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5. Vers une approche intégrée des processus de fatigue

Dans ce domaine de l’Ergonomie, l’activité du sujet est donc majoritairement appréhendée dans l’environnement naturel/culturel, c'est-à-dire dans le contexte quotidien du déroulement de l’activité.

« Pour appréhender l’activité cognitive et recueillir des éléments d’explication […] il est absolument indispensable d’en faire l’étude dans son contexte naturel de réalisation, aussi complexe soit-il. » (Le Guilcher & Villame, 2002, 104).

Cadre théorique

L’étude in situ de l’activité offre l’avantage de ne pas modifier les caractéristiques naturelles de l’environnement, en comparaison d’une situation simulée en laboratoire par exemple.

« Le contexte ne peut être défini indépendamment de l’activité. » (Leplat, 2008, 135)

En ce sens, l’analyse d’un agent dans ses diverses tâches quotidiennes favorise le respect des critères de validité écologique.

« L’attention portée à la validité écologique conduit vers l’étude de cas. […] L’étude de cas amène à rechercher les critères de validité non seulement dans les effets du fonctionnement du système considéré, mais aussi dans les caractéristiques du fonctionnement lui-même, et donc, dans les traits de la situation. » (Leplat, 2002, 27)

Or, nous venons de voir que le milieu maritime est sous-tendu par de nombreuses contraintes. L’environnement naturel du bateau est même qualifié « d’agressif » d’après Le Roy et Breuille (1997) :

« Le travail en mer se déroule dans un espace souvent exigu, toujours inextensible et souvent utilisé de façon multifonctionnelle par les hommes : le bateau. » (Le Roy & Breuille, 1997,5)

Ainsi, il est fondamental de recourir à un aménagement méthodologique adapté à cet environnement. Avec les membres de notre laboratoire de recherche spécialisé en Ergonomie, notamment Benoit Grison et Olivier Buttelli, nous avons procédé à cette réflexion méthodologique afin d’analyser la fatigue des marins en situation réelle.

« Cet observatoire est flexible et ouvert. […] Il est le produit de tout un processus de création de méthodes nouvelles et d’intégration, moyennant transformation, de méthodes anciennes, par tâtonnements et réflexion théorique et épistémologique. » (Theureau & Jeffroy, 1994, 37)

Il s’agissait de construire une méthodologie adéquate, en respectant les contraintes physiques, culturelles et techniques inhérentes à l’environnement maritime.

« La finalité retenue et les connaissances diverses disponibles par ailleurs (méthodes, modèles, situations voisines, etc.) orienteront la planification du recueil, laquelle guidera l’exécution du recueil. » (Leplat, 2002, 5)

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Le contexte de cette recherche se révèle être une « Situation d’Etude Privilégiée » (Grison & Riff, 2002) pour l’étude des phénomènes de fatigue au travail. Cette étude dans l’environnement naturel et culturel propre aux marins va permettre de caractériser finement et d’objectiver leurs sensations de fatigue.

« Il faut envisager les sujets comme des « co-détectives » qui peuvent contribuer à travers leur expertise à l’élaboration de dispositifs d’objectivation écologiquement pertinents » (Grison &

Riff, 2002, 8).

Un individu possède toujours une certaine expérience de sa propre activité. En ce sens, il peut éclairer le regard de l’ergonome, et par la même intention, le renseigner avec des informations « personnalisées » de la situation.

« L’acteur […] « voit » toujours des aspects de la situation que l’observateur ne « voit » pas.

La « tâche prescrite » est souvent très différente de la tâche effective. » (Theureau & Jeffroy, 1994, 65)

Cette contribution des acteurs engagés dans l’activité est rendue possible par le positionnement du chercheur, en faveur d’une adaptation visant à améliorer l’activité. Cette adhésion de l’ergonome et de l’acteur au projet étant réunie par la poursuite d’un objectif commun.

« L’expérience montre, toujours moyennant les mêmes conditions éthiques, contractuelles et politico-sociales, que, pour un ergonome effectivement intéressé par une amélioration des situations de travail […] il est aisé d’établir avec l’acteur un consensus sur les visées de l’étude effectuée. » (Theureau, 2006, 191)

L’approche intégrée des processus de fatigue s’est élaborée graduellement dès mes premières recherches universitaires sur cette même thématique (mémoires de maîtrise et de DEA), qui ont porté respectivement, sur des skippers de convoyage de voiliers, puis des marins pêcheurs.

