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La loi ne comporte aucune disposition relative au montant de la rémunération des

Dans le document La rémunération des dirigeants sociaux. (Page 92-97)

LES SANCTIONS DE LA RÉMUNÉRATION EXCESSIVE

SECTION -1- ANNULATION DE LA RÉMUNÉRATION

99. La loi ne comporte aucune disposition relative au montant de la rémunération des

dirigeants. Les organes sociaux compétents pour déterminer cette rémunération disposent d’une grande liberté dans le principe d’une attribution et dans le montant de la somme versée au dirigeant. Cela s’explique par le fait que les décisions prises par ces organes sont présumées conformes à l’intérêt social. Cette liberté n’est toutefois pas absolue. Les règles régissant l’exercice du droit de vote exigent de respecter les conditions de majorité pour toute décision d’assemblée générale383 ou de conseil384. Une fois que la décision est régulièrement prise, elle s’impose à tous les actionnaires y compris aux absents et aux minoritaires ayant voté contre la décision finalement adoptée. La loi de la majorité apparaît comme une nécessité pratique dans la mesure où il est impossible de réunir de manière durable le consentement unanime de tous les organes sociaux385. Cependant, la situation peut devenir problématique lorsque le dirigeant dispose, directement ou indirectement, seul ou avec d’autres, du contrôle de la majorité. En effet, l’attribution d’une rémunération élevée au dirigeant ou

380 Cass. com., 19 avril 2005, n° 02-17059, inédit.

381 Cass. com., 6 décembre 1983, n° 82-14198, Rev. sociétés 1984, p. 311, note P. LE CANNU ; Cass. com., 22 juin 1993, n° 90-21988, RTD civ. 1994, p. 343, note J. MESTRE.

382 V. supra, n° 67.

383 C. com. art. L. 223-29, pour la SARL.

384 C. com. art. L. 225-37 et L. 225-82, pour les sociétés anonymes.

385 A.-L. CHAMPETIER DE RIBES-JUSTEAU, Les abus de majorité, de minorité et d’égalité : étude comparative des

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l’augmentation de celle-ci est un indice de l’abus si l’intéressé a lui-même fixé sa rémunération ou a exercé une influence déterminante sur les décisionnaires386. Pour faire face à ce risque, la jurisprudence sanctionne le pouvoir de la majorité par l’application de la notion d’abus de majorité.

100. L’abus de majorité est la transposition en droit des sociétés de la théorie civiliste

de l’abus de droit selon laquelle « on peut user de son droit, mais non en abuser dans le seul

dessein de nuire à autrui ou en le détournant de sa fonction »387. Cette notion est régulièrement invoquée par les actionnaires minoritaires pour obtenir la remise en cause d’une décision attribuant une rémunération considérée comme anormale. La loi n’a ni défini l’abus de majorité ni prévu de sanction. C’est donc la jurisprudence qui a progressivement forgé cette notion et a mis en place des sanctions. Les critères de la qualification de l’abus de majorité ont été posés par l’arrêt « Schuman-Piquard » du 18 avril 1961388. Ainsi, selon la Cour de cassation, est abusive, la décision prise « contrairement à l’intérêt général de la

société, et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ». Deux critères cumulatifs sont alors exigés par la jurisprudence pour caractériser

l’abus de majorité en matière de rémunération des dirigeants. Celle-ci doit non seulement être attribuée contrairement à l’intérêt social, mais aussi privilégier les majoritaires au détriment des minoritaires389. En présence de ces deux critères cumulés, le tribunal peut prononcer la nullité de la délibération ayant arrêté la rémunération litigieuse sur le fondement de l’abus de majorité390. Les minoritaires peuvent également engager la responsabilité des seuls majoritaires en vue d’obtenir le versement de dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du Code civil.

L’exigence imposée par le premier critère concernant l’atteinte à l’intérêt social invite à chercher si le montant de la rémunération ne correspond pas à la situation financière de la société ou s’il n’est pas proportionné au travail effectivement fourni par le dirigeant. La charge de la preuve pèse sur les minoritaires, lésés par la rémunération versée au dirigeant, qui doivent prouver que la décision, outre sa contrariété à l’intérêt social, a pour effet de rompre intentionnellement l’égalité entre les actionnaires et de causer un préjudice personnel

386 Id., p. 93.

387 Sur l’abus de droit, L. JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité : théorie dite de l’abus des droits, Paris : Dalloz, 2006.

388 Cass. com., 18 avril 1961, n° 59-11394, Bull. civ., III, n° 175; JCP G 1961, II, 12164, note D. BASTIAN; RTD

com. 1961, p. 634, obs. R. HOUIN.

389 B. DONDERO, note sous Cass. com., 8 février 2011, n° 10-11788, JCP E 2011, n° 19, 1367, p. 27.

390 E. LEPOUTRE, « Les sanctions des abus de minorité et de majorité dans les sociétés commerciales »,

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au groupe de minoritaires. Par l’exigence de cette double condition, la jurisprudence vise à éviter toute action abusive des minoritaires ayant pour objectif de faire obstacle à l’application de la règle de la majorité. À défaut de cette démonstration, l’action des minoritaires ne sera pas recevable391.

