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Régime de gouvernement d’entreprise

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 32-35)

Chapitre 1. Le capital-investissement existe-t-il ?

2. Unité du capital-investissement

2.1. Régime de gouvernement d’entreprise

2.1.1. Définition

Quelle que soit sa taille, son secteur d’activité ou son âge, l’entreprise a besoin de fonds. En l’absence de trésorerie ou d’actifs non stratégiques facilement réalisable, cet argent est levé auprès d’actionnaires ou de créan- ciers. Dans son ouvrage The Theory of Corporate Finance, Jean Tirole (2006) définit le gouvernement d’entreprise comme tous les éléments qui ont trait à la manière pour l’entrepreneur de « crédibiliser » le retour sur investis- sement aux yeux des offreurs de capitaux.

En effet, la relation entrepreneur-investisseur se heurte à un double pro- blème d’agence, qui bride l’accès au financement :

• avant réalisation de l’investissement (ex ante), l’investisseur ne con- naît pas les caractéristiques fines du projet et est donc dans l’incapacité de le valoriser. En posant des conditions de financement trop contraignantes, l’investisseur s’expose à une sélection adverse, qui pousserait à n’attirer que les projets les plus risqués ;

• après réalisation de l’investissement (ex post), l’entrepreneur est tenté de pratiquer l’aléa moral, en s’engageant dans des actions opportunistes profitables pour lui au détriment de l’investisseur.

Un régime de gouvernement d’entreprise rassemble toutes les règles, les institutions, les pratiques qui visent à gérer au mieux cette relation d’agence. Selon le principe 1A des principes de l’OCDE, énoncé dans le complément C à ce rapport rédigé par Adrian Blundell-Wignal et Annabel Bismuth le « régime de gouvernement d’entreprise doit être élaboré en te- nant compte de ses effets sur les performances globales de l’économie, de l’intégrité des marchés, en promouvant leur transparence et leur efficience, ainsi que des incitations qu’il créé pour les participants au marché ».

2.1.2. Gouvernement d’entreprise et marchés financiers

Comme le souligne l’OCDE, le marché occupe la place centrale dans le régime de gouvernement d’entreprise. En opérant sur le marché financier, l’entreprise lève des capitaux à moindre coût parce qu’il permet la diversi- fication du portefeuille de l’investisseur et assure sa liquidité. L’intermé- diation par le marché de la relation entrepreneur-investisseur est efficace lorsqu’elle parvient à limiter le double problème d’agence caractérisant cette relation : sélection adverse (ex ante) et aléa moral (ex post).

En ce qui concerne la sélection adverse, en affichant un prix de l’action, le marché produit l’information ex ante, qui « signale » à l’investisseur la qualité du projet à financer, et alloue ainsi efficacement l’épargne vers les investissements les plus pertinents. La réglementation des marchés demande aux sociétés cotées de rendre publique toute l’information susceptible de modifier la valeur de ses projets. Dans le même temps, afin d’éviter les abus et manipulations, cette même réglementation interdit à un actionnaire

l’utilisation d’une information privée pour réaliser un gain financier sur le titre. Dans le complément B à ce rapport, Marc Auberger explique qu’en de très nombreuses circonstances (environnement concurrentiel pressant…), la société cotée rend public des informations édulcorées, difficilement in- terprétables par le marché sans une expertise supplémentaire. Dans ces cir- constances, seul l’activisme de certaines catégories d’actionnaire permet à l’information pertinente de s’incorporer au prix, et de produire une valori- sation satisfaisante.

Cette activisme est toutefois limitée par le « paradoxe du vote », une expression de la parabole du « passager clandestin » : l’expertise et la re- cherche de l’information ont un coût « privé » (supporté par l’actionnaire activiste) et des bénéfices « publics » (l’intégralité du marché en profite). Le marché est donc victime d’un déficit d’information, qui écarte le cours de la valeur réelle de l’investissement, et désoriente ainsi l’investissement. Le déficit d’information est d’autant plus élevé que l’actionnariat est dilué. En effet, seules les « gros » actionnaires sont en mesure d’internaliser l’arbitrage coût-avantage d’extraction de l’information. Une concentration accrue de l’actionnariat sur le marché se heurte pourtant à deux difficultés : d’une part, à rebours du principe de diversification, elle expose l’épargne publique au risque de l’entreprise(12) ; d’autre part, elle peut conduire les actionnaires dominants à abuser de cette position au détriment des petits actionnaires.

