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mouvement des potentialités et de la professionnalité

1.3.3. Ma posture de chercheure

1.3.3.1. Une chercheure inductive

Comme nous venons de le voir, ma recherche s’intéresse au processus de développement personnel et professionnel de la personne. Elle renvoie au paradigme socioconstructiviste selon lequel les individus construisent socialement leur propre réalité et elle rejette ainsi le paradigme positiviste qui considère la réalité sociale comme extérieure aux individus. Elle s’intéresse donc à ce qui ne peut s’exprimer en termes quantifiables, aux qualités sensibles perceptibles de manière subjective pour apporter des connaissances professionnelles nouvelles. La subjectivité devient ainsi « un espace de construction humaine (Anadon, Guillemette, 2007). Ma recherche relève, par conséquent, de la recherche qualitative à orientation phénoménologique. Elle cherche à comprendre, interpréter des expériences sociales individuelles et interindividuelles vécues par des personnes plutôt qu’à les mesurer. Elle repose sur les principes épistémologiques d’humanisme, d’intersubjectivité, d’endoréférentialité et d’hétérogénéité décrits par Blanchet et Chardenet (2011 : 16). En effet, la personne est considérée comme riche et singulière, elle est appréhendée à partir de ses systèmes de

d’une pensée expérientielle subjective et sensible » et « le pôle d’une pensée conceptuelle, objective et rationnelle » (Gosselin, 2009 : 29). Elle intègre dans sa recherche ce qui structure l’esprit humain, la rationalité et son « corrélatif, la passionalité » (Giroux, 1995), les croyances, les convictions, les interprétations qui représentent le « coefficient personnel du savoir » (Polanyi, 1962). Elle peut elle-même difficilement faire abstraction de sa culture, de ses sensibilités, de ses valeurs (voir supra, chapitre 1). Elle use alors à la fois de sa manière de voir et sentir le monde, de son intuition comme « force interne » (Maffesoli, 2006) et de la rationalité pour saisir la réalité humaine, la comprendre et en dégager le sens. L’intuition, force ou « vision interne » que je nomme ici activité de création comme forme de connaissance de soi, comme « vecteur d’apprentissage de l’obscur » (Ardenne, 1997 : 9) devient une stratégie de connaissance, une méthode. Bergson définit également l’intuition comme une exigence scientifique d’un genre nouveau :

Elle demande à l’esprit un très grand effort, la rupture de beaucoup de cadres, quelque chose comme une nouvelle méthode de penser (car l’immédiat est loin d’être ce qu’il y a de facile à percevoir). (Bergson, 1959 : 456-457)

La chercheure tout comme les acteurs du dispositif de création s’enfoncent dans la perception des choses « pour la creuser et l’élargir » (Alain, 1940). Ils avancent « vers ce qui cherche à se faire jour » en eux (Lancri, 2009 : 10). Ils s’énactent (Masciotra, Morel, Roth, 2008 : 23) par l’activité de création, mode d’approche de la réalité pour se développer. Des données empiriques brutes émergent de l’activité de construction du réel. Elles sont utilisées par les acteurs du dispositif pour saisir leur professionnalité en construction et par la chercheure pour valider son intuition. L’exploration inductive accompagne ainsi le double mouvement de construction de connaissances et de construction identitaire. En cherchant à donner du sens a posteriori, la chercheure adopte donc une posture holistico-inductive. Elle participe à une « connaissance ordinaire » des phénomènes sociaux à partir d’un design émergent :

Interstices dans les mots et dans les choses. A certains moments, le vrai savoir est dans le bougé, dans l’aspect tremblant et frémissant de ce qui vit. C’est là que se niche le peu de vérité, la vérité approximative à laquelle il est possible de prétendre. (Maffesoli, 2006)

Elle s’inscrit ainsi dans une ère postmoderne de la recherche ouverte aux discours scientifiques pluriels sans « prétention à l’universalité » (Lyotard, 1979 : 53).

1.3.3.2. Ma démarche de recherche : l’analyse qualitative

inductive

L’approche qualitative inductive fait écho à mon sujet de recherche : l’évaluation qualitative. En effet, l’approche qualitative inductive tout comme la démarche d’évaluation qualitative tend essentiellement à décrire et comprendre l’engagement des individus dans leur démarche de construction identitaire professionnelle. La compréhension de la réalité oriente donc la recherche. Le terrain guide alors l’investigation scientifique. Le travail du chercheur consiste à produire du sens à partir des données brutes collectées dans l’action. Contrairement à l'approche hypothético-déductive, le sens n’est donc pas donné et vérifié dans le cadre d’une théorie déjà là, mais vient « après coup » (Blais, Martineau, 2006). Le chercheur doit alors relever un défi : construire des connaissances a posteriori à partir de données recueillies sans cadre théorique préalablement fixé. C’est la réalité qui est en quête d’une théorie (Chevrier, 2009 : 57). Pour saisir le sens dégagé par les individus et apporter de nouvelles connaissances scientifiques, le chercheur fait l’expérience d’un « anarchisme méthodologique » avant de s’imposer une structure :

Pour découvrir de nouvelles pistes à explorer tout serait bon. L’anarchisme méthodologique évoqué ici n’est pas sans intérêt comme peuvent en témoigner plusieurs épisodes du développement de la recherche en sciences humaines et sociales (Feyerabend, 1979). Pour autant, sauf à vouloir souscrire à une sorte de relativisme exposant la recherche aux risques d’une confusion générale et d’une inévitable dilution, on a du mal à concevoir une position qui au-delà d’une étape exploratoire largement ouverte ne ménagerait pas d’autres étapes, organisées sur la base de critères repérables qui, sans être forcément universels, seraient partagés par suffisamment de chercheurs pour qu’un examen critique de produit de la recherche soit possible. (Bru, 2010 : 8-9)

La « structure » de départ, issue de l'intuition du chercheur, est forcément floutée, chaotique et minimaliste. Elle se forge au gré du terrain exploré. Le terrain n'est donc pas immédiatement délimité, les questions de recherche et la méthodologie émergent de l'avancement du travail scientifique :

Le problème général de la recherche peut lui-même être reformulé au cours de la recherche. Il peut arriver, surtout au début de la recherche, que la formulation initiale du problème soit incomplète ou tout à fait inadéquate à la lumière des constatations issues des premières analyses inductives des données. La formulation elle-même du problème de recherche peut donc évoluer au cours de la recherche. La formulation

écrits de recherche ne corresponde pas nécessairement à la formulation initiale du problème, en début de recherche. (Chevrier, 2009 : 81-82)

La méthodologie dépend de l'objet étudié, « elle relève ainsi d'une (re)construction a posteriori" (Benelli, 2011). J'exposerai dans le chapitre suivant consacré à la méthodologie mon propre parcours inductif.

Chapitre 2