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Venture capital et croissance

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 77-81)

Chapitre 2. Le capital-investissement est-il performant ?

3. Performance « sociale » du capital-investissement

3.1. Venture capital et croissance

La performance « sociale » du capital-risque tient à sa capacité à favori- ser l’innovation. La présence du capital-risque dans les secteurs les plus dynamiques et innovants de l’économie prouve qu’il existe bien un lien étroit entre innovation et venture capital. Toutefois, cette corrélation n’est évidemment pas causalité, et une première difficulté consiste à isoler l’im- pact spécifique du capital-investissement sur la dynamique et la stratégie d’innovation des entreprises. Les accroissements simultanés des investis- sements en R&D ou des dépôts de brevet, d’un côté, et des capitaux gérés par les fonds VC de l’autre peuvent témoigner d’un flux accru d’opportuni- tés technologiques exogènes. Cette question de la causalité est cruciale, car de sa réponse dépend le type de politique publique à mettre en place pour favoriser l’innovation. Une deuxième difficulté tient au passage du niveau microéconomique à la croissance macroéconomique. Une intensité d’inno- vation accrue, éventuellement issue de l’augmentation du VC, crée-t-elle, d’abord des gains de productivité dans les secteurs concernés, puis ensuite de la croissance économique ? Enfin, une troisième difficulté réside dans le caractère extrêmement cyclique de l’activité du venture capital. Au-delà de l’effet de niveau éventuel du venture capital, son caractère cyclique ne nuit- il pas à sa performance sociale ?

3.1.1. Venture capital et intensité de l’innovation

Gompers et Lerner (1999) ont montré que les entreprises qui sont soute- nues par les capital-risqueurs déposaient plus de brevets que les entreprises dont l’actionnariat ne comportait pas de venture capitalists, avec une part plus élevée des brevets relatifs à des inventions de rupture.

Ce résultat ne permet pas d’identifier le sens de causalité entre présence du VC et dépôts de brevet. Kortum et Lerner (2000) répondent à cette criti- que en utilisant des données sectorielles américaines sur la période 1965- 1992 pour estimer une « fonction de production », liant le nombre de bre- vets déposés au niveau des dépenses de R&D et à celui des engagements du

à l’origine de 8 % des brevets déposés : il exercerait donc un rôle décisif sur la dynamique d’innovation. Ce résultat est confirmé par Ueda et Hirukawa (2006) pour la période de boom technologique 1992-1998, qui n’est pas incluse dans l’échantillon de Kortum et Lerner (2000).

Kortum et Lerner (2000) ne se contentent pas de détecter une corréla- tion, mais testent un lien de causalité, qui irait du VC vers le dépôt de brevet. Pour cela, ils exploitent la discontinuité liée à la modification régle- mentaire de la Prudent Man Rule de 1978, qui est un évènement exogène ayant accru les fonds collectés et investis par le VC. Cette augmentation exogène, sans rapport avec le flux d’opportunités technologiques, a eu un effet positif sur le flux de brevets déposés. À l’appui de ce sens de causalité, les auteurs montrent bien que la présence du VC n’accroît pas seulement le niveau des brevets déposés, mais aussi le ratio brevet-dépenses en R&D.

Selon ces auteurs, le venture capital a donc bien eu un impact positif sur le développement de l’innovation aux États-Unis, en introduisant un mode de management de l’innovation qui profite aussi bien aux jeunes start-ups technologiques qu’aux firmes déjà établies dans l’industrie.

Le nombre de brevets déposés constitue une mesure approximative de l’innovation. L’impact positif du VC sur cet indicateur peut aussi signifier que la présence d’un venture capitalist pousse la firme innovante à breveter ses innovations sans forcément innover. À l’appui de cette thèse, Ueda et Hirukawa (2003) expliquent que l’investissement du VC s’effectue plutôt vers les sociétés, notamment les start-ups, dont la propension à déposer des brevets est la plus élevée. De plus, le VC facilite l’entrée de nouvelles fir- mes, ce qui pousse les entreprises présentes à mieux protéger leur propriété intellectuelle.

