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La formation professionnelle des enseignants de langues

4.1. La professionnalisation des enseignants

4.1.3. Comment se construit l’identité professionnelle ?

La question de l’identité professionnelle pour ma réflexion est essentielle. Il s’agit donc pour moi de développer la perspective anthropo-phénoménologique.

4.1.3.1. La construction de l’identité

Pour la phénoménologie, la construction de l’identité passe par une démarche personnelle active. Elle n’est pas pré-donnée mais construite à travers l’interaction personnelle du sujet avec l’environnement (Dorais, 2004 : 1-11). L’identité n’existe pas en soi, elle s’avère avant tout relationnelle. Elle se construit tout au long de la vie à travers la confrontation au milieu, aux autres. L’identité est « un processus qui ne se manifeste que quand il est mis en acte ». La mise en acte de l’identité est à la fois très personnelle puisqu’elle résulte de la volonté de l’individu d’entrer en relation avec son environnement et collective puisque l’interaction avec l’environnement suppose le dialogue avec les autres. L’identité suppose un rapport à soi et aux autres. Ces autres ancrent le sujet dans l’espace social, dans des espaces sociaux. Pour Lahire (2001 : 51), le sujet vit à l’intérieur d’univers socialisateurs pluriels. Il porte des expériences multiples et parfois

écho à celle concernant le sujet apprenant acteur social que j’ai développé pour la didactique des langues (voir chapitre 3).

4.1.3.2. La construction de l’identité professionnelle

enseignante

Gohier & al. (2001) reprennent la définition de l’identité comme rapport à soi et aux autres pour définir la construction identitaire professionnelle enseignante. La construction de l’identité professionnelle enseignante ne se réduit pas à une « identité socialement partagée » avec la communauté de pratique. La reconnaissance de la pratique professionnelle passe par l’intégration de l’identité professionnelle à l’identité personnelle. Pour Gohier et al. (2001) l’enseignant construit sa professionnalité dans un rapport à soi et aux autres :

C’est dans la tension entre la représentation qu’il a de lui-même comme enseignant, qui participe de celle qu’il a de lui-même comme personne et de celle qu’il a du groupe des enseignants et de la profession, dans l’interaction entre le je et le nous, que le futur enseignant aussi bien que l’enseignant en exercice peuvent construire et reconstruire une identité professionnelle. (Gohier & al., 2001)

Cette dialectique du rapport à soi et aux autres dynamise le processus de construction identitaire. Elle permet une constante remise en question du rapport à la pratique, des représentations de soi et du groupe. Ce modèle combine des dimensions psychologiques et sociologiques. Il conjugue ainsi des processus « d’identisation et « d’identification » (Anadon, Bouchard, Charbonneau, Gohier, Chevrier, 2001). Il se différencie du modèle purement sociologique de l’identité de Dubar (1996 : 111-113) constitué de deux identités distinctes qui cherchent à s’équilibrer, à savoir « l’identité pour soi », héritée, relevant d’une socialisation biographique et « l’identité pour autrui » c’est à dire l’identité attribuée par les membres de la société.

La dimension psychologique du modèle de Gohier & al. emprunte des concepts à la phénoménologie expérientielle et à la psychanalyse humaniste, à savoir le concept de congruence développé par Rogers (2005 : 223) et l’importance de la dynamique affective « dans le rapport de contiguïté avec l’autre ». Gohier et Anadon (2000 : 17-28) proposent alors de passer « d’un modèle sociologique du sujet » à un modèle psychosociologique intégré du sujet ».

Le sujet est un acteur social en interaction avec son environnement capable d’introspection. Ce modèle conduit à des méthodologies dans lesquelles le sujet livre son expérience individuelle, à savoir le récit biographique ou autobiographique (Anadon, Bouchard, Gohier, Chevrier, 2001 ; Malet, 2000a). Malet (1999 : 34) explique que « l’acte narratif » favorise l’expression de la formation et de l’identité du sujet. Cette approche narratologique souligne « le caractère relationnel, localisé dans un monde culturel du devenir personnel et de la compréhension de soi-même ».

L’action a du sens uniquement si « elle peut être imputable à un sujet » (Malet, 2000b). Pour Raymond & al. (1993 : 143), l’enseignant est à l’origine de la compréhension de son développement. Il comprend son développement identitaire comme « un récit autobiographique, structuré dans le temps ». L’énonciation est envisagée comme le moyen de formation de « l’enseignant-sujet », le moyen d’expression de « l’architecture du Soi » (Pinar, 1986 cité par Malet, 1998 : 19), « le moyen d’accès privilégié à la compréhension du sens subjectif et culturellement situé du devenir » (Malet, 2000b).

