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Mesurer la performance « privée »

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 51-57)

Chapitre 2. Le capital-investissement est-il performant ?

1. Performance de l’actif capital-investissement :

1.1. Mesurer la performance « privée »

1.1.1. La performance moyenne des fonds

L’article de Kaplan et Schoar (2005) est la référence ; il s’agit d’évaluer le rendement net servi aux investisseurs par les fonds sur leur durée de vie. Ces auteurs utilisent un large échantillon de fonds américains matures(20), constitués au cours de la période 1980-1997. Les données proviennent de Venture Economics et couvrent 746 fonds opérant dans les segments ven-

ture capital (VC) et buyout (BO), dont le GP est identifié.

(20) Un fonds est mature s’il est effectivement liquidé ou bien inactif. Un fonds est inactif si une des deux conditions suivante est vérifiée :

• la mesure de rendement comptable du fonds est inchangée depuis six trimestres ; • la valeur résiduelle nette, reportée dans les comptes du fonds, représente moins de 10 % du capital promis (commited).

Pour chacun de ces fonds, Kaplan et Schoar disposent jusqu’en 2001 des chroniques de cash-flows entre LPs et GP, ainsi que de la valeur rési- duelle du fonds lorsque ce dernier est inactif. Pour un fonds liquidé, le rendement se calcule sur la base des versements effectivement réalisés sur son horizon de vie. Pour les fonds inactifs, la valeur résiduelle est considé- rée comme un cash-flow intervenant à la dernière date. Plutôt que d’utiliser un taux de rendement interne (TRI), Kaplan et Schoar mesurent la perfor- mance nette par un indice de profitabilité dit de PME (public market

equivalent)(21). Cet indice compare la performance du fonds à celle résul- tant d’un placement, à calendrier de cash-flows équivalents, dans un actif indiciel S&P 500. L’indice moyen (pondéré par le commited capital des fonds) calculé sur l’ensemble des fonds est de 1,05, ce qui confère un avantage au capital-investissement sur le coté. À durée d’investissement identique, confier(22) 1 euro à un fonds de capital-investissement serait en moyenne aussi profitable que d’investir 1,05 euro dans un placement coté S&P 500. La profitabilité moyenne servie par le segment VC serait sensi- blement supérieure à celle du compartiment BO avec un indice PME de 1,21 contre 0,93.

En termes annuels, c’est-à-dire en tenant compte de la durée de l’inves- tissement(23), l’écart entre le rendement net moyen du capital-investisse- ment et le rendement du coté est certes positif mais faible. Ce résultat est plutôt surprenant compte tenu des caractéristiques particulières de l’actif capital-investissement : risques attachés à la relation d’agence entre LPs et GP, à la nature des projets financés, au niveau de levier dette/fonds propres des transactions de BO et illiquidité du placement.

La faiblesse de cet écart est en contradiction avec des niveaux de rende- ment souvent plus flatteurs annoncés par les médias ou la profession(24). Dans le complément F, Patrick Artus analyse les rendements comparés du

private et du public equity sur les marchés américains et européens, respec-

tivement sur les périodes 1995-2006 et 1996-2006. De manière différente de la méthode de Kaplan et Schoar le rendement agrégé du capital-investis- sement est calculé trimestre après trimestre en tenant compte du solde des

cash-flows de la période et des différences de valeurs nettes de l’actif (NAV, net asset value) des fonds entre début et fin de période. L’évaluation des

(21) Le recours à un TRI pour comparer différents investissements suppose implicitement que l’investisseur a la possibilité de réinvestir les flux positifs extraits de l’investissement à un taux égal à ce TRI. Cette hypothèse est inadaptée lorsque l’on compare un placement en capital-investissement, auquel est associé un calendrier complexe de versements, à un pla- cement boursier. Le PME est le ratio du flux escompté des cash-flows positifs sur le flux escompté des cash-flows négatifs, avec un taux d’escompte issu du « coté », donné par l’in- dice S&P 500. Kaserer et Diller (2004) fournissent une discussion approfondie de ces points. (22) En termes de valeur escomptée.

(23) La durée de vie d’un fonds est d’une douzaine d’années. L’horizon d’investissement est l’objet de la section 2.5 du chapitre 1.

NAV, reportée par le fonds, est une procédure comptable approximative, dont on peut penser qu’elle « lisse » les évolutions de la véritable valeur du fonds(25).

