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Une assurance négociée pour le compte du dirigeant

Dans le document La rémunération des dirigeants sociaux. (Page 128-131)

LES SANCTIONS DE LA RÉMUNÉRATION EXCESSIVE

SECTION -2- L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DU DIRIGEANT

1. Une assurance négociée pour le compte du dirigeant

b) L’assurance de la responsabilité civile du dirigeant

152. Face à l’augmentation du risque de commettre des fautes entraînant l’engagement

de leur responsabilité personnelle, les dirigeants cherchent à se protéger par des assurances couvrant cette responsabilité (1). La question de la possibilité d’une prise en charge directe par la société des conséquences de la responsabilité de ses dirigeants peut également se poser

(2).

1. Une assurance négociée pour le compte du dirigeant

153. Après avoir énoncé que la crainte de voir sa responsabilité civile engagée permet

de rendre les conduites plus prudentes et plus morales, le doyen Carbonnier a nuancé cette affirmation en indiquant que « le développement de l’assurance enlève aujourd’hui [à cette

crainte] une bonne part de son mordant »567. En effet, l’accroissement du nombre des mises en cause de la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux a été parallèlement accompagné du développement en France d’un mécanisme d’assurance de responsabilité déjà éprouvé et développé aux États-Unis568. Il s’agit de l’assurance de responsabilité des dirigeants dite « RCMS »569 qui n’est qu’un type particulier d’assurance de responsabilité professionnelle négociée et conclue par la société elle-même570. Le but de cette assurance est

565 Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21547, Bull. civ., IV, n° 48, Bull. Joly. Sociétés 2010, § 109, p. 537, note D. SCHMIDT ; JCP E 2010, 1483, note S. SCHILLER ; Rev. sociétés 2010, p. 230, note H. LE NABASQUE ; LPA 19 novembre 2010, n° 231, p. 9, note A.-M. ROMANI ; RTDF 2010, n° 2, p. 60, comm. N. SPITZ ; D. 2010, p. 761, obs. A. LIENHARD ; RTD com. 2010, p. 407, note N. Rontchevsky ; RTD com. 2010, p. 374, note P. LE CANNU et B. DONDERO ; Dr. Sociétés 2010, n° 6, comm. 109, p. 17, note M-L. COQUELET ; RTD civ. 2010, p. 575, note P. JOURDAIN.

566 Cass. crim., 14 octobre 1991, n° 90-80621, Rev. sociétés 1992, p. 782, note B. BOULOC : pour une action en responsabilité civile exercée devant le tribunal répressif ; Cass. 1re civ., 14 décembre 1999, n° 97-15756,

Bull. Joly. Sociétés 2000, p. 736, § 175, note A. COURET : pour une demande de réparation du préjudice résultant pour un tiers d’une infraction commise par le dirigeant et pour laquelle il a été condamné pénalement.

567 J. CARBONNIER, Droit civil, op. cit., p. 2253.

568 C. FREYRIA, « L’assurance de responsabilité civile du management », D. 1995, p. 120.

569 Pour Responsabilité Civile des Mandataires Sociaux.

570 G. VINEY, J. GHESTIN, Traité de droit civil : Introduction à la responsabilité, 3e éd., Paris : L.G.D.J, 2008, n° 63, p. 141 : « Il importe en effet au plus haut point que l’assurance soit effectivement financée par ceux qui

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de garantir les dirigeants sociaux des conséquences pécuniaires de réclamations formulées à leur encontre, mettant en cause leur responsabilité civile personnelle au titre d’une faute commise dans l’exercice de leurs fonctions. Cette assurance de responsabilité des dirigeants présente la particularité de ne pas empêcher la mise en jeu de leur responsabilité, mais seulement de permettre au dirigeant de se soustraire aux conséquences qui en résultent.

