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L’application du devoir de loyauté en matière de rémunération excessive des dirigeants

Dans le document La rémunération des dirigeants sociaux. (Page 122-128)

LES SANCTIONS DE LA RÉMUNÉRATION EXCESSIVE

SECTION -2- L’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DU DIRIGEANT

2. L’application du devoir de loyauté en matière de rémunération excessive des dirigeants

143. « La crainte d’avoir à payer des dommages et intérêts peut contribuer à rendre

les conduites plus prudentes, plus diligentes, plus morales peut-être »535.

L’utilisation du droit de la responsabilité civile permet à la jurisprudence d’imposer une obligation de faire ou de ne pas faire aux dirigeants sociaux536. La question qui se pose est de savoir si ce droit peut être utilisé, à travers l’obligation de loyauté, pour sanctionner le dirigeant qui perçoit un avantage excessif. En d’autres termes, la loyauté imposerait-elle au dirigeant de renoncer à sa rémunération ou de s’abstenir de la toucher si elle est très élevée sous peine d’engager sa responsabilité civile ? En effet, la loyauté ne se réduit pas à un état psychologique qui se définit négativement comme une « non-connaissance », mais il s’agit également d’une règle de conduite qui exige un comportement, positif ou négatif, exempt de toute intention malveillante537. De plus, le devoir de loyauté se justifie par la confiance que les actionnaires ont placée dans le dirigeant. Celui-ci leur doit, en retour, une loyauté particulière et doit donc faire primer l’intérêt social sur son intérêt personnel538. Par conséquent, lorsqu’une rémunération devient excessive, le dirigeant devrait la modifier ou s’abstenir de la recevoir volontairement. Le contraire constituerait un manquement au devoir de loyauté et mériterait au moins le versement de dommages-intérêts. Or en pratique, il n’est recensé que très peu de cas dans lesquels un dirigeant a renoncé à sa rémunération en raison

534 Cass. com., 12 février 2002, n° 00-11602, JCP G 2002, nº 38, I, 151, note J.-J. CAUSSAIN et A. VIANDIER ; Cass. com., 12 mai 2004, n° 03-8566, JCP G 2004, n° 41, II, 10153, note G. DAMY ; Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-14724, inédit ; Cass. com., 12 mars 2013, n° 12-11970, Inédit.

535 J. CARBONNIER, Droit civil, vol. 2, Paris : PUF, 2004, p. 2253.

536 G. DAMY, note sous Cass. com., 12 mai 2004, n° 00-15618, JCP G 2004, n° 41, II, 10153, p. 1754.

537 P. JOURDAIN, « Rapport français », in La bonne foi, op. cit., p. 121.

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de la situation économique de la société539. Quand bien même le dirigeant renoncerait-il en partie à son émolument, cette renonciation partielle serait souvent dérisoire au regard de la totalité du montant attribué540.

La jurisprudence ne retient la responsabilité civile du dirigeant que lorsque la perception de la rémunération contribue à l’insuffisance d’actif de la société. En droit des sociétés, le devoir de loyauté entraîne à la charge du dirigeant une obligation d’information vis-à-vis des associés. Cette obligation s’étend aux opérations passées par le dirigeant pour son compte personnel541. Le devoir de loyauté du dirigeant envers la société lui interdit également de créer une société concurrente ou de négocier, en qualité de dirigeant d’une autre société, un marché dans le même domaine d’activité542. Mais le juge ne peut pas, au nom de la loyauté, imposer au dirigeant de renoncer à son émolument lorsque son montant est simplement élevé alors que l’excès n’est pas caractérisé selon les critères retenus par la jurisprudence, faute d’un préjudice causé à la société.

144. Cependant, la consécration du devoir de loyauté à la charge des dirigeants semble

nettement rencontrer les préoccupations des principes de la gouvernance d’entreprise ce qui permet d’imposer de nouvelles obligations recommandées par ces principes543. Il s’agit notamment de l’obligation de révéler le conflit d’intérêts544. Cette obligation est imposée ponctuellement en droit dur545 et peut être étendue à toute situation conflictuelle ou potentiellement conflictuelle. Elle est donc susceptible d’intéresser la question de la rémunération des dirigeants puisque l’excès en la matière résulte essentiellement du conflit existant entre les intérêts des différentes catégories de personnes intéressées par la vie de

539 L. GIRARD, « Maurice Lévy, renonce à son salaire », Le Monde, 30 novembre 2011, disponible sur http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/11/30/maurice-levy-a-partir-de-janvier-2012-je-n-aurai-plus-de-remuneration-fixe_1611163_3234.html.

