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globale à partir de laquelle toutes cibles verrouillées par le système sécuritaire américain allaient être détruites259. On pourrait également considérer à l’instar

d’Hélène TIGROUDJA que « l’utilisation du vocabulaire issu du droit des conflits pour

décrire les attaques du 11 septembre et la situation juridique qui en est née n’est pas

anodine, mais traduit plutôt, du moins du côté américain, un changement de paradigme :

la lutte contre le terrorisme ne s’inscrit plus dans un contexte juridique de paix, mais

plutôt dans celui de la guerre »

260

. Dans cette approche globalisante on pouvait y voire

la réduction de la prolifération des armes de destruction massive détenues, semble t-il,

par certains pays parmi lesquels l’Irak

261

. Ceci est purement une démarche politique

que Gilles ANDREANI qualifiait de « bellicisation de la lutte contre le terrorisme »

262

.

Cette « lutte contre le terrorisme bellicisée » pour paraphraser l’auteur est une

particularité de l’unilatéralisme américaine.

172. L’expression « guerre contre le terrorisme » tout comme la notion de

« guerre » au sens strict font référence à une action militaire. Autrement dit, elles

renvoient toutes les deux à l’engagement dans la guerre au sens classique du terme ou

étroit, pour reprendre la terminologie confortablement employée par le Professeur

Eric DAVID

263

. Cependant, le parallèle à travers l’utilisation de l’expression « guerre

contre le terrorisme » et « lutte contre le terrorisme » n’apporte aucune valeur ajoutée

quant à son acceptation juridique. Bref, la « guerre contre le terrorisme » ne serait pas

considérée dans sa globalité comme une véritable « guerre » au sens juridique du

terme, c’est-à-dire comme un conflit armé au regard des dispositions prévues par le

259 Discours du Président BUSH au Congrès le 20 septembre 2002 : « Notre guerre contre le terrorisme commence par Al-Qaïda mais ne se termine pas là. Elle ne se terminera que lorsque chaque groupe terroriste capable de frapper à l’échelle mondiale aura été repéré, arrêté et vaincu. ». V. également, G. ANDREANI, « La guerre contre le terrorisme : un succès incertain et coûteux », IFRI / PE, 2011/2, p. 256.

260 H. TIGROUDJA, « Quel (s) droit (s) applicable (s) à la « guerre au terrorisme », AFDI, vol. 48, 2002. Pp. 82.

261 Discours à West Point du Président BUSH le 1er juin 2002 : « Le danger le plus grave qui menace la liberté se situe à la croisée périlleuse des chemins que sont le radicalisme et la technologie. Lorsque se produit une prolifération d’armes chimiques, biologiques et nucléaires et qu’existe la technologie pour la fabrication de missiles balistiques, même des Etats faibles et de petits groupes peuvent accumuler une puissance catastrophique leur permettant de frapper les grandes nations. ».

262 G. ANDREANI, « La guerre contre le terrorisme. Le piège des mots », Annuaire français de relations internationales, vol. IV, 2003. p. 105.

droit de Genève

264

. De toute façon, cette problématique n’a jamais été posée avant

2001. Ceci va dans le droit fil de ce que pense K. K. KOUFA, « La question nouvelle, celle

de savoir si un Etat peut être en guerre avec un groupe terroriste ou avec une

organisation criminelle multinationale ne s’était jamais posée avant le 11 septembre

