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La formation professionnelle des enseignants de langues

4.3. Comment évaluer le développement des apprentissages ?

4.3.1. Une nouvelle approche de l’évaluation : l’évaluation des compétences

L’approche par compétences en vigueur dans le domaine éducatif depuis les années 2000 nous amène à questionner les pratiques évaluatives antérieures à cette approche et à définir de nouvelles modalités d’évaluation. Pour Perrenoud (2004), jusqu’à l’émergence de curricula orientés vers le développement de compétences, l’école évaluait sans se poser la question de la mobilisation des connaissances et du transfert des connaissances en dehors du contexte d’acquisition. De même, dit-il, si la valeur accordée aux connaissances réside dans la capacité à s’en servir, à les mobiliser alors

Perrenoud, l’obstacle n’est pas technique mais épistémologique : il faut rompre avec le modèle scolaire de la connaissance et contextualiser les questions de connaissances.

La pratique d’évaluation est ainsi liée à la conception de l’acquisition et aux pratiques pédagogiques qui en découlent. De Ketele & Gerard (2005) distinguent les pratiques d’évaluation en fonction des pratiques pédagogiques et montrent leur évolution. Ils différencient la pratique d’évaluation dans une « approche par compétences » des pratiques d’évaluation dans une « approche par contenus » et dans une « approche par objectifs». Dans une approche par compétences, l’évaluation ne consiste pas à prélever des échantillons de contenus pour vérifier l’acquisition des connaissances transmises ou des échantillons d’objectifs spécifiques pour valider la maîtrise des objectifs mais elle consiste à proposer aux élèves la résolution d’une ou de plusieurs situations complexes « appartenant à la famille de situations définie par la compétence ».

Ces différentes approches et pratiques d’évaluation montrent que l’école est passée d’une théorie de l’enseignement (approche par contenus) à une théorie de l’apprentissage (approche par objectifs), d’une théorie de l’apprentissage à une théorie de situation-apprentissage (approche par compétences). La pédagogie par objectifs a permis de définir les programmes non plus en termes de contenus mais en termes de maîtrise. Elle a conduit à la définition de critères de réussite pour juger du niveau de maîtrise et elle a donné naissance à un processus d’évaluation en trois phases que l’on retrouve dans l’approche par compétences : la phase diagnostique, la phase d’évaluation formative et la phase sommative. La première phase sert à vérifier les acquis des apprenants, la seconde phase informe l’apprenant sur sa progression et l’enseignant sur la remédiation à mettre en place. Enfin, la troisième phase révèle ce qui est maîtrisé.

Néanmoins, si « la capacité à » est centrale dans les programmes, les apprentissages sont toujours éloignés des situations de la vie authentique et l’école, comme le dit Perrenoud, a du mal à évaluer hors du contexte d’acquisition. L’écart entre la vie réelle et l’idéal éducatif demeure important. L’école doit alors chercher à rapprocher les apprentissages des situations de la vie réelle. On parle alors de compétences de base ou de compétences socle censées faciliter l’insertion des apprenants dans la société. Le concept de compétence occasionne de multiples définitions donnant lieu à différentes orientations.

Tardif (2006 :17-18) explique que la notion de compétence a pris une orientation comportementaliste avant de s’inscrire dans une logique systémique. Cette première orientation comportementaliste s’explique par le lien fait entre la compétence et les tâches décrites dans un métier. Chaque tâche relevait d’une compétence particulière et chaque compétence assurait la réalisation d’une tâche. La compétence était perçue dans cette logique behavioriste comme une liste de savoir-faire ou de connaissances procédurales.

Cette orientation a été abandonnée pour laisser la place à une nouvelle orientation qui « insiste plutôt sur le caractère holistique et intégrateur de toute compétence ». Ces caractéristiques ont permis de prendre en compte des traits rattachés à la compétence comme les « systèmes de connaissances » et « la famille des situations ». Une compétence comprend des connaissances plurielles reliées et structurées en fonction de l’action. Ces traits sont alors au cœur des définitions de la compétence :

(…) un système de connaissances, déclaratives (le quoi) ainsi que conditionnelles (le quand et le pourquoi) et procédurales (le comment), organisés en schémas opératoires et qui permettent, à l’intérieur d’une famille de situations, non seulement l’identification de problèmes, mais également leur résolution par une action efficace » (Tardif, 2006 : 18)