540 J. DE LA BROSSE, « Renault: Carlos Ghosn se moque-t-il du monde? », L’expansion, 14 février 2013, disponible http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/renault-carlos-ghosn-se-moque-t-il-du-monde_372583.html.

541 Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-24305, Dr. Sociétés 2013, comm. 48, note M. ROUSSILLE ; D. 2013, p. 288, note T. FAVARIO ; EDCO, 1er mars 2013, n° 3, p. 2, note M. CAFFIN-MOI ; Gaz. Pal. 6 avril 2013, n° 96, p. 21, note K. GRÉVAIN-LEMERCIER.

542 Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-15049, Dr. Sociétés 2012, comm. 24, note M. ROUSSILLE ; Gaz. Pal. 11 février 2012, p. 19, note B. SAINTOURENS ; JCP E 2011, 1893, note A. COURET et B. DONDERO ; D. 2012, p. 134, obs. A. LIENHARD ; Bull. Joly. Sociétés 2012, p. 112, § 116, note H. LE NABASQUE ; V. également, M. CORRADI, « Les opportunités d’affaires saisies par les administrateurs de la société en violation du devoir de loyauté », Bull. Joly. Sociétés 2011, n° 2, § 54, p. 157.

543 I. TCHOTOURIAN, « La sanction des conflits d’intérêts à travers la déloyauté : approche française et nord-américaine du devoir de loyauté des dirigeants », Bull. Joly. Sociétés 2008, n° 2, § 77, p. 599.

544 K. GRÉVAIN-LEMERCIER, « Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux : le retour », Gaz. Pal. 11 février 2012, n° 42, p. 7, spéc. n° 18.

545 C. com. art. L. 225-38, al. 1er : s’agissant des conventions conclues avec la société ; C. com. art. R. 224-2, 4 : s’agissant des apports en nature ; C. com., art. L. 225-101 et R. 225-103 : pour les biens appartenant à un actionnaire acquis par la société ; C. com. art. L. 225-106-1 : pour les votes par procuration.

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l’entreprise. Ainsi, une obligation de révéler le conflit d’intérêts exigera du dirigeant de signaler tout conflit réel ou potentiel lors de son entrée en fonction. Elle peut aussi porter sur l’existence d’un intérêt dans une convention pour laquelle l’obligation n’est pas imposée. Par ailleurs, les juges pourraient éventuellement puiser une source d’inspiration dans les principes de la gouvernance d’entreprise pour se prononcer sur la loyauté du comportement du dirigeant546.

145. À l’obligation de révéler le conflit d’intérêts, l’obligation de ne pas voter en cas

de conflit d’intérêts apparaît comme complémentaire547. Cette obligation pourrait être étendue aux dirigeants intéressés directement ou indirectement à l’opération. Il en est ainsi du dirigeant qui participe au vote fixant sa rémunération548. Le devoir de loyauté peut ainsi constituer indirectement le fondement d’une sanction des rémunérations excessives et ouvrir la voie à une action en responsabilité à l’encontre du bénéficiaire. Tout comme le fait remarquer un auteur, la responsabilité civile, au-delà de sa fonction naturelle d’indemnisation du préjudice, joue un rôle particulier consistant « à définir les bons et les mauvais

comportements, ces derniers étant ceux que le juge qualifiera de fautes et qui engageront la responsabilité du dirigeant »549.

146. Bien qu’il soit possible en théorie, l’engagement de la responsabilité civile des

dirigeants n’est pas facile en pratique et connaît certaines limites.

B / Les limites de la responsabilité civile du dirigeant

147. En théorie, le droit de la responsabilité civile devrait permettre de sanctionner le

dirigeant qui s’octroie une rémunération excessive. La pratique est moins évidente.

546 M. BERLINGIN, G. DE PIERPONT, P. STROOBANT, « Les règles de « bonne gouvernance » dans le droit des sociétés et le droit économique », in I. HACHEZ, Y. CARTUYVELS, H. DUMONT et ali. (dir.), Les sources du droit

revisitées : normativités concurrentes, vol. 3, Bruxelles : Publications des facultés universitaires Saint-louis,

2012, p. 211, spéc. p. 223. Les auteurs estiment que la responsabilité du dirigeant devrait être engagée en cas de méconnaissance des règles de gouvernance d’entreprise, car le dirigeant « normalement prudent et diligent » est celui qui respecte ces règles ; B. OPPETIT, « Les principes généraux en droit international privé », Arch. phil

droit 1987, t. 32, p. 179 ; V. également, Cass. 1re civ., 19 décembre 2000, n° 99-12.403, D. 2001, p. 3082, obs. J. PENNEAU ; Cass. 1re civ., 18 mars 1997, n° 95-12576, RTD civ. 1999, p. 117, note P. JOURDAIN : « La méconnaissance des dispositions du Code de déontologie médicale peut être invoquée par une partie à

l’appui d’une action en dommages-intérêts »

