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mouvement des potentialités et de la professionnalité

1.3.2. Les limites d’une recherche linéaire

Cette vision de l’enseignant-créateur nous renvoie à une formation qui ne peut être basée sur l’application de méthodes d’apprentissage mais à une formation par projet tournée vers une création qui permette d’en saisir l’expression. Elle nous renvoie donc à une recherche qui ne peut être fondée sur la transformation de l’existant (Berbaum, 1982 : 23) ou sur la validation d’une ressource pour l’apprentissage des langues. Par conséquent, ma démarche de recherche création pédagogique se distinguera de la recherche-action et de la recherche-développement.

1.3.2.1. La recherche-action comme intervention

Resweber (1995 : 25) propose deux finalités de la recherche-action : une finalité thérapeutique et une finalité d’amélioration professionnelle. Elle est souvent considérée comme « une action de formation » (Marmoz, 1983) visant à déclencher et interpréter un changement social souhaité par des praticiens dans un espace institutionnel déterminé. L’action de formation s’inscrit alors dans un processus de changement qui vise la modélisation d’une nouvelle pratique à partir de la formalisation d’une pratique observée. Elle aboutit à un produit (Berbaum, 1982 : 14) qui sert à évaluer l’action formation. La recherche-action engage ainsi le chercheur et les praticiens dans une investigation collaborative pour modifier, analyser et comprendre les pratiques en didactique des langues (Macaire, 2007). Même si la recherche action semble être « la méthodologie de recherche la plus adaptée » à « l’objet qu’étudie la didactique des langues » (Narcy-Combes, 2005 : 7), elle n’est pas appropriée, telle qu’elle est caractérisée par les chercheurs, à la lecture du développement professionnel dans l’action créatrice. Enfin, bien que la recherche-action apparaisse comme un « système ouvert », comme un « espace de création et non comme un simple champ d’investigation » (Macaire, 2007), la recherche action ainsi définie reste dans le domaine de la demande sociale souhaitée et pilotée par un chercheur. Même dans le cas d’un projet, le chercheur visera toujours à modifier l’agir professionnel.

Dans ma démarche de recherche, la demande de transformation sociale est absente. Le chercheur n’agit pas avec les praticiens. Il est créateur concepteur du dispositif mais extérieur à l’acte créatif. Son objectif n’est pas de provoquer des changements de pratiques pré-définies par la nouvelle approche mais d’observer les actions et prises de décision tout au long du processus de création. La recherche menée vise essentiellement à révéler ce processus. Le processus de création pédagogique occupe alors la place de l’action, le dévoilement de la professionnalité celle de la formation. Il s’opère ainsi des glissements sémantiques dans la démarche de la recherche : d’un côté, la recherche-action part d’une remise en cause d’une pratique pédagogique, elle guide les praticiens vers le produit souhaité dans le cadre d’une rationalité didactique ; de l’autre côté, la recherche création pédagogique est constitutive d’une quête, elle accompagne un processus de création qui dévoile le créateur à soi et à ses pairs dans le cadre d’un système social fonctionnant en réseau.

1.3.2.2. La recherche-développement : une ingénierie

éducative

La recherche-développement, quant à elle, est une recherche d’orientation technologique principalement utilisée dans les secteurs industriels (Latour, 2005 : 410). Les chercheurs de l’industrie la définissent comme suit :

Un ensemble particulier d’organisations et/ou de produits qui concernent la production de connaissances spécifiquement liées à la maîtrise de l’action et à l’innovation dans un domaine d’activité productive. Ces connaissances peuvent être fondamentales ou « appliquées » (techniques praxéologiques, méthodologiques), elles peuvent être également de type instrumental, la recherche développement incluant la construction d’outils ou la formalisation procédurale de savoirs d’expérience. (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques)1

En sciences de l'éducation, elle est définie ainsi:

l'analyse systématique du processus de développement de l'objet (matériel pédagogique, stratégies, modèles, programmes) incluant la conception, la réalisation et les mises à l'essai de l'objet, en tenant compte des données recueillies à chacune des phases de la démarche de recherche et du corpus scientifique existant (Harvey, Loiselle, 2007).