Si les définitions plus récentes intègrent le caractère holistique et intégrateur de la compétence, elles ont cependant remplacé le terme « système de connaissances » par le terme « ressources », ce qui a permis, d’une part, d’éviter de limiter ce qui est mobilisé par la compétence au domaine strictement cognitif et d’intégrer différentes composantes. Ainsi, le passage de la notion de « système de connaissances » à la notion de « ressources » a permis d’accorder une place importante aux ressources externes longtemps négligées. Par ailleurs, les termes relatifs à l’identification et à la résolution de problèmes dans les nouvelles définitions sont délaissés au profit de nouveaux termes comme la mobilisation et la combinaison de ressources qui marquent la dynamique de la compétence. À ces termes s’ajoute « la famille de situation » comprise comme un ensemble de situations se rapportant à une compétence :

La compétence est la possibilité, pour un individu, de mobiliser de manière intériorisée un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une famille de situations-problèmes. (Roegiers, 2000 : 66)

L’idée que la compétence renvoie à des savoirs en acte et non à des connaissances semble faire consensus. Quelle que soit l’orientation choisie, les formations et les pratiques pédagogiques qui s’inscrivent dans une approche par compétences, s’inscrivent dans une logique d’action. Elles reconnaissent les limites des apprentissages purement théoriques dans l’exécution des tâches concrètes complexes. La compétence est définie comme un savoir-agir qui ne se réduit pas à un faire. Scallon (2004b : 107-109) décompose le agir en trois savoirs : le « savoir-mobiliser », le « savoir intégrer », « le savoir transférer ». Tardif (2006 : 22) propose une définition de la compétence qui englobe les différents choix précédemment évoqués :

Par ailleurs, la notion de compétence apparaît en sciences du langage au moment où Chomsky cherche à définir le mécanisme de la capacité à produire du langage. Elle est discutée ensuite en didactique des langues dans les années 80. Chomsky rompt avec le structuralisme saussurien en rejetant la dichotomie saussurienne entre « langue fait-social » et « parole fait-individuel » (Charaudeau, 2012). Selon Chomsky, le sujet est capable de produire un nombre illimité de phrases. Il appelle le lieu de cette capacité à produire des phrases « compétence » et celui de l’extériorisation de la parole « performance ». Il nomme ainsi « compétence » ce qui relève de la connaissance et « performance », ce qui relève du pragmatique. Pour Chomsky, la compétence linguistique ne relève pas du savoir-faire mais du savoir, c’est à dire des procédures de traitement de la syntaxe. Tout ce qui a trait à l’emploi de cette connaissance en situation concrète de communication ne relève pas de l’analyse linguistique.

Hymes, contrairement à Chomsky, donnera une définition plus ouverte de la compétence en langue. Pour lui, la « compétence de communication » englobe la compétence grammaticale, c’est à dire la compétence linguistique définie par Chomsky et la compétence socioculturelle. Selon Hymes, la compétence de communication est ainsi composée de deux types de savoir, un savoir linguistique fait de règles linguistiques et un savoir pragmatique fait de règles d’usage.

Suite à ces restrictions apportées par les générativistes, les linguistes analystes du discours se demanderont si les faits pragmatiques relèvent de la compétence ou de la performance. Ce débat aboutira à la reconnaissance de la compétence pragmatique. Charaudeau définira une compétence sémiolinguistique en trois composantes, à savoir la composante linguistique qui renvoie aux savoirs théoriques sur la langue, la composante situationnelle qui renvoie aux rituels socio-langagiers et la composante discursive qui renvoie aux stratégies de discours. Pour Charaudeau (2000), cette compétence bâtie sur un mouvement entre trois aptitudes conditionne la communication langagière :

Cette triple compétence constitue pour moi les conditions de la communication langagière. Que l’on dise qu’il s’agit de trois compétences ou d’une seule qui se compose de trois types d’aptitudes à faire, ce qui importe est que l’on considère que cette compétence (j’aurais pour ma part tendance à parler d’une « triple compétence langagière ») se constitue dans un mouvement de va-et-vient constant entre l’aptitude à reconnaître les conditions sociales de communication, l’aptitude à reconnaître-manipuler les procédés de l’organisation discursive et l’aptitude à reconnaître-manipuler les systèmes sémiolinguistiques, c’est trois types d’aptitude étant enchassés les uns aux autres. Cette compétence, si elle ne prétend pas être un jugement, comme dans le sens courant, est bien en revanche le résultat d’un montage dans lequel s’articulent savoir-faire et connaissances.