Il reste cependant que toutes les fautes des dirigeants ne sont pas assurables. Sont ainsi exclues de la garantie les conséquences pécuniaires des condamnations pénales prononcées contre l’assuré lui-même571. Cette exclusion s’applique également aux sanctions de nature extra-pénale, principalement les amendes fiscales, les amendes douanières, ainsi que les sanctions pécuniaires prononcées par les autorités administratives572. L’interdiction de l’assurance dans ces cas se rattache aux règles générales du droit pénal, notamment au principe de la personnalité des peines. Elle a aussi pour but d’empêcher l’affaiblissement de la répression étatique des comportements illicites573. De même, les conséquences des fautes commises de façon intentionnelle ou dolosive sont exclues de l’assurance de responsabilité. Aux termes de l’article L. 113-1 du Code des assurances, l’assureur « ne répond pas des

pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». Par

conséquent, la responsabilité du dirigeant envers les tiers ne serait pas, selon certains, assurable puisque la mise en œuvre de cette responsabilité suppose l’existence d’une faute séparable des fonctions, à savoir une faute intentionnelle574.

154. La multiplicité des risques exclus de l’assurance de responsabilité des dirigeants a

incité certains auteurs à s’interroger sur son utilité575. En réalité, en dépit du nombre important d’exclusions, l’assurance de responsabilité des dirigeants se montre pleinement utile. Tout d’abord, la faute intentionnelle ou dolosive exclue de la garantie de l’assureur reçoit une

571 Rép. min. n° 2988 : JOAN Q 24 novembre 1997, p. 4215 ; Rép. min. n° 51680 : JOAN Q 24 février 1992, p. 933.

572 N. BICHERON, « L’assurabilité des sanctions pécuniaires prononcées par l’AMF », Lamy Assurances 2010, n° 169, p. 1 ; Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-17367, Gaz. Pal. 29 juin 2013, n° 180, p. 25, note B. DONDERO ; CA Paris, 14 février 2012, Rj com. janvier 2013, n° 6, p. 42. Cependant, selon certains auteurs, les amendes infligées au dirigeant par les autorités administratives doivent être assurables. En effet, si la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’une société sollicitant la garantie de l’assureur pour les sanctions prononcées par l’AMF, elle ne s’est pas fondée, contrairement à la cour d’appel, sur la contrariété de cette assurance à l’ordre public, ce qui permettrait de considérer que les sanctions administratives peuvent être assurables : A. COHEN-JONATHAN, K. HAER, « L’assurance de responsabilité civile des mandataires sociaux de l’entreprise », Rev. sociétés 2015, p. 487, spéc. n° 32 ; J. KULLMANN, « Amendes pénales et amendes administratives infligées au dirigeant : pour une assurance raisonnée », JCP E 2009, n° 10, 1226, p. 39.

573 A. CONSTANTIN, « De quelques aspects de l’assurance de responsabilité civile des dirigeants sociaux », RJDA 2003, p. 595.

574 P.-G. MARLY, « La faute dans l’assurance de responsabilité des dirigeants », JCP E 2006, n° 12, 1490, p. 568.

575 A. CONSTANTIN, « L’utilité de l’assurance des dirigeants sociaux au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation », Bull. Joly. Sociétés 2010, § 161, p. 762.

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application restrictive afin de sauvegarder les droits des victimes576. En effet, cette exclusion ne vise que la faute de l’assuré alors que la faute commise par une personne dont l’assuré est civilement responsable est assurable577. Il résulte également de l’évolution de la jurisprudence que la faute lourde est assurable, en tant qu’elle n’est pas assimilable, par définition, à la faute intentionnelle578. Ensuite, une distinction doit être opérée entre les assurances qui ont directement pour objet de compenser les conséquences répressives d’une condamnation pénale et celles qui garantissent la responsabilité civile liée à une infraction pénale. En principe, les risques de responsabilité civile sont assurables même s’ils sont issus d’infractions pénales579. Enfin, malgré l’exigence d’une faute séparable des fonctions, la responsabilité du dirigeant vis-à-vis des tiers pourrait être couverte par l’assurance580. En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation montre que la notion de faute intentionnelle n’est pas la même selon que l’on applique les règles du droit des sociétés ou celles du droit des assurances. Après avoir rendu plusieurs arrêts retenant une définition large de la faute intentionnelle et écartant par là même la possibilité d’assurance581, la Cour de cassation a adopté une conception étroite de cette faute conduisant à relativiser sa position. Ainsi, pour que la garantie de l’assureur soit exclue, il appartient à ce dernier de démontrer que l’assuré a « voulu le dommage tel qu’il est survenu »582. Il en découle que l’intention requise pour caractériser la faute détachable du dirigeant est moins stricte que celle exigée en droit des assurances583. Cela permettrait d’assurer les conséquences des fautes commises vis-à-vis des tiers, même si ce courant jurisprudentiel est encore incertain584. Par ailleurs, la responsabilité du dirigeant envers les associés ou envers la société est parfaitement assurable puisqu’une telle exigence n’existe pas. Il en résulte que les conséquences qui découlent de l’action exercée par un actionnaire pour obtenir réparation d’un préjudice personnel ainsi que celles

