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La formation professionnelle des enseignants de langues

4.3. Comment évaluer le développement des apprentissages ?

4.3.2. Vers une évaluation alternative sociale : l’interévaluation

Huver & Springer (2011 : 280) opposent à l’évaluation institutionnelle par standards une démarche alternative d’évaluation « socialement partagée » entre les apprenants. L’évaluation alternative est définie comme un moyen d’apprendre sur soi à travers l’action réfléchie avec les autres. Elle suppose une approche sociale des apprentissages, une approche par projet qui rompt avec

l’approche transmissive des apprentissages et leur contrôle par le biais des référentiels. Le projet place l’apprenant dans un contexte social d’apprentissage où les apprenants échangent des points de vue, mutualisent des savoirs et savoir-faire et en construisent en collaborant.

Les apprenants sont ainsi amenés à évaluer socialement leur action pour faire des choix et construire ensemble. L’évaluation est perçue à travers le prisme de l’interprétation collective, du « évaluer ensemble » à partir du « créer ensemble ». L’activité de jugement des apprenants est centrale. Elle porte non seulement sur les compétences disciplinaires mais aussi sur les compétences interdisciplinaires et générales oubliées dans l’évaluation institutionnelle par standards qui vise uniquement les savoirs contrôlables dans des tâches scolaires. En effet, la dimension sociale, collective et interculturelle des apprentissages est absente de l’évaluation institutionnelle car elle ne prend pas en compte le processus d’apprentissage social et de développement des apprenants :

L’approche par standards ne peut en effet rendre compte des stratégies communicationnelles ni des processus d’apprentissage déployés dans ces situations, et ce d’autant plus qu’ils sont en partie imprédictibles, puisque liés à la situation, à la créativité et au parcours de chaque apprenant. (Huver & Springer, 2011 : 248)

Cette nouvelle optique suppose que les enseignants renoncent à leur pouvoir évaluateur et acceptent un statut d’accompagnateur des apprentissages. Elle implique également que les élèves développent un jugement réflexif pour construire et reconnaître leurs compétences. Elle accorde des droits aux apprenants :

Elle est négociée socialement par les acteurs impliqués dans l’acte de formation ; elle suppose un jugement et une interprétation collective qui ne peuvent être imposés et figés ; elle ne peut être déterminée de manière technocratique et descendante et n’a de sens que dans le cadre d’une forte contextualisation et intégration au processus d’enseignement et d’apprentissage ; elle est de ce fait dynamique et suit le cheminement individuel et collectif dans le cadre d’expériences d’apprentissage ; enfin, elle relève de l’éthique et doit pouvoir garantir les droits des apprenants, citoyens et acteurs sociaux, dans le respect de leur personnalité. (Huver & Springer, 2011 : 209)

Elle suppose aussi de nouveaux outils, une nouvelle culture de l’évaluation intégrée aux apprentissages. En effet, le développement des compétences et leur reconnaissance par les apprenants nécessite des outils pour accompagner la formalisation des compétences et la mise à jour du développement de l’apprenant. Dans la démarche alternative d’évaluation, l’apprenant

d’apprentissage, à différentes étapes du projet, ce qui montre bien la rupture avec l’évaluation institutionnelle par standards.

Dans le cadre de l’évaluation institutionnelle des compétences professionnelles, les moments d’évaluation formative (autoévaluation ou coévaluation) sont souvent évoqués mais leur finalité diffère de l’évaluation alternative proposée par Huver et Springer. L’analyse des manuels scolaires montre que l’évaluation formative ne sert qu’à préparer l’évaluation certificative. L’évaluation formative se situe en général en fin de chapitre avant l’évaluation certificative. Elle sert de tremplin à l’évaluation sommative, voire certificative. Elle indique les points forts et faibles des apprenants et elle conduit dans le meilleur des cas à une remédiation et une révision plus ciblée pour l’élève. La démarche alternative d’évaluation proposée par ces deux auteurs a pour mérite d’intégrer l’évaluation dans les apprentissages et d’en faire un moteur de l’apprentissage, de redonner aux sujets apprenants le droit de porter un jugement sur leurs actes et, par conséquent, d’en faire des citoyens responsables pas seulement individuellement mais collectivement.

Néanmoins, si l’évaluation joue un rôle central et fondamental dans le processus de développement de l’apprenant, si elle ne vise plus la validation de standards mais le développement personnel, social et l’acquisition de savoirs et savoir-faire disciplinaires, l’évaluation reste pensée dans sa dimension co-évaluative et non pas interévaluative. Les élèves définissent des référents à partir du projet et jugent les projets à partir de ces référents répertoriés. L’évaluation reste une pratique extérieure à l’action.

Pour ma recherche, je retiens les principes d’une évaluation alternative aux standards mais je propose d’aller vers une interévaluation en m’appuyant sur la définition du langage comme système d’évaluations sociales de Bakhtine/Voloshinov. En effet, pour ces auteurs, tout énoncé possède une dimension évaluative, comporte un appréciatif. Tout énoncé a un destinataire dont l’auteur de l’énoncé attend une « compréhension-responsive ». La compréhension-responsive suppose des accents de valeur, des appréciations. L’évaluation s’envisage donc dans une dimension sociale interrelationnelle au sein même du discours. Le langage est par nature évaluatif et suppose autrui. Par conséquent, le sujet parlant est par essence capable de jugement. L’évaluation est inhérente au dialogisme, elle se situe dans l’interrelation des sujets. Elle est donc le moteur même des apprentissages, la dynamique du processus du développement identitaire. Elle est dans le rapport réciproque aux autres à travers le discours. Elle est, pour reprendre les propos de Perrenoud (2004a), « fondue dans le travail d’apprentissage ».

Si l’essence même du langage est évaluative et sociale, alors l’évaluation en tant que capacité à juger ne doit pas être envisagée comme une posture à adopter mais comme une aptitude à reconnaître et à encourager à travers des formes d’apprentissages nouvelles qui favorisent le

dialogisme. L’interévaluation est la clé du processus de développement de l’identité scolaire et professionnelle. Elle permet une prise de conscience des capacités ou des difficultés à agir ainsi que des compétences développées ou à développer tout au long du processus. Ces prises de conscience peuvent être formalisées à travers le discours dans des écrits à plusieurs mains, à savoir dans des billets collectifs sur le blogue communautaire ou dans des monographies (voir chapitre 7) et faire éventuellement l’objet d’une évaluation certificative. Ne doivent-elles pas prioritairement révéler un stade de développement et engager les futurs professionnels dans une formation continuée ? Dans cette logique d’interévaluation, ce n’est pas la capacité à juger (c’est-à-dire la réflexivité) qui fait l’objet d’une évaluation. Certains auteurs (par exemple Huver, Cadet, 2010 : 129) définissent la réflexivité comme une compétence et se demandent s’il est nécessaire de l’évaluer et donc de la légitimer. En ce qui me concerne, la réflexivité étant l’essence même du langage, elle ne peut être considérée comme une compétence à évaluer. Ce sont les compétences référentialisées à travers le discours par l’action qui peuvent être évaluées. À partir de cette définition de l’évaluation, l’enseignant professionnel ne serait-il pas un praticien dialogique ?