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5.1. La fatigue perçue

Dans un premier temps, nous nous sommes focalisés sur la fatigue perçue, Theureau (2006), conseille en fonction des possibilités, de combiner plusieurs méthodes afin de recueillir les données.

« La combinaison de plusieurs méthodes de l’observatoire […] et son adaptation en fonction des nombreux facteurs, la nature des situations et activités étudiées, les possibilités qu’elles offrent à l’observation et à la verbalisation. » (Theureau, 2006, 229)

Leplat (2008) va également en ce sens pour les recherches ergonomiques. Il conseille de multiplier les méthodes, dans l’intention de recouper entre-elles, les données provenant de sources différentes et variées.

Vermersch (2000) fait d’ailleurs un constat identique : les descriptions d’expériences subjectives sous forme d’entretien ne sont pas suffisantes. Elles ont besoin d’être corroborées.

Dans l’analyse de l’activité, il est important selon lui d’éclairer une situation par d’autres types de données, issues indépendamment, avec par exemple des observations ou des enregistrements vidéo.

« Ces données comportementales et contextuelles sont nécessaires à la documentation des contraintes et effets de l’activité. » (Theureau, 2006, 181)

Par conséquent, il semble fondamental à travers la construction méthodologique, de coupler des données d’observation à des données issues d’entretiens individuels. Ces derniers étant réalisés à posteriori avec les marins. Des données de sources diversifiées pourraient s’advenir complémentaires entre elles.

« La prise en compte du point de vue subjectif […] est fondamentalement complémentaire au recueil nécessaire de traces et d’observable, et ne saurait prétendre s’y substituer totalement. » (Vermersch in Jeffroy, Theureau, & Haradji, 2006, 132)

L’observation directe ou encore ethnographique est un outil méthodologique régulièrement utilisé dans le cadre de l’ergonomie. C’est d’autant plus important dans cet

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environnement maritime, avec une empreinte culturelle forte et de nombreux présupposés de la part des personnes non familières de ce milieu.

« L’observation est une méthode privilégiée dans l’analyse de l’activité. » (Leplat, 2000, 88)

Pour mener à bien mes investigations, l’observation directe s’avère incontournable, c’est pourquoi j’ai eu recours à cette forme d’observation sur tous mes embarquements.

« L’enquête ethnographique apparaît en fait comme devant être développée tout au long de l’étude sur le terrain. » (Theureau, 2006, 152)

Maline et Dorval (1991a), dans leurs travaux sur des chalutiers pêchant la langoustine en mer d’Irlande, insistent en ce sens à propos de l’observation ethnographique :

« La présence d’un groupe de six ou sept individus au travail ainsi que la nature de la situation de travail qui associe étroitement travail et vie personnelle à bord, nécessitent, avec encore plus d’acuité que dans d’autres terrains d’investigation une approche ethnologique de la situation ».

(Maline et Dorval, 1991a, 169)

De plus, ces mêmes auteurs insistent fortement sur l’aspect temporel d’une étude dans le milieu maritime. Ils préconisent d’embarquer longuement sur les navires afin de cerner toutes les caractéristiques inhérentes à cette profession, et même de renouveler les embarquements, tel Hazelhurst (1999) dans son étude sur des chalutiers suédois.

« La durée doit être aussi considérée comme une exigence à part entière dans la méthodologie de recueil des données. C’est au cours d’embarquement répétés (trois en l’occurrence), pendant lesquels il vit entièrement et intimement avec l’équipage, que l’ergonomiste a pu construire sa connaissance in fine des mécanismes d’activités collectives de travail. » (Maline et Dorval, 1991a, 171)

Hazelhurst (1999), a également eu recours à cette observation directe, mais dans une finalité psychologique. Il a ainsi recueilli ses données de thèse, traitant de l’activité cognitive des patrons pêcheurs sur des chalutiers pélagiques.

Cadre théorique

Pour autant, l’observation directe ne suffit pas au recueil de données subjectives sur la fatigue en milieu maritime. Elle n’ouvre pas l’accès aux perceptions de l’individu au cours de son activité.

