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5.1. La fatigue objectivée

Les données stockées au moyen du logiciel « Polar ® », étaient ensuite exportées au format texte vers l’environnement de développement du logiciel Matlab 6.5®. Dans cet environnement, différents scripts développés au laboratoire et en partenariat avec Philippe Ravier de l’Institut Pluridisciplinaire de Recherche en Ingénierie des Systèmes, Mécanique et Energétique de l’Université d’Orléans (PRISME), ont permis d’analyser la variabilité de la fréquence cardiaque.

5.1.1. Les tests orthostatiques

Les signaux contenant les intervalles R-R, ont été traités afin de passer du domaine temporel à celui fréquentiel. La transformation a été effectuée au moyen de la méthode autorégressive P-Burg (paramétrique) à l’ordre P fixé à 9 (Task Force of European Society of Cardiology, 1996). Dans le domaine fréquentiel, différentes quantifications énergétiques ont été réalisées suivant deux bandes de fréquences distinctes :

- une bande haute fréquence [HF : 0,15Hz-0,3Hz] ; - une bande basse fréquence [LF : 0,04Hz-0,15Hz].

Les données présentées seront uniquement celles des hautes fréquences normalisées (HFnu). La normalisation consistait à rapporter les valeurs énergétiques des hautes fréquences sur celles de la somme des hautes fréquences et des basses fréquences : HFnu = HF/

(LF+HF)*100 (Cottin, Papelier, Durbin, Maupu, & Escourrou, 2001 ; Hedelin, Bjerle, &

Henriksson-Larsén, 2000). Avec la seule valeur normalisée (HFnu), les valeurs des deux bandes de fréquence sont alors implicitement représentées.

Méthodologie

5.1.2. Les enregistrements continus

Les signaux contenant les intervalles R-R ont été traités à partir d’une transformée en ondelette continue de Morlet (Rajendra Acharya et al., 2006). Les quantités d’énergie correspondant aux deux bandes citées préalablement (HF et LF), sont exprimées en unité arbitraire, tout au long de l’enregistrement (échelle temporelle).

Les résultats seront présentés sous forme de graphique temps/fréquence :

- l’échelle de temps en abscisse (de 0 à 60/90 minutes) ;

- la fréquence en ordonnée (LF [0,04Hz-0,15Hz] et HF [0,15Hz-0,3Hz]) ;

- l’intensité de l’énergie correspondante sera suggérée par une gamme de couleur (la quantité augmentant du bleu au rouge).

L’état de fatigue du sujet durant son activité sera alors interprété de façon identique aux tests orthostatiques, soit à travers les régulations du système nerveux autonome. Les enregistrements vidéo et l’observation « à flux tendus » aident à relier les variations d’énergies du graphique avec le descriptif de l’activité du marin (contextualisation).

5.2. La fatigue perçue

5.2.1. L’observation directe

Concernant l’observation, ainsi que nous l’avons souligné préalablement, les phases de recueil et de traitement des données tendent à s’inscrire dans un continuum.

« L’analyse procède sur un mode séquentiel, puisqu’elle est déjà largement entamée au cours de la collecte des données. » (Becker, 1958 reproduit in Céfaï, 2003, 351)

Au cours de l’observation participante, lors de la construction des données, je relisais au fur et à mesure les données recueillies. Ceci avait pour effet de m’amener à approfondir les investigations sur le terrain, afin de vérifier et préciser des ébauches d’analyse.

Graduellement, à travers certains aspects récurrents relevés de l’activité des marins, les axes de recherche adoptés s’affinaient.

Méthodologie

« L’analyse systématique, entreprise près l’achèvement du travail de terrain, consiste à vérifier à nouveau et à reconstruire les modèles avec soin, en prenant autant de garanties que possible parmi les données recueillies. » (Becker, 1958 reproduit in Céfaï, 2003, 359)

Le traitement, à proprement parlé, des données du carnet ethnographique s’est réalisé en deux parties distinctes. Au préalable, il était nécessaire d’intérioriser, de mémoriser toutes ces données par l’intermédiaire de multiples lectures du carnet. La première phase de traitement a consisté au découpage en différentes catégories de signification du contenu des carnets.

« Les concepts qui relèvent des mêmes phénomènes peuvent être regroupés pour constituer des catégories. » (Strauss & Corbin, 1990 reproduit in Céfaï, 2003, 367)

Cette étape avait pour objectif la création d’une première base de travail avant un traitement plus approfondi. C’est pourquoi, j’ai repris pour les quatre terrains la même architecture thématique, dans le but de « dégrossir » les données :

- la description de l’activité et les causes de la fatigue (n°1) ; - les manifestations de la fatigue (n°2) ;

- les ressources pour lutter contre la fatigue (n°3).

Ce découpage a été entrepris sous forme d’un codage par chiffres, avec par exemple, le chiffre « 2 » associé respectivement à la seconde catégorie des manifestations de la fatigue.

Ensuite, la deuxième phase de traitement consistait en une analyse bien plus fine. Il s’agissait de créer des sous-catégories en fonction de la richesse quantitative et qualitative des données. De la même manière que pour le premier traitement, un codage chiffré fut utilisé.

C’est à cet instant que j’ai dégagé les similitudes et récurrences inter-individuelles, puisque un argument ne sera recevable que si, et uniquement si, il est partagé par tous les sujets du même embarquement. J’ai alors effectué une comparaison entre les catégories de signification relatives aux différents marins. Ceci m’a permis de décrire les « structures fondamentales des phénomènes étudiés » pour reprendre les termes de Bachelor et Joshi (1986). Ces sous-catégories furent par la suite découpées, réorganisées et renommées : certaines ont fait leur apparition, d’autres ont fusionné ou furent scindées.