Ueda et Hirukawa (2003) proposent d’utiliser les taux de croissance de la productivité totale des facteurs comme un indicateur plus pertinent de l’innovation dans chacun des secteurs. Au-delà du lien positif entre inves- tissement VC et croissance de la productivité sectorielle, les auteurs cher- chent à repérer une causalité en examinant la précédence historique(48) des co-mouvements affectant les deux variables parmi les secteurs. Ils en con- cluent que la causalité s’exerce plutôt de l’innovation vers l’investissement en VC que dans l’autre sens. Un accroissement du taux de croissance de la productivité est suivi, plutôt que précédé, d’un mouvement en même sens de l’investissement VC. Le rejet de la causalité « VC vers innovation » n’est toutefois pas robuste à l’introduction de variables supplémentaires dans l’équation.

Dans une étude ultérieure (Ueda et Hirukawa, 2006), les auteurs confir- ment ce résultat ambigu, et montre que le VC exerce une causalité positive

(48) Ueda et Hirukawa (2003) estiment un modèle VAR sur le panel sectoriel américain entre 1965 et 2001 (données comparables à Kortum et Lerner, 2000), puis testent une causa- lité au sens de Granger entre les deux variables.

sur la croissance de la productivité du travail parmi les secteurs. Cet effet de stimulation passe par une substitution de technologie utilisant plus de matériaux et d’énergie et moins de travail pour les secteurs dans lequel le

venture capital est engagé.

Les études cherchant à repérer un lien direct entre taux de croissance macroéconomique et présence du venture capital sont peu nombreuses. On a déjà cité dans le chapitre 1 (encadré 5) le travail de Meyer (2006), qui aboutit à des résultats extrêmement (trop !) flatteurs pour un ensemble de pays européens. En utilisant des données nationales(49) de l’OCDE, Romain et van Pottelsberghe (2004) estiment une fonction de production liant le niveau de productivité totale des facteurs à différents stocks de capital : stock de venture capital domestique, stock de capital-R&D privé, stock de capital-R&D public. Cette estimation fournit une mesure de l’élasticité de la productivité à ces différents stocks, et donc une mesure de leur rende-

ment social. Ainsi Romain et van Pottelsberghe (2004) considèrent qu’un

accroissement de 1 euro du stock de capital VC accroît le niveau d’output de 3,33 euros. Ce rendement spectaculaire est bien au-dessus de celui asso- cié aux stocks de R&D privé (1,99 euro) et public (2,69 euros).

De plus, les auteurs montrent que l’effet du VC est non linéaire : la présence du VC accroît la sensibilité de la productivité aux stocks de capi- tal-R&D privé et public. Ils en concluent ainsi que l’influence du VC s’exerce de manière directe et indirecte via un effet de « cristallisation » ou d’aug- mentation de la « capacité d’absorption des connaissances ». Nous revien- drons sur ce concept un peu plus loin.

Ces résultats basés sur des données macroéconomiques peuvent susci- ter certaines réserves en ce qui concerne le niveau des effets obtenus. L’étude fine des stratégies d’innovation des firmes sous contrôle du venture capital confirme le sens des effets obtenus.

Si l’on parvient à repérer un effet positif du VC sur l’innovation, le caractère extrêmement cyclique de l’activité suscite des interrogations lé- gitimes. Comment ces cycles sont-ils transmis à la dynamique d’innova- tion ? Favoriser le venture capital ne risque-t-il pas d’amplifier les fluctua- tions de l’économie ? Lerner (2002) apporte des réponses à ces questions. Il pointe d’abord les raisons de ces cycles marqués : structure temporelle de l’industrie, organisation du secteur, rôle de l’information… Il montre en- suite que le cycle du VC ne se transmet pas totalement à la dynamique d’innovation. L’effet du VC sur cette dynamique serait moins intense dans les périodes hautes du cycle que dans les périodes basses. Ce fait est à relier à l’évolution de la rentabilité financière des investissements VC, qui baisse dans les périodes hautes et augmente dans les périodes basses. La réflexion de Lerner touche aussi à la manière dont le VC dirige les investissements vers les secteurs prometteurs. Le VC peut-il constituer une boussole effi-

cace pour repérer les secteurs en devenir ? Lerner (2002) donne des exem- ples historiques témoignant d’un « emballement » irraisonnable des ven-

ture capitalists pour certains secteurs ou activités. Gompers, Kovner, Lerner

et Scharfstein (2005) ont montré comment les fonds expérimentés utili- saient les signaux transmis par le marché pour repérer les opportunités d’in- vestissement.

