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SECTION -1- LA NATURE CONVENTIONNELLE DE LA RÉMUNÉRATION AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE L’EXCÈS

Dans le document La rémunération des dirigeants sociaux. (Page 195-200)

L’EXTENSION DU CHAMP DES CONVENTIONS RÉGLEMENTÉES

SECTION -1- LA NATURE CONVENTIONNELLE DE LA RÉMUNÉRATION AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE L’EXCÈS

244. Sous l’empire de la loi du 24 juillet 1867, la nature de la rémunération faisait

débat. En effet, déterminer si la rémunération des dirigeants revêt une nature institutionnelle ou conventionnelle n’est pas sans incidence. Lorsque l’attribution de la rémunération relève d’une convention, elle doit être soumise à la procédure des conventions réglementées. En revanche, si la rémunération présente un caractère institutionnel, il revient à l’organe compétent, à savoir le conseil d’administration ou de surveillance, de la fixer, la modifier ou la supprimer unilatéralement. La loi du 24 juillet 1966 a mis fin aux polémiques et a affirmé le caractère institutionnel de la rémunération en décidant que sa détermination ressort de la compétence exclusive du conseil d’administration ou de surveillance869. Cependant, ce caractère institutionnel est souvent contesté dans la mesure où le dirigeant pourrait influencer la décision du conseil en privilégiant son intérêt propre, de même que les autres membres du conseil d’administration pourraient privilégier l’intérêt de leur collègue (§1). L’excès résultant de cette situation a incité le législateur à recourir au mécanisme conventionnel en élargissant

866 Rapport de G. CARREZ sur le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l’économie, op. cit., p. 45 : « L’objectif est d’améliorer la transparence en faisant approuver par l’assemblée générale des actionnaires,

seul organe représentant les propriétaires de la société, l’ensemble des éléments des rémunérations de ces dirigeants ».

867 S. MESSAÏ-BAHRI, « Le régime juridique des parachutes dorés », Bull. Joly Sociétés 2008, § 114, p. 521.

868 C. com. art. L. 225-42-1, al. 5 et L. 225-90-1, al. 5.

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le champ d’application des conventions réglementées. Cette mesure permet de renforcer le contrôle des actionnaires sur l’attribution des rémunérations, mais son efficacité n’est pas attestée (§2).

§ 1. UNE NATURE INSTITUTIONNELLE CONTESTÉE

245. Le législateur a fait le choix de garder le silence quant à la détermination de la

rémunération des dirigeants dans certaines sociétés. Par exemple, dans les SARL, cette opération s’effectue par le biais des statuts ou d’une décision collective des associés, ainsi qu’a pu le préciser la Cour de cassation870. Il en va tout autrement pour les sociétés anonymes : la fixation de la rémunération de leurs dirigeants y est précisément encadrée. La loi comme la jurisprudence affirment que cette rémunération a un caractère institutionnel qui se manifeste au travers d’une décision unilatérale relevant de la compétence exclusive du conseil d’administration ou de surveillance. En pratique, si la compétence du conseil ne saurait être contestée (A), l’unilatéralité de la décision est bien souvent hypothétique (B).

A / Une compétence exclusive affirmée

246. Nul ne peut se substituer à l’organe exécutif pour fixer la rémunération des

dirigeants (a). L’existence dans la société d’un comité chargé d’étudier la question relative à la détermination de la rémunération ne peut retirer au conseil ses compétences (b).

a) Une omnipotence de l’organe exécutif

247. Aux termes des articles L. 225-47 et L. 225-53, alinéa 3, du Code de commerce, la

fixation de la rémunération du président du conseil d’administration, du directeur général et, le cas échéant, du directeur général délégué, relève de la compétence exclusive du conseil d’administration. Cette omnipotence est également reconnue par l’article L. 225-63 du Code de commerce au conseil de surveillance en matière de rémunération des membres du directoire ou du directeur général unique. La compétence exclusive signifie qu’aucun autre acteur de la société ne peut se substituer au conseil d’administration ou au conseil de

870 Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-22754, Bull. Joly Sociétés 2013, § 68, p. 207, note B. DONDERO ;

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surveillance dans sa mission de fixation de la rémunération des membres de la direction générale. Le fondement de cette compétence se trouve dans la conception institutionnelle de la société anonyme selon laquelle aucun organe ne peut empiéter sur les compétences d’un autre et la répartition des pouvoirs ne peut être modifiée871. La rémunération ne peut donc être déterminée par le dirigeant lui-même872, ni par une convention conclue avec un tiers873. Les actionnaires eux-mêmes n’ont pas de droit de vote décisionnel sur la rémunération. Cette compétence implique également que la rémunération ne peut pas être fixée judiciairement874, sauf en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et non d’une procédure de sauvegarde875.