Méthodologie

« L’enquêteur […] peut identifier, catégoriser et nommer les unités de base de sa théorie. Le codage va générer de tels concepts, conduire à leur multiplication, à leur accumulation, à leur confrontation et à leur regroupement ; du même coup, l’analyse va « monter » en précision et en complexité, en généralité et en abstraction. » (Strauss & Corbin, 1990 reproduit in Céfaï, 2003, 367)

Nous allons pouvoir clarifier ce second traitement, avec un extrait de la catégorie des manifestations de la fatigue, issu du carnet en observant Jimmy :

___________________________________________________________________________

Stress = beaucoup de manœuvres, plus de moments stressants « * »

Problème : ne pas arriver à dormir ; chaleur, bruit, vibrations « 1 »

Réveil à 8H30 = 3H de sommeil « 1 »

6H de sommeil d’affilée = seulement 4 à 5H de sommeil avec beaucoup de réveils ► « 1 »

Il dort mieux le matin de 5H à 11H « 1 »

Problème pour dormir le soir après dîner = TV « 1 »

Fatigue sur les jambes, on n’est jamais assis « 2 »

Dragage = plus de concentration ; travail sur le pont = plus physique « * »

Mais pas de problème car 6H de sommeil « 1 »

Le soir = sommeil avant le quart jusqu’à 22H30 « 1 »

Dort bien le matin mais peu : 7H à 10H « 1 »

Pas de problème pour le quart de nuit = plus tranquille, plus calme, rapports humains différents « 3 »

Plus ennuyant en Loire, ça passe moins vite ; rien à faire pour le matelot pendant la route, juste le nettoyage « 3 »

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« 1 » : sous-catégorie intitulée « le sommeil »

« 2 » : sous-catégorie intitulée « le travail physique »

« 3 » : sous-catégorie intitulée « la lassitude »

« * » : erreur dans le premier traitement, catégorie « description de l’activité, causes de la fatigue »

Méthodologie

Le traitement des données d’observation « à flux tendu », dont l’objectif premier étant de faciliter l’interprétation des enregistrements continus de la fréquence cardiaque, était dissemblable. En effet, de part sa précision dans l’observation, j’ai pu élaborer des mesures quantitatives des diverses tâches accomplies par les marins. Des statistiques sur une heure d’observation à « flux tendu » s’avèrent efficaces pour se représenter objectivement l’activité de l’acteur. Elles illustrent à titre d’exemple, la fréquence d’utilisation des treuils pour le dragueur sur 60 minutes (moyenne calculée à partir de plusieurs enregistrements).

5.2.2. Les entretiens

En ce qui concerne les entretiens, retranscrits sur papier, leur longueur était très conséquente, il fallait les « intérioriser ». C’est-à-dire les relire à de multiples reprises pour assimiler le corpus recueilli. Ces données brutes furent traitées de façon similaire à l’observation directe. A l’exception près, qu’il est plus aisé de traiter des extraits de corpus comparativement à des prises de notes. Cette remarque insiste sur une plus rapide constitution des catégories ou sous-catégories. Ceci peut paraître cohérent, puisque si les thématiques sont abordées de manière aléatoire dans les entretiens, leur description verbale s'opère de façon linéaire. D’ailleurs, la phase du premier traitement avec le découpage en trois catégories distinctes fut promptement exécutée. Malgré tout, la difficulté propre aux entretiens était, que dans leur format retranscrit, ils sont fortement chargés en implicite et sous-entendus. En ce sens, ils requièrent une lecture plus attentive que les carnets ethnographiques.

Méthodologie

Un extrait du second entretien avec Albin dans la catégorie des causes de la fatigue :

Questions Réponses

Ouais, donc, euh, les deux choses c’est quoi, gérer ton bateau et la route de l’autre pour voir s’il n’y a pas de problème quoi, sachant, pareil qu’il y a la flûte qui traîne derrière,

Ouais. C’est pas du stress, c’est pas euh…

Ouais, d’accord, mais attention, le stress, je parle pas de panique ! C’est juste augmenter ton attention et ta concentration, une surveillance on va dire un peu plus active.

Ouais, voilà.

Et donc, est-ce que tu pourrais euh, maintenant on va faire la comparaison par rapport à la séquence finale ?

Euh ouais, euh la comparaison, elle est toute simple, euh le pilote marchait en track, il y a une alarme, euh avec une concentration inutile à avoir puisque sur les écrans radar il n’y avait rien à 10 nm…

Ouais, parce que sur les trois quarts d’heure, tu regardes pas trop le radar…

Bah non, parce que là vu que je suis moins occupé avec le pilote, je regardais l’extérieur aussi…

Traitement réalisé pour cet extrait :

- Le violet correspond à la sous-catégorie « veille/vigilance » ; - Le jaune correspond à la sous-catégorie « lassitude ».

Nous voyons par le biais de cet exemple, que les catégories émanant du corpus sont bien organisées de manière linéaire, ce qui a facilité leur découpage.

Méthodologie

5.3. L’articulation des différents niveaux d’analyse

L’ultime phase du traitement des données a pour objectif de rassembler des informations provenant de différents niveaux d’analyse. Il s’avère alors nécessaire de comparer, recouper, et réorganiser les données traitées qui sont explicitées préalablement dans cette partie méthodologique. C’est le fait de fournir des interfaces opératoires autorisant la réunion de données hétérogènes : celles de la fatigue perçue (observation directe et entretiens) avec celles de la fatigue objectivée (tests orthostatiques et enregistrements continus). Ces interfaces opératoires, qui se veulent pertinentes, ont pour but de faire dialoguer ces données issues de sources variées.

Résultats et analyses