576 N. HADJ-CHAIB CANDEILLE, Risque et assurance de responsabilité civile, 6e éd., Paris : L’ARGUS, 2012, p. 165.

577 Code des assurances. art. L. 121-2 : « L’assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1384 du code civil, quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ».

578 F. CHAUMET, Les assurances de responsabilité de l’entreprise, 5e éd., Paris : L’ARGUS, 2011, p. 124 ; Cass. com., 7 avril 1987, n° 85-15910, D. 1988, p. 156, note C. BERR.

579 Id., p. 770.

580 A. COHEN-JONATHAN, K. HAER, art. préc., n° 16.

581 Cass. 2e civ., 1 juin 2011, n° 10-18143, Bull. Joly. Sociétés 2011, § 477, p. 860, note A. CONSTANTIN ; Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-17367, préc ; Cass. 2e civ., 12 septembre 2013, n° 12-24650, Resp. civ. et

assur. 2013, n° 11, comm. 360, p. 7, note D. BAKOUCHE ; Cass. 1re civ., 10 avril 1996, n° 93-14571, Bull. civ., 1996, I, n° 172, p. 120 ; Cass. 1re civ., 28 avril 1993, n° 90-16363, inédit.

582 Cass. 2e civ., 12 juin 2014 n° 13-15836, RGDA 2014, n° 10, p. 496, note J. KULLMANN ; Cass. 2e civ., 16 janvier 2014, n° 12-27484, RGDA 2014, n° 3, p. 147, note L. MAYAUX.

583 J. BIGOT, A. PÉLISSIER, L. MAYAUX, « Faute intentionnelle, faute dolosive, faute volontaire : le passé, le présent et l’avenir », RGDA 2015, n° 2, p. 75.

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issues d’une action sociale exercée dans l’intérêt de la société peuvent être couvertes par l’assurance de responsabilité des dirigeants sociaux585. Dans tous ces cas, le dirigeant condamné pour avoir perçu une rémunération excessive peut donc voir sa responsabilité civile couverte par l’assurance de dirigeants. Il apparaît ainsi que, dans bien des situations, l’importance de l’assurance de responsabilité des dirigeants est incontestable. Le recours à cette assurance constitue une vraie limite à la responsabilité des dirigeants car, en protégeant le dirigeant des conséquences de ses fautes, elle diminuerait sensiblement l’impact dissuasif de la condamnation civile586.

155. Par ailleurs, le coût de l’assurance souscrite par la société ne peut être négligé :

elle constitue en effet une charge supplémentaire pour celle-ci et ce, sans que le contrat d’assurance ne soit soumis à la procédure des conventions réglementées. Celui-ci n’est en réalité pas passé au profit d’un dirigeant personnellement mais au profit de la fonction de dirigeant elle-même587. En outre, les dirigeants ont la possibilité, en dehors de l’assurance « RCMS », de s’assurer personnellement comme tous les professionnels exerçant une activité pour leur compte personnel. Même si les dirigeants n’agissent pas pour leur propre compte, mais pour celui de la société, ils évoluent malgré tout en toute indépendance et à titre professionnel. Cela entraîne souvent une augmentation de la rémunération du dirigeant lui permettant de se couvrir personnellement contre les risques qu’il encourt588. À partir de ce constat, doit se poser la question de la possibilité d’envisager un autre mécanisme pour protéger les dirigeants des conséquences de leur éventuelle responsabilité.

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