Nombreux sont les arrêts qui ont confirmé la compétence exclusive du conseil dans la détermination de la rémunération des dirigeants. La jurisprudence ne cesse d’affirmer que la rémunération « doit faire l’objet d’une délibération du conseil d’administration sur son

montant et ses modalités »876. Cette compétence étant préalable, le pouvoir de l’organe exécutif ne saurait être limité à une approbation a posteriori de la rémunération877. Le conseil d’administration ne peut donc ratifier la décision du président qui, sans obtenir préalablement une décision du conseil, s’est alloué une rémunération878. Conformément à cette compétence de principe du conseil, son ordre du jour doit comporter un projet de résolution précisant, de la façon la plus complète possible, le montant et les modalités d’attribution de la

871 Cass. civ., 4 juin 1946, JCP G 1947, II, 3518, note D. BASTIAN « Attendu en effet que la société anonyme est

une société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l’administration est exercée par un conseil, élu par l’assemblée générale ; qu’il n’appartient donc pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du conseil en matière d’administration » ; J.-J. DAIGRE, « Réflexions sur le statut des dirigeants sociaux », Rev. sociétés 1981, p. 497 ; J. LEBLOND, « Les pouvoirs respectifs de l’assemblée générale, du conseil d’administration, du président-directeur général et du directeur-général adjoint dans la doctrine institutionnelle »,

Gaz. Pal. 1957, I, p. 29 ; P. FAUCONNEAU, « Du défaut d’autorisation préalable du conseil d’administration en matière de conventions soumises à l’article 40 de la loi du 24 juillet 1867 », Gaz. Pal. 1960, I, p. 8.

872 Cass. com., 15 décembre 1987, n° 86-13479, Bull. civ., IV, n° 280, p. 209 ; Bull. Joly Sociétés 1988, p. 319, note A. PICAND-L’AMEZEC.

873 Cass. com., 14 septembre 2010, n° 09-16.084, Rev. sociétés 2010, p. 462, note A. LIENHARD.

874 Cass. com., 12 décembre 1995, n° 94-12489, Bull. Joly Sociétés 1996, § 68, p. 207, note P. LE CANNU ; Cass. com., 11 janvier 1972, n° 69-11205, Bull. civ., IV, n° 19, p. 18 ; Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-11860,

Bull. Joly Sociétés 2009, § 131, p. 660, note P. LE CANNU ; Dr. Sociétés 2009, n° 6, comm. 116, p. 23, note D. GALLOIS-COCHET ; Cass. com., 17 décembre 2013, n° 12-27213, Bull. Joly Sociétés 2014, § 6, p. 147, note B. DONDERO.

875 C. com. art. L. 631-11, al. 1 : « Le juge-commissaire fixe la rémunération afférente aux fonctions exercées

par le débiteur s’il est une personne physique ou les dirigeants de la personne morale » ; T. MONTÉRAN, M. SIMONNOT, « L’impact des procédures collectives sur la rémunération des dirigeants », Journ. sociétés, septembre 2012, n° 101, p. 46.

876 Cass. com., 6 février 2007, n° 03-10085 et n° 01-17877, Bull. Joly Sociétés 2007, p. 1007, note A. COURET ; Cass. com., 24 octobre 2000, RJDA 2/2001, n° 177, p. 170 ; Cass. com., 9 mai 1990, n° 88-19187, Bull. Joly

Sociétés 1990, § 177, p. 641, note P. REIGNÉ.

877 Cass. com., 15 décembre 1987, n° 86-13479, préc.

878 Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-13216, Rev. sociétés 2005, p. 631, note J.-F. BARBIÈRI ; RTD. com. 2005, p. 119, obs. P. LE CANNU ; Bull. Joly Sociétés 2005, p. 391, § 77, note D. VIDAL.

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rémunération879. Il en découle que la décision du conseil doit être explicite, et le fait d’avoir accepté la nomination d’un directeur général, comportant une proposition de rémunération faite par la filiale chargée de recrutement, ne peut pas être interprété comme une reconnaissance implicite de cette rémunération880. De même, la confirmation de la rémunération par simple référence à une décision prise par deux administrateurs ne peut suppléer la décision du conseil d’administration881.