2001. Depuis le 11 septembre 2001, elle se pose bien, et elle est même difficile »

265

. Cette

264 L’art. 2 commun aux convention de Genève de 1949 dispose que : « En dehors des dispositions qui doivent entrer en vigueur dès le temps de paix, la présente Convention en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles (…) » ; J. PICTET, Commentaire de la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, CICR, Genève, 1952, p. 34. « Tout différend surgissant entre deux Etats et provoquant l’intervention des membres des forces armées est un conflit armé au sens de l’article 2, même si l’une des Parties conteste l’état de belligérance. La durée du conflit ni le caractère plus ou moins meurtrier de ses effets ne jouent aucun rôle » ; le PA I quant à lui, étend la définition au-delà des conflits réguliers entre Etats, c’est-à-dire du conflit armé international aux conflits armés dans lesquels dans lesquels des peuples se battent contre la domination coloniale, l’occupation étrangère ou les régimes racistes en faisant usage de leur droit à l’autodétermination (guerre de libération nationale), art. 1 paragraphe 4 : « …les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, consacré dans la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies » ; Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a proposé une définition générale du conflit armé international. Dans l’affaire Tadic, le Tribunal a stipulé que « un conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre Etats ». Rappelons que cette définition a été adoptée par d’autres instances internationales. V. à cet effet, TPIY, Le Procureur c/Dusko Tadic, arrêt relatif à l’Appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, IT-94-1-A, 2 octobre 1995, paragraphe 70 ; selon D. SCHNINDLER, « (…) on peut toujours présumer l’existence d’un conflit armé au sens de l’art. 2 commun aux Conventions de Genève lorsque des parties des forces armées de deux Etats s’affrontent. (…) tout usage de la force entre deux Etats, quel qu’il soit, entraine l’application des Conventions » (trad. CICR), The different Types of Armed Conflicts According to the Geneva Conventions and Protocols, RCADI, vol. 163, 1979-II, p. 131. Pour H.-P. GASSER, « tout usage de la force armée par un Etat contre le territoire d’un autre Etat, déclenche l’application des Conventions de Genève entre ces deux Etats. (…) Il est sans importance que la partie attaquée résiste ou non. (…) Dès que les forces armées d’un Etat ont des membres des forces armées blessés ou hors de combat ou des civils d’un autre Etat entre leurs mains, dès qu’elles détiennent des prisonniers ou exercent un contrôle sur une partie du territoire de l’Etat ennemi, elles doivent respecter le Convention pertinente » (Trad. CICR), H.-P. GASSER, International Humanitarian Law: an Introduction, in Humanity for All: the International Red Cross and Red Crescent Movement, H. HAUG (ed.), Paul Haupt Publishers, Berne, 1993, p. 510-511. Les Règlements communs de l’armée allemande (ZDv 15/2) disposent que « un conflit armé international existe si une partie à recours à la force armée contre une autre partie. (…) L’usage de la force militaire par des individus ou des groupes d’individus n’est pas suffisant » (trad. CICR), D. FLECK, The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflicts, Oxford University Press, Oxford, 1995, p. 40. Enfin, pour le Professeur E. DAVID, « tout affrontement armé entre forces des Etats parties aux CG de 1949 (et éventuellement au 1er PA de 1977) relève de ces instruments, qu’elle que soit l’ampleur de cet affrontement : une escarmouche, un incident de frontière entre les forces armées des Parties suffisent à provoquer l’application des Conventions (et du 1er Protocole, s’il lie les Etats) à cette situation », E. DAVID, Principes de droit des conflits armés, ULB, Bruxelles, 2002, p. 109.

265 K. K. KOUFA, Terrorisme et droits de l’Homme, Deuxième rapport intérimaire, Conseil économique et social, voir document des Nations Unies E/CN. 4/Sub. 2/2002/35, p. 21.

difficulté s’accroit à cause de l’expression maladroite choisie par le Président George

W. BUSH pour justifier la fermeté des Etats-Unis à réagir militairement suite aux

attaques.

173. Quoi qu’il en soit, l’utilisation de cette expression « guerre contre le

terrorisme » ne s’inscrit nullement dans le cadre strictement étroit du droit

international relatif au jus ad bellum—l’usage de la force, ni de celui du DIH relatif au

jus in bello—la conduite de la guerre. Par conséquent, « (…) n’est comprise dans un sens

étroit et militaire mais dans une acception beaucoup plus large, comme on a pu parler de

« guerre à la pauvreté »)

266

. Au regard de ce qui précède, les Professeurs de droit à

l’instar de Yves SANDOZ et Eric DAVID estimaient que, l’expression « guerre contre le

terrorisme » dans son sens large comprend aussi la possibilité d’actions militaires,

donc l’engagement dans un conflit armé.

174. La multiplicité doctrinale reste divergente quant à la définition juridique à

accorder à cette expression. En effet, selon la doctrine du CICR, « L’expression « guerre

contre le terrorisme » est une formule de rhétorique, sans aucune signification juridique.