« L’observation extérieure des interactions de l’acteur avec son environnement (y compris social) est insuffisante à deux points de vue. D’une part, ces interactions ne sont pas entièrement observables de l’extérieur. D’autre part, il est impossible, de l’extérieur, de s’assurer de la pertinence de la description effectuée pour l’organisation interne de l’acteur, de ne pas prendre l’acteur pour soi-même. » (Theureau, 2004, 21)

De ce fait, il est important d’y associer un recueil de données sous forme de verbalisations ou « points de vue à la première personne ». Ces entretiens individuels garantissent la prise de conscience d’un individu durant sa tâche quotidienne (Vermersch, 2000).

« L’entretien tiendra une place de choix aux différents moments de l’analyse de l’activité en situation de travail. » (Leplat, 2000, 82)

5.2. La fatigue objectivée

Dans un second temps, nous désirions nous intéresser à la fatigue « réelle », c'est-à-dire celle de l’organisme des marins. Nous avons choisi la variabilité de la fréquence cardiaque comme indicateur physiologique. Celle-ci présente l’avantage d’être une méthode de mesure non-invasive (électrodes de surface), non-encombrante et opérant sur de courtes périodes. L’enregistrement de ces données de la fréquence cardiaque pouvait donc se dérouler dans le contexte de l’activité quotidienne des sujets. Ceci renforçant la validité écologique de cette étude ergonomique.

La fatigue objectivée peut d’abord être appréciée à travers des situations de tests orthostatiques, afin d’évaluer cette variabilité de la fréquence cardiaque à différentes périodes des embarquements (suivi longitudinal). Ensuite, nous pouvons compléter nos investigations de la fatigue objectivée par des enregistrements continus de la fréquence cardiaque, et ce, simultanément à l’activité des marins. Il serait alors question d’évaluer la variabilité de la fréquence cardiaque en fonction d’une activité précise et à un moment donné.

Cadre théorique

Observation Directe

Entretiens Individuels

Tests Orthostatiques

Enregistrements continus Approche intégrée des processus de fatigue

Cadre théorique

5.3. La mise en place d’interfaces opératoires

Enfin, nous allons tenter de circonscrire des interfaces opératoires entre les différentes données de notre approche intégrée des processus de fatigue. Initialement, ces données provenant de champs scientifiques différents ne sont pas conçues pour être confrontées entre elles. Outre une analyse fine et précise de l’activité, nous recherchons à prévenir d’éventuels décalages entre la réalité de la fatigue et sa perception qu’en avait le marin. Néanmoins, nous ne sous-estimons pas la difficulté de cet exercice par le caractère hétérogène des données.

Ce positionnement théorique ne peut permettre un approfondissement des niveaux d’analyse à degré égal, par rapport aux chercheurs se consacrant à un niveau unique. Mais nous faisons ici le pari, de la fécondité d’une construction méthodologique étayée sur plusieurs niveaux d’analyse. Ce dispositif pourrait ainsi faire émerger à l’interface des niveaux, des conclusions scientifiques en partie inaccessibles à travers une seule perspective de méthode.

« L’étude de cas, comme celle de l’activité, échappe à une vue purement disciplinaire. Le cas est au confluent de déterminants multiples qui ne relèvent pas tous du même champ. […] La triangulation des données a pour but de croiser les points de vue, de tisser un réseau qui fera apparaître l’organisation du cas. » (Leplat, 2002, 3)

Cette « triangulation » des données implique d’articuler nos différents niveaux d’analyse entre la fatigue perçue et celle objectivée. Il s’agirait d’utiliser un « dénominateur commun » pour mettre les données psychologiques et physiologiques en interrelation.

« Croiser les angles d’analyse c’est les articuler, les coordonner, et non simplement les juxtaposer. » (Leplat, 2000, 100)

Cadre théorique

La disparité primaire et manifeste des niveaux d’analyse, viserait à se transformer ici en « richesse » ou complémentarité d’analyse. Dans l’intention d’appréhender une situation de manière la plus globale et précise qu’il soit, par la diversité des outils méthodologiques employés.

« En ergonomie, encore, il est recommandé d’utiliser conjointement plusieurs méthodes afin de recouper et d’enrichir les informations apportées par chacune d’elles. » (Leplat, 2008, 191)

Observation Directe

Enregistrements Continus Entretiens

Individuels

Tests Orthostatiques

Méthodologie

METHODOLOGIE