Avec cette méthode, l’écart de rendement net en faveur du capital-in- vestissement sur le coté atteint 6,99 % annuel aux États-Unis et 8,29 % annuel en Europe. Compte tenu des volatilités et de la corrélation entre les rendements des deux catégories d’actifs, Patrick Artus estime que la déten- tion de capital-investissement par les investisseurs est en deçà du niveau optimal résultant d’un modèle de choix de portefeuille.

Patrick Artus, d’un côté, et Kaplan et Schoar (2005), de l’autre, aboutis- sent à des conclusions opposées sur la performance agrégée de l’actif capi- tal-investissement. Qui doit-on croire ? Patrick Artus calcule un rendement de court terme calculé période après période à partir des valorisations comp- tables (NAV) de l’actif des fonds. Kaplan et Schoar (2005) se concentrent sur le rendement de long terme, à l’horizon de vie du fonds, obtenus à partir des cash-flows effectivement réalisés.

Artus et Teïletche (2004) montrent que la mesure comptable du rende- ment, dite TWR (time weighted return) reposant sur le report des NAV par les fonds, utilisé par la profession, est affectée d’un biais « de lissage » issu de la méthode de valorisation de l’actif net par les fonds. Les résultats de Kaplan et Schoar (2005), ou ceux de Kaserer et Diller (2004) sur données européennes, laissent penser que ce biais affecte non seulement le profil temporel du rendement d’un fonds mais aussi le niveau du rendement moyen agrégé (le pooled weighted return), qui est calculé à chaque période.

Un rendement de court terme du capital-investissement n’a pas beau- coup de sens compte tenu de l’illiquidité de cet actif. Du point de vue de l’investisseur, ajouter du capital-investissement à son portefeuille est une décision qui l’engage, et s’appuie donc sur l’examen du rendement de long terme du fonds. Seule une approche, telle celle de Kaplan et Schoar (2005) s’appuyant sur la chronique des cash-flows réalisés apporte des éléments solides sur le niveau de ce rendement. La réalisation de l’investissement étant un évènement rare, on comprend alors à la fois la difficulté de l’ana- lyste et la prudence de l’investissseur.

1.1.2. Vers une énigme du rendement du capital-investissement

Peut-on en conclure que la mesure de rendement net moyen de Kaplan et Schoar (2005) est robuste ? Le complément G rédigé par Oliver Gottschalg et Ludovic Phalippou montre que cette mesure est affectée par différents biais. Ce complément rend compte d’une étude méticuleuse et complète réalisée par Phalippou et Gottschalg (2007). Le constat effectué par ces deux auteurs est donc difficilement contestable : la performance (nette des

(25) La littérature qualifie de stale (littéralement défraîchie, contaminée, périmée) les éva- luations de la véritable valeur par la NAV.

rémunérations) moyenne du capital-investissement est sensiblement infé- rieure à celle obtenu par un investissement équivalent en actions cotées.

Les données utilisées proviennent de Thomson Venture Economics (TVE) et ont des contours comparables à celles de Kaplan et Schoar (2005) : 852 fonds matures, américains et non américains, créés entre 1980 et 1993, qui couvrent 57 % des montants investis dans le monde, et pour lesquels on dispose de données de cash-flows jusqu’en 2003(26). Sur cet échantillon, le TRI moyen (pondérés par la taille du fonds, capital commited) servi aux investisseurs est de 15,2 %, et le PME moyen (toujours pondéré par le

capital commited) est de 1,01(27).

Les auteurs apportent une correction d’agrégation en calculant les pon- dérations en termes de montant effectivement investi (valeur actualisée des versements effectués par les investisseurs), qui rend « transparente » l’agré- gation(28) des PME. Le PME agrégé est alors de 0,99, ce qui constitue la référence.

Les données collectées par TVE auprès des fonds souffrent d’un double défaut. En premier lieu, il subsiste au sein de l’échantillon des fonds quali- fiés de « morts-vivants », ayant dépassé l’âge de liquidation, ne montrant aucun signe d’activité, et auxquels est pourtant associée une valeur nette positive « résiduelle »(29). Ne plus considérer cette valeur résiduelle comme un cash-flow terminal abaisse l’indice PME de 0,99 à 0,92. En second lieu, en comparant les données TVE à l’échantillon plus large VentureXpert, Phalippou et Gottschalg (2007) remarquent que les fonds ayant connu des sor- ties d’investissement « favorables » (IPO ou trade sales) sont surreprésentés au sein de l’échantillon, or ces fonds sont aussi les plus performants. En exploitant la relation entre performance et taux de sortie favorable à l’inté- rieur de l’échantillon de base, Gottschalg et Phalippou (2007) extrapolent la performance sur un échantillon élargi, ce qui abaisse encore le PME de 0,04 à 0,88.