Dans une approche pragmatique de la compétence langagière, la dichotomie entre compétence et performance disparaît puisque la compétence langagière résulte d’une combinaison entre les savoir-faire pragmatiques et les connaissances. Quant aux compétences culturelles et interculturelles, elles n’ont, selon Charaudeau (2000), pas lieu d’exister. Que l’on entende par « culturel » les savoirs, les usages d’un groupe social ou par « interculturel » l’intercompréhension, ces compétences sont inhérentes à la compétence langagière.

La notion de compétence de communication a également été saisie par les didacticiens qui ne pouvaient se contenter d’une approche purement linguistique. La compétence en langue concerne bien entendu la compétence communicative langagière mais aussi la culture du pays et l’aspect éducatif et citoyen. Les didacticiens se sont attachés à redéfinir la compétence de communication à des fins d’apprentissage. Canale et Swain (1980) distinguent quatre composantes : une composante grammaticale qui inclut le vocabulaire, la phonologie et la sémantique ; une composante sociolinguistique qui renvoie aux usages et au contexte ; une composante discursive et une composante stratégique. Springer (1999) ajoute une composante dans « la marguerite de la compétence de communication » : la composante conversationnelle, composante importante qui sera introduite dans le CECRL du Conseil de l’Europe.

Le CECRL représente une synthèse du courant communicatif. La compétence communicative langagière résulte d’une combinaison de compétences linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques, compétences que nous avons déclinées précédemment. On notera que la composante stratégique décrite par Canale et Swain ne figure pas parmi les composantes de la compétence de communication langagière. Le découpage traditionnel des quatre savoir-faire (compréhension orale, compréhension écrite, expression orale, expression écrite) disparaît au profit d’une taxonomie d’activités langagières relevant de la réception, de la production, de l’interaction et de la médiation qui traduit une compétence en acte.

Ces activités langagières s’inscrivent à l’intérieur d’actions en contexte social dans le domaine public, professionnel, personnel ou éducationnel. Le CECRL dit s’inscrire dans une approche par compétences :

L’usage d’une langue, y compris son apprentissage, comprend les actions accomplies par les gens qui, comme individus et comme acteurs sociaux, développent un ensemble de compétences générales et, notamment une compétence à communiquer langagièrement. Ils mettent en œuvre les compétences dont ils disposent dans des contextes et des conditions variés et en se pliant à différentes contraintes afin de réaliser

l’accomplissement des tâches à effectuer. Le contrôle de ces activités par les interlocuteurs conduit au renforcement ou à la modification des compétences. (CECRL, 2001 : 15)

La compétence pragmatique et la compétence sociolinguistique sont définies. Elles sont néanmoins absentes de l’échelle d’évaluation du CECRL. L’échelle descriptive globale pour l’évaluation de la compétence de communication langagière présente une compétence communicative langagière morcelée qui se construit progressivement. Elle sert à certifier la performance de l’utilisateur/apprenant à différents moments de l’apprentissage. Elle liste des savoir-faire qui correspondent à l’opérationnalisation des activités langagières. Nous retrouvons pour chaque niveau commun de compétences le même lexique propre aux activités langagières : peut comprendre, peut communiquer, peut produire, peut s’exprimer.

Les savoir-faire progressent au fur et à mesure de l’acquisition des savoirs linguistiques décrits dans la grille « Niveaux communs de compétences – aspects qualitatifs de l’utilisation de la langue parlée ». Les savoirs conditionnent les savoir-faire. L’objet langue prédomine. L’échelle descriptive globale est accompagnée d’une grille d’auto-évaluation dans laquelle les objectifs généraux sont opérationnalisés. Ces objectifs opérationnalisés et décontextualisés visent à juger l’utilisateur/apprenant par rapport à un utilisateur/apprenant idéal. Cette évaluation non contextualisée externe au processus d’apprentissage a pour finalité de situer l’élève sur l’échelle de performance.

L’approche par compétences annoncée dans le CECRL s’avère être une approche par standards dérivée de l’approche par objectifs. Scallon (2000b, 137-138) définit l’évaluation dans une approche par objectifs comme une évaluation séparée des moments d’apprentissage visant la maîtrise « d’entités hors contexte ». Les tâches proposées en fonction du niveau commun de compétences comme, par exemple, remplir un questionnaire, indiquer son nom, sa nationalité ou écrire une lettre de remerciements, sont élaborées à partir du morcellement de la compétence de communication à construire. Comme on vise la « fabrication » d’un « élève idéal standard » (Roegiers, 2012), l’uniformisation à travers des standards mesurables, les savoirs et savoir-faire ne sont pas imbriqués dans des tâches complexes à dimension sociale. Le faire ensemble, le collectif disparaît au profit de l’individuel. Le CECRL fait l’impasse sur le complexe bien que la compétence se définisse dans sa double dimension individuelle et collective :

