, n° 3, p. 1057 ; V. également, L. CHEDLY, « La clause de hardship : un difficile équilibre entre le juste et l’utile », RDAI, janvier 2010, n° 1, p. 87.

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économiques495. Mais en cas d’échec des négociations, le juge n’est pas autorisé à intervenir pour rééquilibrer le contrat.

En 2010, la Cour de cassation a cassé un arrêt ayant ordonné l’exécution d’un contrat sans avoir recherché si l’évolution des circonstances économiques n’avait pas eu pour effet de déséquilibrer l’économie générale du contrat496. Cependant, cet arrêt n’est pas considéré comme un arrêt de principe, la cassation étant intervenue pour manque de base légale au regard de l’absence de cause de l’obligation. En effet, si la Cour de cassation, dans cet arrêt non publié, a reproché aux juges du fond de ne pas avoir pris en considération l’évolution des circonstances, c’est parce que cette évolution était susceptible de priver « de toute

contrepartie réelle l’engagement souscrit ». Dans un arrêt plus récent, la Cour de cassation

a décidé que « l’ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur au

motif qu’il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu’il justifie, par ailleurs, de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements »497. Cette solution a été considérée par certains auteurs comme une consécration en droit français de la possibilité de révision des contrats498.

127. Ces décisions soulignent la tendance de la jurisprudence à ouvrir la voie à la

possibilité de demander la révision des contrats en cas de changement des circonstances ayant pour effet de bouleverser l’équilibre contractuel, notamment sous l’influence des projets internationaux d’harmonisation du droit des contrats499 et ceux de modernisation du droit français des contrats500. Dans ces derniers, une véritable procédure de renégociation est envisagée en cas de bouleversement imprévu des circonstances. Le projet de réforme du droit des obligations consacre finalement la théorie de l’imprévision et dispose que « si un

changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque,

495 Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18547, RTD civ. 1993, p. 124, obs. J. MESTRE ; Cass. com., 24 novembre 1998, n° 96-18357, RTD civ. 1999, p. 98, obs. J. MESTRE ; Cass. 1re civ., 16 mars 2004, n° 01-15804, RTD civ 2004, p. 290, note J. MESTRE ; D. 2004, p. 1754, note D. MAZEAUD.

496 Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369, LPA 24 décembre 2010, n° 256, p. 7, note A.-S. CHONÉ ; RTD civ. 2011, p. 87, note P. DEUMIER ; D. 2010, p. 2481, note D. MAZEAUD ; RTD civ. 2010, p. 782, note B. FAGES.

497 Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13988, RTD civ. 2011, p. 351, note B. FAGES ; D. 2011, p. 919, obs. A. LIENHARD ; Rev. sociétés 2011, p. 404, étude. B. GRELON ; Bull. Joly. Sociétés 2011, § 152, p. 281, note F.-X. LUCAS.

498 F.-X. LUCAS, note sous Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13988, Bull. Joly. Sociétés 2011, § 152, p. 281.

499 V. Les principes de droit européen des contrats, art. 6-111 ; Les principes Unidroit, art. 6-2-3.

500 V. L’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription (avant-projet Catala), art. 1135-1 et 1135-2.

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ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation »501. Le même article donne aux parties, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, la possibilité de demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

128. Quand bien même la théorie de l’imprévision serait-elle consacrée par la loi à

l’avenir, des doutes subsisteraient quant à son efficacité en matière de rémunération excessive des dirigeants. En effet, la révision pour imprévision concerne essentiellement les contrats à exécution successive dans la mesure où un certain laps de temps est exigé entre la formation et l’exécution du contrat502. Or, certaines rémunérations ne sont négociées que quelques jours avant leur versement, il ne peut donc être constaté une durée suffisante pendant laquelle l’équilibre de la convention serait bouleversé en raison de changement des circonstances. Tel est le cas, par exemple, des parachutes dorés négociés juste avant le départ du dirigeant. Il en est de même pour la prime de bienvenue (golden hello) que la société accorde au dirigeant au moment de la prise de ses fonctions. En revanche, la théorie d’imprévision pourrait éventuellement trouver application en matière de détermination de conditions de performance auxquelles certains éléments de rémunération sont soumis503.

129. Enfin, il convient de souligner que la révision pour imprévision se distingue de la

lésion. Suivant une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les juges du fond disposent du pouvoir de réduire les honoraires des mandataires et des prestataires de services lorsqu’ils sont lésionnaires. En effet, le mandat est un contrat à titre gratuit par sa nature, mais dans le cas d’une convention contraire, il appartient aux tribunaux de « réduire le salaire

convenu lorsqu’il est hors de proportion avec le service rendu »504. Outre le fait que les dirigeants de sociétés ne sauraient être concernés par cette extension jurisprudentielle des cas légaux de lésion dans la mesure où ils n’ont pas la qualité de mandataire au sens du Code civil505, il ne s’agit pas dans ce cas d’un changement de circonstances entraînant un

501 Projet d’ordonnance, op. cit., art. 1196.

502 B. GARECHE, La qualification de quelques avantages financiers accordés aux dirigeants de sociétés en droit

français, thèse. préc., p. 401.

503 V. infra, n° 307.

504 Cass. civ., 29 janvier 1867, D.P. 1867, I, p.53 ; Cass. com., 2 mars 1993, n° 90-20289, D. 1994, p. 11, obs. J. KULLMANN.

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bouleversement de l’équilibre contractuel. Pour que la lésion s’applique dans cette situation, il faut que le déséquilibre apparaisse à l’origine de la convention506.

130. L’annulation n’est pas la seule sanction envisageable en cas de l’excès de la

rémunération. Dans certains cas, le dirigeant bénéficiaire d’un avantage financier peut également voir sa responsabilité civile ou pénale engagée en raison de l’excès dans l’attribution de cet avantage.

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