Elle a pour finalité le développement de programmes, modèles, produits pédagogiques, ou encore de dispositifs pédagogiques de formation médiatisés « inspirés par les travaux cognitifs et évaluatifs » (Van der Maren, 2009 : 8). Elle associe à la démarche scientifique les caractéristiques d'une démarche de développement de produit, ce qui explique le cadre méthodologique et la planification précise de la démarche :

Figure 5 : Modèle de recherche-développement en éducation (Harvey, Loiselle, 2009)

Dans le cadre de l’apprentissage des langues, la recherche-développement redéfinie par Guichon (2007 : 48) comme « recherche-développement contextualisée », suit les grandes lignes de l’ingénierie éducative. Le projet du Cabinet virtuel (Virtual cabinet) d’apprentissage de l’anglais s’appuie sur l’articulation technico-pédagogique. Le concepteur est à la fois l’ingénieur qui définit la technique et le didacticien qui opère des choix théoriques et détermine le programme. Les artéfacts, le curriculum et le programme sont par conséquent choisis, définis et donnés par le concepteur considéré comme expert.

Les utilisateurs sont alors exclus du processus de conception technique et pédagogique. Ils sont enfermés dans un modèle d’apprentissage prédéterminé et prescrit par le concepteur qui vise essentiellement le développement de compétences linguistiques en anglais. Les scénarios d’apprentissage sont dans ce cas fermés et fictifs ; ils reposent sur une succession de tâches scolaires à résoudre grâce à la médiation de l’objet technique imposé. Le concepteur vérifie ainsi la

« terminé » et un formatage par le pédagogique prescrit. Ils conduisent à une application des connaissances et à leur vérification comme le montre Anna Koenig- Wiśniewska dans le tableau suivant :

Tableau 3 : Principaux points d’opposition entre la conception des dispositifs numériques d’apprentissage de la LE : « Virtual Cabinet » (Guichon : 2006) et Blogue Communautaire, les deux dispositifs conçus dans le cadre de la

recherche-développement sectorielle. (Koenig-Wiśniewska, 2011 : 203)

Cette logique prescriptive cognitiviste constructiviste s’oppose à la logique de recherche socioconstructiviste que j’ai choisie. En effet, le dispositif conçu pour ma recherche repose sur une mise en projet de création numérique pédagogique. Le curriculum se construit alors au fur et à mesure de la création. Les étudiants créateurs élaborent des objets didactiques au sein même du dispositif qui ne visent pas uniquement les acquisitions linguistiques ; le cahier des charges se construit au cours de la création. Les besoins de formation émergent de l’activité créatrice qui n’est pas considérée comme un produit fini. Les connaissances s’élaborent dans les interactions générées par la création pédagogique ; elles sont référentialisées et validées socialement (voir chapitre 7).

Contrairement à l’ingénierie pédagogique et didactique inscrite dans une logique purement « mécanique-organique » (Van der Maren, 2009 : 8), mes travaux de recherche souhaitent s’inscrire dans une logique de processus-développement de la personne. Le terme développement, associé au terme recherche dans le cadre de la recherche-développement en didactique des langues, n’a donc pas le sens que je souhaite lui donner. En effet, la notion de développement ne renvoie pas au développement de la personne mais au développement d’un outil et à une modélisation de la connaissance par un concepteur. Enfin, le produit en soi et pour soi n’intéresse pas ma recherche. Les traces de l’activité créatrice sont pour moi le moteur du développement personnel et professionnel des futurs enseignants de langues. Il ne s’agit donc pas de procéder à la fin de la recherche « à une archéologie de la connaissance » comme le préconise Guichon (2006 : 48-49) mais de mettre en mouvement pendant l’activité créatrice la construction et la référentialisation des connaissances.