Lerner (2002) en tire des enseignements pour les politiques publiques à mettre en œuvre. Ces politiques doivent se garder d’ajouter du « combusti- ble à l’incendie » en exacerbant le caractère cyclique de l’activité. Au-delà du niveau des investissements publics à effectuer, l’intervention publique doit veiller à combler les discontinuités à la fois parmi les secteurs et tem- porelles, qui affectent l’investissement privé en venture capital.

3.1.2. VC et stratégies d’innovation des entreprises

De très nombreuses études ont cherché à repérer la manière dont la pré- sence d’un venture capitalist modifiait le comportement de l’entreprise. Nous avons retenu ci-dessous les enseignements de deux de ces études, qui examinent l’impact sur la stratégie d’innovation. Cette stratégie est suscep- tible d’affecter la croissance de l’économie. Une limite à ces résultats con- cerne la taille des échantillons.

Hellman et Puri (2000) utilisent une base de données originale regrou- pant 173 sociétés start-up de la Silicon Valley observées entre 1994 et 1997 ; 70 % d’entre elles ont reçu du capital d’un venture capitalist. Les auteurs montrent que les firmes ayant adopté une stratégie d’innovation plutôt que d’imitation sont davantage susceptibles d’être soutenu par un VC. De plus, la présence du VC accélère le passage du nouveau produit vers le marché. Da Rin et Penas (2007) s’intéressent à la construction d’une « capacité d’absorption » (absorptive capacity) par l’entreprise innovante. Cette ca- pacité, résultat de la stratégie de recherche et développement de l’entre- prise, concerne la manière d’assimiler, d’exploiter puis de créer des nou- velles connaissances. Une « capacité d’absorption » élevée souligne un rôle actif de l’entreprise dans la dynamique d’innovation de l’économie. Grif- fith, Reeding et Van Reenen (2004) ont montré le lien empirique entre crois- sance de la productivité d’une économie et la « capacité d’absorption » de ses entreprises.

L’échantillon est constitué à partir de la base Community Innovation Survey qui rassemble des informations sur les activités d’innovation de 7 800 entreprises néerlandaises entre 1998 et 2004. Y sont collectées des informations microéconomiques sur la stratégie d’innovation de l’entre- prise, la permanence du flux de dépenses en R&D et l’existence d’un finan- cement public. Quatre stratégies d’innovations sont possibles définies par combinaison de deux types d’activités innovantes : « acheter » et « faire ». L’activité « acheter » consiste à orienter les dépenses de R&D vers l’acqui- sition de connaissances et de savoirs externes à l’entreprise, alors que

« faire » engage directement l’entreprise. La mise en place d’une capacité d’absorption consiste à opter pour une stratégie mixte « acheter/faire », plutôt que pour des stratégies pures de type « faire seulement » ou « acheter seu- lement ».

Sur ses 7 800 entreprises, Da Rin et Penas (2007) repèrent 91 entreprises présentes dans la base VentureXpert comme financées par le venture capital. À l’aide d’une méthode d’appariement, les auteurs montrent que ces entre- prises recourrent plus souvent à une stratégie d’innovation mixte « acheter- faire ». La présence d’un venture-capitalist oriente l’entreprise vers la cons- truction d’une capacité d’absorption, alors que la présence d’un finance- ment public semble sans effet sur la stratégie d’innovation de l’entreprise. Par un test de « traitement », les auteurs montrent que ce rôle du VC ne tient pas à la sélection qu’il opère parmi les entreprises, mais bien à son engagement dans la conduite stratégique. Da Rin et Penas (2007) en dédui- sent que les politiques publiques de soutien à l’innovation gagneraient à davantage s’appuyer sur le capital-risque, afin d’orienter les entreprises vers des stratégies d’innovation créatrices de croissance économique. Nous retrouverons cette proposition dans le chapitre 3 du rapport.

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 77-81)