547 K. GRÉVAIN-LEMERCIER, Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit des sociétés, Aix en Provence : PUAM, 2013, p. 265 ; T. FAVARIO, « Les conflits d’intérêts en droit français des sociétés », in Les conflits

d’intérêts, Actes du colloque organisé par l’Association Henri Capitant, Journées nationales, Tome XVII, Paris :

Dalloz, 2013, p. 140, spéc. 145.

548 V. B. DONDERO, note sous Cass. com., 4 octobre. 2011, n° 10-23398, Bull. Joly Sociétés, 2011, § 510, p. 968.

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D’une part, l’exigence d’une faute séparable des fonctions pour retenir la responsabilité du dirigeant vis-à-vis des tiers rend difficile l’engagement de cette responsabilité (a). D’autre part, les dirigeants ont tendance à se protéger moyennant la souscription d’une assurance contre la mise en jeu de leur responsabilité (b).

a) Le difficile engagement de la responsabilité civile du dirigeant envers les tiers 148. La victime d’un préjudice découlant d’une rémunération excessive perçue par un

dirigeant social peut agir en responsabilité civile contre ce dirigeant pour obtenir réparation de son préjudice et ce, peu importe que la victime soit un actionnaire de la société ou un tiers. Cependant, les conditions imposées par la jurisprudence pour retenir la responsabilité civile des dirigeants notamment vis-à-vis des tiers permettent de maintenir les dirigeants de sociétés dans une ambiance de quasi-irresponsabilité. Dans un premier temps, la jurisprudence admettait la responsabilité personnelle des dirigeants vis-à-vis des tiers dès qu’une faute quelconque était imputable au dirigeant550. Progressivement, la Cour de cassation a opéré un revirement de sa position en exigeant que la faute du dirigeant soit séparable, ou détachable, des fonctions de celui-ci pour établir sa responsabilité à l’égard des tiers551. Ainsi, la seule constatation d’un fait délictuel ou quasi délictuel imputable à une société n’implique pas nécessairement une faute personnelle du dirigeant social552. Ce principe, issu du droit administratif553, est souvent justifié par l’existence de la personnalité morale de la structure sociétaire qui conduit la société à s’interposer entre les tiers et les dirigeants et à mettre ces derniers à l’abri d’actions en responsabilité abusives554. La victime doit donc en principe se retourner contre la société pour obtenir réparation du préjudice qu’elle a subi, la responsabilité

550 G. AUZERO, « L’application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en droit privé », D. aff. 1998, p. 502; V.WESTER-OUISSE,« Critique d’une notion imprécise : la faute du dirigeant de société séparable de ses fonctions », D. aff. 1999, p. 782.

551 Cass. com., 8 mars 1982, n° 79-10412, Rev. sociétés 1982, p. 573, note Y. GUYON ; Cass. com., 22 janvier 1991, n° 89-11650, RJDA 2/1992, p. 114, n° 152 ; Cass. com., 27 janvier 1998, 93-11437, Bull. Joly Sociétés 1998, § 173, p. 535, note P. LE CANNU ; D. 1998, p. 392, obs. J.-C. HALLOUIN ; Cass. com., 12 janvier 1999, n° 96-19570, inédit.

552 Cass. com., 4 juin 1991, Rev. sociétés 1992, p. 55, note Y. CHARTIER.

553 Le critère de la faute détachable est déjà connu par le droit administratif qui retient la responsabilité de l’agent pour sa faute personnelle détachable de ses fonctions et non pour sa simple faute de service. Sur l’origine de ce principe, E. NICOLAS, « La notion de faute séparable des fonctions des dirigeants sociaux à la lumière de la jurisprudence récente », Rev. sociétés 2013, p. 535. V. également, B. DONDERO, « L’immunité des dirigeants d’entreprise », in O. DESHAYES (dir.), Les immunités de responsabilité civile, Paris : PUF, 2010, p. 37.