La compétence exclusive du conseil est confirmée en matière d’octroi de stock-options et d’attribution gratuite d’actions. Il est vrai que l’assemblée générale doit autoriser l’attribution d’options ou d’actions et qu’elle peut décider si cette attribution a vocation à concerner l’ensemble du personnel ou seulement une certaine catégorie de salariés, mais elle n’a pas le pouvoir de déterminer nominativement les bénéficiaires d’une telle attribution. Ceci relève de la compétence exclusive du conseil d’administration, ou du directoire882. L’essentiel du dispositif d’attribution gratuite d’actions ou d’options de souscription ou d’achat d’actions demeure alors entre les mains des organes d’administration qui fixent aussi les conditions et les critères d’attribution.

248. Le non-respect de la compétence exclusive du conseil pourrait entraîner certaines

sanctions883 : dénonciation par le commissaire aux comptes au conseil d’administration et à l’assemblée générale, délit d’abus de biens sociaux, délits comptables, dans certains cas, délit d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise884, et éventuellement, pour les commissaires aux comptes, délit de non-révélation des faits délictueux885. Le dirigeant peut aussi se trouver obligé de restituer les rémunérations irrégulièrement accordées886, ou condamné à des dommages-intérêts pour procédure irrégulière887. En revanche, la Cour de cassation a pu juger que ne commet pas une faute grave le directeur général qui perçoit des rémunérations n’ayant pas fait l’objet d’un vote du conseil d’administration, lorsque l’absence

879 H. HOVASSE, note sous Cass. com., 11 octobre 2005, n° 02-13520, JCP E 2005, n° 49, 1796, p. 2111.

880 Cass. com., 13 février 1996, n° 94-11094, Bull. Joly Sociétés 1996, § 134, p. 390, note P. LE CANNU ; Cass. com., 27 février 2001, n° 98-14502, Bull. Joly Sociétés 2001, § 159, p. 631, note M. STORCK.

881 Cass. com., 11 octobre 2005, n° 02-13520, D. 2005, p. 2743, obs. A. LIENHARD ; RTD com. 2006, p. 132, note P. LE CANNU ; Rev. sociétés 2006, p. 79, note J.-P. MATTOUT ; JCP E 2005, 1796, p. 2111, note H. HOVASSE.

882 V. supra, n° 196.

883 P. LE CANNU, « Rémunérations des dirigeants de société anonyme et contrôle des conventions », Bull. Joly

Sociétés, 1996, § 203, p. 567, n° 3.

884 C. trav. art. L. 2328-1.

885 C. com. art. L. 820-7.

886 Cass. com., 15 décembre 1987, n° 86-13479, préc ; Cass. com., 30 novembre 2004, n° 01-13216, préc.

887 Cass. com., 4 juillet 1995, n° 93-17969, Rev. sociétés 1995, p. 504, note P. LE CANNU ; D. 1996, p. 186, note J.-C. HALLOUIN ; Bull. Joly Sociétés 1995, p. 968, note J.-F. BARBIÈRI ; RTD com. 1996, p. 69, obs.B. PETIT et Y. REINHARD.

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de délibération expresse du conseil résultait de ce que les administrateurs avaient décidé de lui conserver les rémunérations qui lui avaient été consenties lors de ses précédents mandats888.

249. La compétence exclusive de l’organe exécutif invite à s’interroger sur

l’opportunité de l’instauration d’un comité des rémunérations chargé de la détermination de la rémunération des dirigeants.

b) Un rôle consultatif du comité des rémunérations

250. L’institution des comités spécialisés au sein des conseils d’administration des

sociétés anonymes était pratiquée sous l’empire de la loi du 24 juillet 1867889. La loi de 1966 n’en a pas fait mention, tandis que son décret d’application du 23 mars 1967 a autorisé la création de tels comités en disposant que le conseil d’administration « peut conférer à un ou

plusieurs de ses membres ou à des tiers, actionnaires ou non, tous mandats spéciaux pour un ou plusieurs objets déterminés. Il peut décider la création de comités chargés d’étudier les questions que lui-même ou son président soumet, pour avis, à leur examen. Il fixe la composition et les attributions des comités qui exercent leur activité sous sa responsabilité »890. Ainsi, le conseil d’administration, ou de surveillance, peut décider la création de comités chargés d’étudier les questions qu’il soumet à leur examen, telle la rémunération des dirigeants. La création d’un comité des rémunérations n’est obligatoire que pour les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et les sociétés de capital-risque dont le bilan dépasse dix milliards d’euros891.