Après correction de ces biais, et en la rapportant à un écart de rende- ment annuel, la différence private equity/public equity serait de l’ordre de 3 % en défaveur du capital-investissement. Ceci constitue une sous-perfor-

(26) Rappel : Kaplan et Schoar (2005) : 746 fonds américains créés entre 1980 et 1995, avec des données de cash-flows jusqu’en 2001.

(27) Ces chiffres sont respectivement de 18 % et de 1,05 dans l’étude de Schoar et Kaplan (2005). L’escompte du PME est l’indice boursier S&P500.

(28) En utilisant cette pondération, tout se passe « comme si » l’intégralité des cash-flows était générée par un unique fonds, dont l’indice PME est le PME moyen.

(29) Dans une étude récente utilisant un échantillon de fonds comparable à celui de Phalippou et Gottschalg (2007), Driessen, Lin et Phalippou (2007) estiment le biais séparant la valeur résiduelle comptable des fonds inactifs de leur valeur de marché. Cette estimation repose sur la régression pour les fonds liquidés des cash-flows de fin de vie sur la valeur résiduelle et les caractéristiques du fonds. Selon ces auteurs, la valeur terminale du fonds ne représente- rait en moyenne que 28,7 % de la valeur résiduelle comptable reportée par le fonds.

mance significative, dont on doit se demander si elle n’est pas le premier ingrédient d’une énigme du rendement du capital-investissement.

Mieux comprendre comment se forme ce rendement net exige de re- monter vers sa source : tenir compte de la rémunération du fonds, puis exa- miner le rendement brut des sociétés composant le portefeuille des fonds.

1.1.3. Impact de la rémunération du GP sur le rendement net

Le rendement net servi aux investisseurs par le fonds est la différence entre le rendement brut obtenu des sociétés en portefeuille et la rémunéra- tion prélevée par le fonds. À quel hauteur le niveau de rémunération du fonds grève-t-il le rendement servi aux investisseurs ?

Phalippou et Gottschalg (2007) ou Metrick et Yasuda (2007) soulignent qu’il est difficile d’évaluer le niveau de ces rémunérations, qui prennent la forme d’une composante fixe (management fees), d’une composante varia- ble (carried interest), auquel s’ajoute bien souvent des rémunérations ac- cessoires (transaction fees).

Metrick et Yasuda (2007) constituent l’étude de référence sur ce sujet. Les auteurs utilisent des données détaillées fournies par un unique investis- seur concernant 249 fonds(30) levés entre 1992 et 2006 aux États-Unis. Pour 100 dollars de capital promis, les auteurs estiment que la moyenne de la valeur actualisée des rémunérations prélevées par un fonds VC s’élève à 24,18 dollars (17,29 dollars pour les fonds BO), qui se partagent en 14,80 dollars de management fees (10,08 dollars pour les fonds BO) et 9,02 dollars de carried interest (5,59 dollars pour le BO)(31).

À ce stade d’analyse, il est prématuré d’examiner si ce niveau de rému- nération est justifié par l’activité du GP auprès des entreprises en porte- feuille. On doit seulement souligner que l’écart entre le rendement net et le rendement brut est considérable, et que la majeure partie de la rémunéra- tion correspond à la composante fixe (indépendante de la performance) de

management fees.

Gottschalg, Kreuter et Phalippou (2007) effectuent une évaluation ra- pide des conséquences sur le rendement de la structure de rémunération « 2-20-8 % » très répandue parmi les fonds. Il apparaît ainsi que servir un rendement net annuel de 10 % aux LPs exige un rendement brut de 18 %. En appliquant ces mêmes calculs à leur 852 fonds, Phalippou et Gottschalg (2007) estiment que la rémunération du LP crée un écart de 6,1 % entre les taux de rendement annuel brut et net. Le management fees pèse pour 3,95 % de l’écart, alors que le carried interest réduit le rendement des 2,15 % restants.