On voit très clairement une communauté de pensée entre les chercheurs en sciences de l’éducation qui s’intéressent à la professionnalisation et les chercheurs en didactique des langues qui s’intéresse à la dimension sociale de l’apprentissage. Cela confirme une de mes intuitions de départ à l’origine du dispositif de recherche mis en place.

4.2. « Se devenir » et « se reconnaître » par la

narration

On peut constater que certains départements de FLE et certaines formations en master enseignement ont mis en place un accompagnement réflexif dans le cadre de la formation professionnelle des enseignants de langues en formation initiale. Mais ces pratiques de terrain s’inscrivent-elles réellement dans la perspective anthropo-phénoménologique que je viens de décrire ? L’acte narratif apparaît comme un élément central pour ces formations, mais contribue-t-il à la construction identitaire professionnelle ?

enseignants de langues que l’on cherche à décrire la pratique des enseignants de langues. Guichon (2007a, 2007b), par exemple, pense l’écriture comme un moyen de développement de la compétence professionnelle.

L’analyse du discours oral ou écrit servirait ainsi à décomposer la pratique enseignante pour la modifier. En effet, certaines formations en didactique du FLE proposent un module de méthodologie pour réfléchir « au comment faire » de l’action enseignante et trouver des outils pour la mise en œuvre de l’enseignement (Laurens, 2010). Ce module est lié au développement des compétences professionnelles, par exemple celles répertoriées dans le référentiel des dix compétences de l’enseignant professionnel pour l’Iufm. Laurens propose d’organiser la formation autour d’une « trame méthodique repère », représentant un modèle « communicatif-actionnel » conçu en trois étapes : l’étape de réception, l’étape de réflexion sur la langue, l’étape de production (Laurens, 2003). Cette trame méthodique a pour inconvénient d’imposer aux futurs enseignants un modèle qui uniformise la pratique pédagogique. Il s’agit dans cette approche de vérifier si les enseignants parviennent à appliquer ce modèle ou si des résistances au nouveau modèle surgissent. On vise une certaine efficacité des pratiques en conformité avec une nouvelle doxa, celle du CECRL.

Cette idée d’action sur les représentations des enseignants de langues à partir des modèles didactiques actuels se retrouve dans les travaux de Causa et Cadet (2005) ou de Cadet (2005) sur l’agir professionnel des enseignants de FLE. Causa et Cadet s’intéressent au répertoire didactique construit par les futurs enseignants à partir de modèles pluriels scolaires, culturels rencontrés lors des étapes de socialisation. On la retrouve également dans les articles de Guichon (2007a, 2007b) sur la conception de dispositifs d’apprentissage médiatisés par les étudiants en master. Les projets TIC conduits par les étudiants visent l’élaboration de scénarios pédagogiques pilotés par la tâche. Les étudiants développent ainsi des savoirs de référence et des savoir-faire professionnels à l’intérieur d’un modèle d’apprentissage prédéfini par le formateur concepteur. Ils créent « un répertoire d’actions pédagogiques, méthodologiques et technologiques » (Guichon 2007b).

Il me semble que ces différentes propositions d’accompagnement réflexif s’inscrivent plutôt dans la vision rationaliste/cognitiviste. Cette optique de formation professionnelle par modèles prescrits et référentiels de compétences imposés s’intéresse pas ou peu au sujet social de la vision anthropo-phénoménologique. L’interaction du sujet avec l’environnement est biaisée par les modèles à développer. Le futur enseignant ne peut que répondre aux attentes professionnelles définies par les formateurs, appliquer les modèles transmis en formation en se détachant des modèles antérieurs (voir partie 3).

L’enseignant n’est donc pas un « enseignant-sujet ». Il est alors légitime de se demander comment un enseignant peut adopter une posture réflexive dans le cadre d’une formation où tout est pré-pensé pour lui. L’écriture semble répondre au besoin d’appropriation des savoirs plutôt qu’à l’invention de soi. Elle semble être un moyen de façonner le futur professionnel à travers des modèles plutôt qu’un moyen de se transformer à travers les interactions avec l’environnement. La prise de distance par rapport à la pratique s’opère dans le filtre des modèles. Les modèles ne favorisent pas la mise en place d’une démarche d’investigation critique qui déboucherait sur la création de conceptions nouvelles et des innovations.

4.2.1. L’acte narratif individuel, un « je »