Il n’existe pas de compétences sans individus. Cette évidente « portabilité des compétences ne doit cependant pas conduire à la conclusion erronée selon laquelle la compétence serait exclusivement une affaire individuelle. À l’image des deux faces d’une médaille, toute compétence comporte deux dimensions –

individuelle et collective – indissociables. (…) Agir avec compétence suppose donc de savoir agir avec autrui. (Le Boterf, 2002)

Le développement social de l’élève ne constitue pas une priorité. L’homogénéisation supplante la créativité et la réflexion personnelle. Le portfolio européen de langue, élaboré à partir de l’échelle d’évaluation du CECRL, prouve que le développement de la personne n’intéresse pas ou peu l’institution. L’extrait ci-dessous montre que les indicateurs du portfolio tout comme les indicateurs du CECRL ne permettent pas de lire les compétences singulières développées par chacun. L’évaluation dans le portfolio ne propose pas à l’utilisateur/apprenant de prendre conscience de ses stratégies d’action et de les parfaire. Elle ne témoigne pas des progrès dans la durée de l’utilisateur/apprenant. L’évaluation est réduite à un contrôle de la performance à partir de descripteurs.

Le portfolio perd sa visée formative. Il ne peut pas rendre compte du processus de développement car il ne s’inscrit pas dans une démarche de référentialisation des compétences par l’utilisateur/apprenant. L’utilisateur/apprenant se juge à la fin des apprentissages par rapport aux attentes de l’institution. L’évaluation repose sur des standards qui ne permettent pas aux utilisateurs/apprenants de réagir socialement. L’élève fournit des preuves de maîtrise des savoirs et savoir-faire attendus et coche. Il s’efface derrière des standards. Les descripteurs ci-dessous visent uniquement le savoir comprendre à partir des savoirs purement linguistiques. Le descripteur « comprendre quelqu’un quand il parle de ce qu’il aime ou de ce qu’il n’aime pas » renvoie à un acte de parole de l’approche communicative : exprimer ce que l’on aime ou ce que l’on aime pas. Ce savoir-faire vise un savoir grammatical notionnel. Un élève apprenant l’allemand apprendra, par exemple, à employer le modal mögen (ich mag tanzen) et l’adverbe gern (ich tanze gern) pour exprimer aimer, un élève apprenant le français utilisera le verbe aimer (j’aime danser) et l’adverbe bien (j’aime bien danser).

La composante sociolinguistique est absente. Le descripteur ne prend pas en compte les variations linguistiques liées au caractère intime, personnel de l’expression du goût ni les marques linguistiques liées au groupe auquel l’énonciateur appartient (un enfant du primaire). La dimension humaine et sociale de la langue n’est pas prise en compte. La dimension authentique de la langue est perdue puisque seule la dimension linguistique est prise en compte.

Document 12 : portfolio européen de langue, extrait 1

La dimension sociale et personnelle n’est pas seulement occultée ou reléguée au second plan dans l’exploitation et le traitement des documents. L’héritage culturel des utilisateurs/apprenants ne participe pas à l’apprentissage. C’est une donnée extérieure. Le répertoire biographique ci-dessous, dissocié de l’évaluation et par conséquent de l’apprentissage, confirme cet effacement de l’individu. L’apport culturel pluriel des utilisateurs/apprenants ne participe pas à la dynamique de l’apprentissage.

Cette démarche d’évaluation par standards vise à fabriquer un élève-type, performant, efficace, mobile. Elle ne s’inscrit pas dans une vision humaniste de développement et d’épanouissement de la personne mais dans une vision mercantile. Le terme choisi pour désigner l’apprenant, utilisateur/apprenant, traduit cette vision utilitariste. Roegiers (2011) attire notre attention sur trois risques majeurs de l’évaluation par standards. Il évoque l’uniformisation des pratiques et des individus, l’iniquité et le manque de profondeur. Dans cette optique d’approche par standards, l’utilisateur/apprenant est dépersonnalisé, uniformisé. Il travaille à correspondre au modèle de « l’élève idéal standard ». Dans une optique développementale, l’utilisateur/apprenant construit sa propre identité, se regarde devenir compétent. Nous sommes ainsi face à deux logiques difficiles à concilier, logiques que nous allons retrouver dans l’analyse des référentiels de compétences des enseignants.

4.3.2. Les référentiels de compétences