554 J. ABRAS, « L’exigence d’une faute séparable des fonctions entendue restrictivement : présent offert aux dirigeants ou nécessité ? », JCP E 2008, n° 27, p. 1912. A contrario, l’exigence d’une faute séparable ne s’applique pas, par exemple, au gérant d’une société en participation, celle-ci n’ayant pas de personnalité morale. V. Cass. com., 4 février 2014, n° 13-13386, RDC 2014, n° 3, p. 372, note G. VINEY ; Bull. Joly Sociétés 2014,

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personnelle du dirigeant n’étant qu’exceptionnelle et subordonnée à la démonstration d’une faute détachable des fonctions.

149. L’imprécision de la notion de faute séparable a permis à la Haute juridiction de

l’interpréter de manière assez large et, par conséquent, d’exonérer largement les dirigeants, et ce, parfois même en cas de faute grave de gestion555. De cette position, certains auteurs ont conclu que la responsabilité civile des dirigeants envers les tiers est introuvable556 alors que d’autres ont pu qualifier le principe de la faute détachable d’« immoral »557. Par un arrêt en date du 20 mai 2003, la Cour de cassation a modifié sa position en définissant la faute séparable du dirigeant. Celle-ci est ainsi retenue « lorsque le dirigeant commet

intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales »558. Cette jurisprudence a été considérée comme un signe d’une exigence accrue à l’égard des dirigeants559. Il n’en reste pas moins que les conditions qu’elle impose ne sont pas faciles à caractériser. En effet, la victime qui subit un préjudice résultant d’une attribution excessive de rémunération doit prouver, tout d’abord, que le dirigeant a commis une faute intentionnelle, ce qui exclut toute faute commise par imprudence ou par négligence. Ensuite, la faute doit être d’une particulière gravité, ce qui équivaut à une faute lourde. La faute lourde s’apprécie au regard de la gravité de ses conséquences560, ce qui ne donne la possibilité de condamner la rémunération que lorsqu’elle conduit à mettre la société

555 Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-15418, D. 1999, p. 639, note M.-H. LAENDER ; Rev. sociétés 1999, p. 111, note B. SAINTOURENS ; RTD com. 1999, p. 142, obs. B. PETIT ; Cass. com., 28 avril 1998, n° 96-10253 ;

Bull. Joly. Sociétés 1998, § 263, p. 808, note P. LE CANNU ; RTD civ. 1999.p. 99, obs. J. MESTRE.

556 M. LAUGIER, « L’introuvable responsabilité du dirigeant social envers les tiers pour fautes de gestion ? »,

Bull. Joly Sociétés 2003, § 261, p. 1231; F. DESCORPS DECLÈRE, « Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants sociaux », RTD com. 2003, p. 25. V. également, M. GERMAIN, J. HOEVERMANN, « Questions actuelles sur la responsabilité des dirigeants de société en Allemagne et en France », Dr. Sociétés 2006, n° 6, étude 12, p. 13 : « La réglementation française issue de la loi de 1966 semblait parfaite au

lendemain de cette grande loi de réforme […]. Elle permettait de façon claire la mise en œuvre de la responsabilité civile des dirigeants à l’égard des actionnaires ou à l’égard des tiers. Pourtant avec le temps le vieux vaisseau de la responsabilité grince de toutes parts. Faut-il le rénover de fond en comble, remplacer une pièce, ajouter un mécanisme nouveau ? Les débats français sont faciles à schématiser : un certain nombre d’articles ou de notes sur la responsabilité à l’égard des tiers dénoncent l’évolution de la jurisprudence, qui, par le jeu de la faute séparable, paraît mettre le dirigeant à l’abri de la responsabilité ».

557 P. LE CANNU, note sous Cass. com., 28 avril 1998, n° 96-10253, Bull. Joly. Sociétés 1998, § 263, p. 808.

Contra, S. SCHILLER, « Les fates des dirigeants sociaux », art. préc., p. 753 et s.

558 Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17092, Bull. Joly. Sociétés 2003, p. 786, § 167, note H. LE NABASQUE ; Rev. sociétés 2003, p. 479, note J.-F. BARBIÈRI ; D. 2003, p. 1502, obs. A. LIENHARD ; D. 2003, p. 2623, note B. DONDERO ; RTD com. 2003, p. 523, obs. J.-P. CHAZAL et Y. REINHARD ; RTD civ. 2003, p. 509, obs. P. JOURDAIN.

559 M. COZIAN, A. VIANDIER , F. DEBOISSY, Droit des sociétés, op. cit., p. 178.

560 La faute lourde est susceptible de deux sens. Dans un sens étroit, la faute lourde est « une négligence d’une

extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude de son auteur à accomplir la mission dont il était chargé » : Cass. mixt., 22 avril 2005, n° 03-14112, Bull. mixt., 2005, n° 4, p. 10 ; RDC 2005, p. 673, obs.