L’objectif de l’instauration d’un comité des rémunérations est d’assister les membres du conseil dans la fixation de la rémunération892. L’idée est née aux États-Unis afin d’améliorer

888 Cass. com., 16 avril 2013, n° 09-14999, Bull. Joly Sociétés 2013, § 110, p. 562, note M. CAFFIN-MOI.

889 Article 2 de la loi du 16 novembre 1940 relative aux sociétés anonymes, JORF du 9 septembre 1950, p. 1398 : « Le président peut nommer un comité composé, soit d’administrateurs, soit de directeurs, soit

d’administrateur et de directeurs de la société. Les membres de ce comité sont chargés d’étudier les questions que le président renvoie à leur examen ».

890 Articles 90 et 115 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales, devenus articles R. 225-29 et R. 225-56 du Code de commerce.

891 Article 3 du décret n° 2012-67 du 20 janvier 2012 fixant les seuils imposant la création d’un comité des rémunérations dans les établissements de crédit, entreprises d’investissement et sociétés de capital-risque, JORF du 22 janvier 2012, n° 0019, p. 1285 : « Les sociétés de capital-risque mentionnées au I de l’article 1er de la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985 susvisée dont le bilan, social ou consolidé, dépasse dix milliards d’euros sont tenues, en application de l'article L. 511-41-1 A du code monétaire et financier, de constituer en leur sein un comité des rémunérations ».

892 v. C. mon. fin. art. L. 511-102, relatif au rôle du comité des rémunérations dans les établissements de crédit et aux entreprises d’investissement.

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le fonctionnement des conseils, en distinguant les fonctions exécutives et non exécutives, et en constituant des comités au sein des conseils pour permettre aux administrateurs non exécutifs de mieux exercer leur fonction893. Ensuite, la pratique du comité des rémunérations a successivement atteint le Royaume-Uni et la France, et s’est développée avec l’évolution du mouvement de la gouvernance d’entreprise894. Ainsi, la grande majorité des sociétés cotées a instauré, notamment à la suite de la publication d’un code de gouvernance d’entreprise en 2008895, un comité spécialisé pour examiner les principes de la politique de rémunération de l’entreprise896.

251. Cependant, le rôle du comité des rémunérations n’est que consultatif. Celui-ci ne

peut que faire des propositions au conseil et ne peut en aucun cas lui retirer ses compétences ou se substituer à lui dans son pouvoir de décision897. La loi affirme que le comité des rémunérations ne peut avoir aucun rôle décisionnel898. L’exigence d’une délibération au sein du conseil sur le montant et les modalités de la rémunération empêche toute délégation de pouvoir au comité des rémunérations. Ce principe a été confirmé par la Cour de cassation dans l’arrêt du 4 juillet 1995899. En l’espèce, le conseil d’administration avait délégué la charge de fixer le montant de la rémunération de son président à une commission ad hoc. Le rapport de cette commission avait été annexé au procès-verbal de la réunion du conseil d’administration sans avoir fait l’objet d’une délibération formelle. La Cour a indiqué que seule une délibération formelle du conseil d’administration satisfait aux exigences légales. Les juges ne condamnent pas le recours à un comité des rémunérations, mais ils sont ouvertement hostiles au transfert du pouvoir décisionnel à un tel comité.

252. Par ailleurs, l’existence d’un comité des rémunérations ne doit en aucun cas

déresponsabiliser le conseil. Le comité juridique de l’ANSA affirme en ce sens que « la

présence d’un comité ne supprime ni n’atténue en rien la responsabilité collégiale du conseil »900. Toutefois, le non-exercice, factuel, de ses prérogatives par le conseil901,

893 Y. PACLOT, « La juridicité du code AFEP/MEDEF de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées »,

Rev. sociétés 2011, p. 395, n° 4.

894 Ibid.

895 Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées (MEDEF/AFEP), décembre 2008.

896 Selon le rapport d’activité du Haut comité de gouvernement d’entreprise, seulement trois sociétés du SBF 120 n’ont pas mis en place un comité des rémunérations en 2013, HCGE, « Rapport d’activité », octobre 2014, § 4.2, p. 68.

897 Cass. com., 26 mars 2008, n° 07-10572, Bull. Joly Sociétés 2008, §145, p. 674, note P. LE CANNU ; P. LE CANNU, B. DONDERO, Droit des sociétés, op. cit., n° 783, p. 527.

898 C. com. art. R. 225-56, al. 2.

899 Cass. com., 4 juillet 1995, n° 93-17969, préc.

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