Prétendre que le droit des conflits armés s’applique automatiquement à la « guerre contre

le terrorisme » n’a pas plus de sens que lorsqu’il s’agit des « guerre » contre la drogue, la

pauvreté ou le cancer. Par conséquent, en soi, la critique générale proférée contre le droit

des conflits armés en raison de son incapacité à couvrir le terrorisme, équivaut à reprocher

au droit des sociétés de ne pas permettre de trancher tous les litiges commerciaux »

267

. Ce

qui signifierait que, lorsqu’il est fait usage de violence armée en dehors du contexte d’un

conflit armé au sens juridique du terme, ou encore lorsqu’une personne est soupçonnée

d’activités terroristes, elle n’est pas détenue dans le cadre d’un conflit armé. Et ce, quel

qu’il soit, le DIH n’est pas applicable.

Ces deux cas cités sont sanctionnés par le droit interne, le droit pénal international

et les droits de l’homme. L’emploi de l’expression « guerre contre le terrorisme »

n’implique pas forcement l’applicabilité du DIH à tous les aspects résultant de ce

concept. En revanche, le DIH pourrait s’appliquer à certains des aspects de la « guerre

266 Y. SANDOZ, « Guerre contre le terrorisme : fondements juridiques et réflexion prospective », in, SOS Terrorisme, Victimes et responsabilité pénale internationale, Calmann-Lévy, Paris, 2003, p. 506.

267 G. RONA, « Quand une ‘’guerre’’ n’est-elle pas une ‘’guerre’’ ? Le droit des conflits armés et la « guerre internationale contre le terrorisme » », CICR, 16 mars 2004, p. 1.

contre le terrorisme » se déroulant dans le cadre d’un conflit armé. Autrement dit, la

manifestation de la « guerre contre le terrorisme » sous l’une ou l’autre des conflits

armés impliquerait par conséquent l’application du DIH. Pour le CICR, la question

relative à l’inscription de la « guerre contre le terrorisme » dans un conflit armé

international ou non international n’est pas juridique mais politique. C’est en allant dans

ce sens que, Gabor RONA écrit : « Prétendre que le droit des conflits armés s’applique

automatiquement à la « guerre contre le terrorisme » n’a pas plus de sens que lorsqu’il

s’agit des ‘’guerre ‘’ contre la drogue, la pauvreté ou le cancer »

268

. On peut ainsi affirmer

qu’en absence de toutes caractéristiques déterminantes des conflits internationaux ou

non internationaux, le DIH n’est pas applicable

269

.

175. Mais, l’argumentation avancée par Gabor RONA peut être anéantie par la

décision de la Cour suprême des Etats-Unis dans l’affaire Hamdam c/Rumsfeld. Dans

cette affaire, elle avait décidé que l’art. 3 Commun aux CG était applicable aux membres

d’Al-Qaïda. De ce point de vue, Al-Qaïda représentait une Partie à un conflit armé.

D’après le DIH, l’élément fondamental de la notion de conflit armé est l’existence de

« Parties belligérantes ».

176. Cependant, il n’est pas exclu de s’interroger qu’Al-Qaïda puisse être défini

comme une Partie belligérante au sens du DIH. Dès lors que, les mesures

anti-terroristes prises par les Etats-Unis ne sont pas tous assimilables à des actes de guerre.

C’est ainsi que le CICR considère que : « le terrorisme est un phénomène. Or, tant dans la

pratique que du point de vue juridique, on ne peut livrer une guerre contre un

phénomène. On peut seulement combattra une partie identifiable à un conflit. Pour toutes

ces raisons, il serait plus judicieux de parler de ‘’lutte contre le terrorisme’’ plutôt que de

‘’guerre contre le terrorisme’’, la première revêtant de multiples facettes »

270

. Toutefois,

au-delà de cette considération du CICR, la question relative à l’applicabilité des CG dans

le cadre de la « guerre contre le terrorisme » est toujours d’actualité. Car en effet, cette

268 G. RONA, « Quand une « guerre » n’est-elle pas une « guerre »? Le droit des conflits armés et la « guerre internationale contre le terrorisme » ; intervention lors de l’atelier Action internationale visant à prévenir et à combattre le terrorisme, Copenhague, 15-16 mars 2004.

269 G. RONA, « Quand une « guerre » n’est-elle pas une « guerre »? Le droit des conflits armés et la « guerre internationale contre le terrorisme », CICR, 16 mars 2004, pp. 1-2.

270 « Droit international humanitaire : questions et réponses », CICR, 15 mai 2004, p. 3. CICR :

célèbre expression post-11 septembre ne devait tomber en désuétude qu’après

l’éradication complète du terrorisme. Cette réalité fait de la « guerre contre le

terrorisme » une sorte de « guerre » prolongée.