D. MAZEAUD. Dans un sens plus large, la faute lourde est caractérisée au regard de la gravité des conséquences issues de la violation délibérée d’une obligation essentielle. B. DONDERO, note sous : Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17092, D. 2003, p. 2623.

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en difficulté. Une rémunération, même importante en valeur absolue, ne peut permettre d’engager la responsabilité civile du dirigeant tant que la société est encore capable de payer. Enfin, le critère relatif à l’incompatibilité avec l’exercice des fonctions sociales n’est pas très précis et est susceptible de plusieurs interprétations561. En général, il vise le cas où le dirigeant agit dans son intérêt personnel en méconnaissance de l’intérêt social. Or, il a précédemment été souligné que l’intérêt personnel du dirigeant n’est pas nécessaire à la démonstration de la faute de gestion et que celle-ci peut résulter de la simple passivité du dirigeant, sans être forcément intentionnelle562. La jurisprudence a connu, depuis l’arrêt de 2003, une certaine évolution concernant l’interprétation de la faute séparable, mais la démonstration de cette faute reste toujours requise pour engager la responsabilité du dirigeant, ce qui réduit les chances de succès d’une telle action intentée par un tiers563.

150. Il n’en demeure pas moins que l’exigence d’une faute séparable des fonctions ne

constitue qu’une limite marginale à la responsabilité du dirigeant puisqu’elle ne concerne que la responsabilité envers les tiers. Or, il ne peut être nié que l’hypothèse d’un tiers victime d’une rémunération excessive n’existe que rarement en pratique. Il est vrai qu’un tiers, notamment le créancier, peut subir un préjudice lorsque le versement de la rémunération conduit à placer la société dans une situation de cessation de paiements. Néanmoins, en cas d’action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée contre le dirigeant dans le cadre d’une procédure collective ouverte à l’encontre de la société, la démonstration d’une faute séparable n’est pas exigée. Le tiers n’a à démontrer cette faute qu’en cas d’action individuelle pour réparer un préjudice personnel distinct de celui de la société564. Une telle situation reste exceptionnelle en matière de rémunération des dirigeants.

151. Par ailleurs, le préjudice résultant de l’attribution d’une rémunération excessive

est le plus souvent subi par les actionnaires. Ceux-ci peuvent engager la responsabilité du

561 S. WDOWIAK, « La faute détachable des fonctions, condition de l’action en responsabilité du tiers contre le dirigeant : entre certitudes et hésitations », Gaz. Pal. 6 avril 2013, n° 96, p. 8, spéc. n° 10.

562 V. supra, n° 135.

563 E. NICOLAS, « La notion de faute séparable des fonctions des dirigeants sociaux à la lumière de la jurisprudence récente », art. préc., p. 535 ; Cass. com., 10 février 2009, n° 07-20445, D. 2009. p. 559, obs. A. LIENHARD ; Rev. sociétés 2009. p. 328, note J.-F. BARBIÈRI ; RTD civ. 2009, p. 537, obs. P. JOURDAIN ;

JCP E 2009, 1602, note B. DONDERO ; Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-66172, inédit ; Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-11027, Rev. sociétés 2011, p. 416, note I. RIASSETTO ; Cass. com., 9 décembre 2014, n° 13-26298,

Bull. Joly Sociétés 2015, § 113, p. 134, note P. DUPICHOT ; Cass. com., 27 mai 2014, n° 12-28657, Bull. Joly

Sociétés 2014, § 112d4, p. 467, note E. MOUIAL-BASSILANA ; Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-14575, Bull. Joly

Sociétés 2015, § 113t0, p. 363, note S. MESSAÏ-BAHRI ; Cass. com., 3 juin 2015, n° 14-14144, inédit ; Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13104, inédit.

564 Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-16536, JCP E 2006, 2035, n° 2, note J.-J. CAUSSAIN, F. DEBOISSY et G. WICKER.

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dirigeant sans que la preuve d’une faute séparable soit nécessaire565. Il en est de même pour les actions en responsabilité civile liée à une infraction pénale566. Dans toutes ces situations, le recours à l’assurance semble une bonne solution pour le dirigeant.

b) L’assurance de la responsabilité civile du dirigeant

152. Face à l’augmentation du risque de commettre des fautes entraînant l’engagement

de leur responsabilité personnelle, les dirigeants cherchent à se protéger par des assurances couvrant cette responsabilité (1). La question de la possibilité d’une prise en charge directe par la société des conséquences de la responsabilité de ses dirigeants peut également se poser

(2).

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