101. Dans l’hypothèse où le dirigeant est largement majoritaire, il peut facilement

faire voter la rémunération qu’il souhaite. Dans les sociétés autres que les sociétés anonymes, la fixation de la rémunération des dirigeants n’est régie par aucun texte, mais elle est laissée aux statuts. Par exemple, dans les sociétés à responsabilité limitée ou les sociétés par actions simplifiée, les statuts prévoient, le plus souvent, que le montant de la rémunération sera déterminé par un organe social tel que l’assemblée générale des associés392. La Cour de cassation a affirmé que, dans un tel cas, le gérant peut, s’il est associé, prendre part au vote fixant sa propre rémunération, celle-ci ne relevant pas de la procédure des conventions réglementées393. La violation de l’intérêt social, défini comme l’intérêt de l’entreprise, ne saurait suffire à caractériser l’abus de majorité et à remettre en cause la rémunération excessive. La jurisprudence adopte en matière d’abus de majorité une conception stricte de l’intérêt social en exigeant que la décision soit prise dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. En effet, si la majorité peut, sous certaines conditions, imposer des décisions valables à la minorité, c’est uniquement parce qu’elle est présumée agir dans l’intérêt social394. Les majoritaires ne doivent pas faire primer leurs intérêts personnels sur ceux de la société. Lorsque la décision fixant la rémunération a pour effet de privilégier le groupe des majoritaires, les minoritaires peuvent contester la rupture d’égalité qui en résulte. Celle-ci ne constitue pas nécessairement un abus de majorité dès lors qu’elle pourrait se justifier au regard de l’intérêt social. La Cour de cassation rejette ainsi les

391 Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-23398, Rev. sociétés 2012, p. 38, note D. SCHMIDT ; LPA 5 avril 2012, p. 8, note S. ANDJECHAIRI ; Bull. Joly Sociétés 2011, § 510, p. 968, note B. DONDERO. Dans cette affaire, la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir suffisamment expliqué « en quoi la délibération ayant

arrêté la rémunération litigieuse, considérée en elle-même, avait été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ».

392 V. par exemple, s’agissant de la rémunération d’un président d’une SAS, Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-24889, Gaz. Pal. 27 janvier 2015, n° 27, p. 13, comm. A.-F. ZATTARA-GROS ; Dr. Sociétés, 2015, n° 1, p. 24, comm. 7, comm. D. GALLOIS-COCHET ; Rev. sociétés 2015, p. 108, note L. GODON ; Bull. Joly Sociétés

2015, § 112x8, p. 13, note P.-L. PÉRIN ; JCP E 2014, n° 51-52, 1652, p. 31, note B. DONDERO.

393 Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-13205, Bull. Joly Sociétés 2010, § 134, p. 647, note B. DONDERO ; D. 2010,

p. 1206, note A. LIENHARD ; Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-23398, préc.

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demandes fondées sur l’abus de majorité dès lors que la décision des majoritaires peut être justifiée par des considérations économiques propres à la société395.

Cependant, la situation dans les sociétés anonymes est différente dans la mesure où la détermination de la rémunération des dirigeants par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance fait l’objet d’une délibération, ce qui lui confère une nature institutionnelle et non conventionnelle. L’absence d’une intervention de la part des actionnaires conduit a priori à exclure l’abus de majorité dans ces sociétés. Il pourrait toutefois être soutenu qu’en matière de rémunération exceptionnelle soumise à la procédure des conventions réglementées, les actionnaires sont invités à autoriser l’attribution de la rémunération. En outre, malgré une nature par principe institutionnelle, la fixation de la rémunération est souvent sous l’influence du dirigeant intéressé et une véritable négociation peut s’instaurer. En effet, du fait que le conseil d’administration est l’émanation de l’assemblée générale des actionnaires396, le dirigeant, choisi indirectement par le groupe des majoritaires, pourrait ainsi user d’un rapport de force favorable pour tenter d’obtenir une rémunération excessive397. En pratique, démontrer qu’une rémunération constitue un abus de majorité dans une société anonyme se révèle quelque peu contraignant dans la mesure où il paraît difficile de rapporter la preuve des deux conditions cumulatives énoncées398. Si l’attribution de la rémunération est susceptible d’être contraire à l’intérêt social, il est difficilement imaginable qu’une décision prise par le conseil d’administration, même sous l’influence exercée par le dirigeant, ait pour but de favoriser les actionnaires majoritaires. L’abus commis dans le choix des membres du conseil d’administration justifierait l’annulation de la décision de la nomination et non celle fixant la rémunération. C’est ainsi que l’abus de majorité n’a pas été retenu dans une affaire où l’augmentation de la rémunération était proportionnelle à l’évolution de l’activité de la société399. De même, la Cour de cassation n’a pas admis la qualification d’abus de majorité notamment parce que les rémunérations accordées au président du conseil d’administration étaient supérieures aux bénéfices400. En revanche, dans un arrêt daté du 30 mars 1977401, la cour d’appel de Paris a pu annuler les délibérations du conseil d’administration parce que le président du conseil avait profité de l’absence d’un administrateur et de la complicité d’un autre pour augmenter rétroactivement sa rémunération malgré les pertes atteignant six fois le