(30) 98 fonds venture capital (VC), 151 fonds buyout (BO).

Si l’on ajoute cet écart au rendement net, il apparaît que le rendement brut du private equity est plus élevé que celui associé à un placement bour- sier. Ceci illustre la qualité du travail de création de valeur effectué par le GP auprès des entreprises en portefeuille. Mais en même temps, la rente capturée peut sembler excessive à la fois par son niveau, mais aussi par sa structure, puisque la composante fixe excède le carried interest. Le poids de ces rémunérations grève lourdement le rendement net. Ce niveau consti- tue-t-il un obstacle au développement du secteur ? Nous reviendrons sur ce point important un peu plus loin.

1.1.4. Performance brute des investissements : « entrer dans la boîte noire »

La création de valeur brute générée par l’activité des fonds se mesure directement à partir de données relatives aux projets d’investissement, c’est- à-dire aux entreprises constituant le portefeuille des fonds.

Cochrane (2005) effectue une étude méticuleuse sur le segment VC, sur lequel les entreprises sont les plus petites et donc les plus nombreuses. Les données sont fournies par la base de données VentureOne, qui regroupe sur la période qui va de janvier 1987 à juin 2000, la valorisation de 7 765 entre- prises américaines, pour 16 613 tours de financement avec un montant total de 112 milliards de dollars. Cette base est complétée par d’autres statistiques sur les résultats financiers des introductions en bourse (IPO) et des acqui- sitions et fusions, qui constituent des sorties favorables pour les projets.

Le rendement est calculé en mesurant la création de valeur effectuée entre un tour de financement et la sortie du venture capital, qu’elle soit favorable (IPO, trade sales) ou défavorable (out of business). D’un côté, exclure le rendement entre des tours intermédiaires permet d’avoir une mesure plus fiable de la création de valeur provenant du venture capital. De l’autre, cette fiabilité accrue a pour contrepartie l’existence d’un puissant biais de sélection, puisque la sortie du VC est massivement associée à un succès(32).

La distribution du rendement de ces projets sortis du VC est d’ailleurs spectaculaire : calculé sur 3 595 observations(33), le rendement arithméti- que moyen non annualisé est de 698 % avec un écart-type considérable. Cette distribution est bien « capturée » par une loi log-normale, avec un rendement logarithmique moyen de 108 % et un écart-type de 135 %.

La distribution du log-rendement non annualisé est peu dépendante de l’âge du projet, témoignant ainsi de la stratégie de sortie suivie par les fonds. Une sortie favorable survient lorsque le multiple de création de valeur dé-

(32) Seules 9 % des sorties sont défavorables (faillite, out of business).

(33) Chaque entreprise connaît en moyenne 2,1 tours de financement durant son passage dans le VC. Une fraction des rendements se chevauche donc. Le traitement économétrique utilisé par Cochrane neutralise l’effet de chevauchement.

passe un seuil. Cette « règle du multiple » est utilisée par Cochrane (2005) pour corriger le biais de sélection(34), et obtenir ainsi une estimation de la distribution des (log-) rendement sur la totalité des projets.

La distribution « corrigée du biais de sélection» des log-rendements est plus raisonnable. Le log-rendement moyen annualisé est de 15 %, ce qui le rapproche des 15,9 % du log-rendement annualisé de l’indice S&P 500. La volatilité idiosyncrasique (parmi les projets) est forte : l’écart-type du log- rendement s’élève à 89 % bien au-delà de celui associé au S&P 500 (14,9 %). La forte volatilité idiosyncrasique pousse le rendement moyen arithmé-

tique annualisé à un niveau élevé de 59 %, nettement supérieur au rende-

ment moyen du S&P 500 sur la même période. L’actif « projet financé par le VC » se singularise donc d’un actif coté moyen en ce qu’il a une petite chance de générer un énorme rendement. Cette propriété indique qu’il est essentiel de tenir compte du risque associé au capital-investissement : ce sera l’objet de la prochaine sous-section.

En même temps, la volatilité du rendement des projets façonne le pro- cessus de sortie des investissements, qui intervient à rythme lent et de ma- nière géométrique. En effet, la forte volatilité pousse progressivement des projets vers les deux « queues » de la distribution, où se situent les sorties favorables (IPO, trade sale) et défavorables.

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