395 Cass. com., 25 mai 1970, n° 67-11088, RTD com. 1970, p. 733, note R. HOUIN.

396 C. com. art. L. 225-18.

397 S. ANDJECHAIRI, Y. SERRA, « Abus de majorité de rémunération du dirigeant », RJDA 6/2012, n° 6, p. 511.

398 Id., p. 515.

399 CA Paris, 6 décembre 2007, RJDA 4/08, n° 431, p. 424.

400 Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-11.268, RTD com. 2009, p. 383, note P. LE CANNU et B. DONDERO.

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capital social. Dans une affaire plus ancienne, les juges avaient retenu l’abus de droit puisque l’allocation de la rémunération réduisait de façon excessive le montant des bénéfices par rapport à l’activité sociale et au chiffre d’affaires402. Par ces décisions, la jurisprudence a condamné le comportement du dirigeant qui cherchait à faire primer son intérêt personnel sur l’intérêt social, mais il peut être observé que la volonté de privilégier l’intérêt des majoritaires n’a pas été démontrée, ce qui peut s’expliquer par le fait que ces arrêts ont été rendus à une époque où la jurisprudence relative à l’abus de majorité n’était pas encore bien établie. Il reste que de telles décisions illustrent le fait que les dirigeants peuvent instrumentaliser le pouvoir de la décision sans que l’abus de majorité ne puisse leur être reproché.

102. Les cas de nullité proposés par le droit des sociétés se révèlent donc limités tant

en ce qui concerne les règles fondamentales d’existence que de fonctionnement de la société. Cette insuffisance des règles spéciales peut permettre à la société et aux associés d’avoir recours aux règles du droit civil afin d’obtenir la nullité de la rémunération du dirigeant. Bien qu’elles ne soient pas toujours efficaces, ces dernières apparaissent tout de même comme un recours à explorer en matière de nullité.

§ 2. L’INEFFICACITÉ DU RECOURS AUX PRINCIPES DU DROIT COMMUN DES OBLIGATIONS

103. Lorsque les dispositions spécifiques ne suffisent pas à sanctionner une

rémunération excessive, la nullité de celle-ci peut être envisagée à l’aune de l’ensemble des règles prévues par le Code civil. En effet, que la rémunération soit qualifiée de convention403 ou d’acte unilatéral404, d’ordre institutionnel, elle n’échappe pas aux règles de formation des actes juridiques405. Ainsi, la jurisprudence applique régulièrement les principes du droit

402 CA Grenoble, 6 mai 1964, Gaz. Pal. 1964, II, p. 208.

403 F. GUERCHOUN, « Vers l’imprescriptibilité de l’action en nullité des conventions réglementées », LPA 21 avril 2006, n° 80, p. 5, spéc. p. 12 : « Les conventions réglementées ne constituent par nature qu’une

catégorie originale de contrats. Leur validité procède aussi du droit commun, hormis les cas dans lesquels le législateur en a expressément disposé autrement ».

404 Il est acquis que l’engagement unilatéral obéit en principe aux exigences du droit commun des contrats. M. FABRE-MAGNAN, Droit des obligations : Contrat et engagement unilatéral, 3e éd., Paris : PUF, 2012, p. 729 et s ; J.-L. AUBERT, « Engagement unilatéral de volonté », Rép. civ. juin 2012, n° 48 ; V. également, M.-L. IZORCHE, L’avènement de l’engagement unilatéral en droit privé contemporain, Aix-En-Provence : Presse universitaires d’Aix-Marseille, 1995, p. 219 et s.

405 C. GOLDIE-GENICON, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des

contrats, Paris : LGDJ, 2009, n° 393 : « les contrats, lorsqu’ils sont soumis à des règles particulières, demeurent soumis aux règles communes gouvernant les contrats, pourvu qu’il n’y ait pas d’antinomie entre ces règles communes et ces règles particulières ».

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commun afin de suppléer les insuffisances du droit des sociétés en matière de nullité. Si les règles relatives à la formation du contrat peuvent parfois faire obstacle à l’octroi de certaines rémunérations (A), les règles relatives à l’exécution du contrat sont toujours inefficaces (B).

A/ Les règles relatives à la formation du contrat

104. Le recours au droit commun des obligations reste exceptionnel. La société et les

actionnaires pourraient toutefois rechercher la nullité de la rémunération sur le terrain de la théorie de la cause (a), ou bien à travers le principe de la nullité des actes passés pendant la période suspecte (b).

a) La théorie de la cause

105. Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « l’obligation sans cause, ou sur une

fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». Ainsi, la rémunération est

nulle si elle n’a pas de cause (1), ou si la cause est illicite (2).

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