La concentration de l’actionnariat est également un élément détermi- nant dans la gestion de l’aléa moral, qui concerne la conduite des affaires de l’entreprise dans l’intérêt de ses actionnaires. Des actionnaires activis- tes sont susceptibles par leur engagement de limiter la discrétion managériale, et seuls les « gros » actionnaires sont incités à exercer le contrôle et à met- tre sous pression le management de l’entreprise.

Le régime de gouvernement d’entreprise reposant exclusivement sur le marché se heurte à un dilemme fondamental pointé dés 1932 par Berle et Means et repris par Blundell-Wignall et Bismuth dans le complément C. La dispersion de l’actionnariat, caractéristique essentielle du marché, limite l’activisme actionnarial, et contribue ainsi à une valorisation inadaptée tout en favorisant la discrétion managériale. Par ailleurs, cette dilution favorise une prise de contrôle externe, éventuellement hostile, de l’entreprise.

2.1.3. Le capital-investissement au secours du marché

Le capital-investissement se présente comme un régime de gouverne- ment d’entreprise complémentaire à celui du marché, lorsque ce dernier ne fournit pas une solution pertinente aux problèmes d’agence de la relation entrepreneur-investisseur.

(12) La réglementation prudentielle protège d’ailleurs l’épargne publique, en posant des limites sur la concentration des portefeuilles des investisseurs.

Dans le complément B, Marc Auberger montre que les difficultés du marché sont récurrentes pour certaines catégories d’entreprises, qui consti- tuent donc des cibles naturelles du capital-investissement. Tout d’abord, la révélation de l’information ex ante est problématique lorsque sa production est coûteuse ; c’est le cas pour :

• les entreprises à activités complexes difficilement lisibles par les mar- chés, typiquement les entreprises technologiques ou en restructuration ;

• les entreprises soumises à une forte concurrence, qui ont tendance à édulcorer l’information qu’elles diffusent ;

• les petites entreprises, pour lesquelles naturellement le coût fixe d’ac- quisition de l’information est supérieur au gain potentiel que l’investisseur peut tirer.

Ensuite, le contrôle ex post du management trouve sa limite lorsque les caractéristiques de l’entreprise facilitent ces comportements. C’est évidem- ment le cas lorsque les cash-flows de l’entreprise sont récurrents, et que cette régularité constitue une tentation pour le management à l’indiscipline (stratégie fantaisiste de croissance externe, investissement aventureux…). Même si les problèmes d’information ex ante et ex post sont mêlés, la première catégorie d’entreprises correspond bien à celles supportées par le

venture capital (capital-risque et capital-développement), alors que la se-

conde est la cible d’opération de buyout. Le capital-investissement vient au secours du marché, explicitement lorsque une entreprise est retirée de la cote, implicitement lorsque sa gestion par le capital-investissement pré- cède son introduction sur le marché.

Par sa prise de contrôle d’une entreprise, le fonds de capital-investisse- ment opère ex ante et ex post : en déployant ses capacités d’expertise, il permet une valorisation correcte de l’entreprise (effet immédiat) ; en met- tant en place un système d’incitation et de contrôle adapté, il aligne dura- blement les intérêts du management sur ceux des actionnaires (effet dif- féré). Le capital-investissement scinde en deux la relation d’agence inves- tisseur/entrepreneur en s’ajoutant comme intermédiaire. Il gère ainsi si- multanément deux relations également caractérisées par des asymétries informationnelles : celle qui le lie en amont aux investisseurs, celle qu’il entretient en aval avec le management de l’entreprise.

Nous avons déjà décrit dans la section 1 de ce chapitre comment s’orga- nise le partenariat entre les investisseurs (limited partners) et le fonds

(general partner). La relation d’agence entre le fonds et le management (au

sens large, inclus l’entrepreneur) des entreprises en portefeuille a été plus étudié dans la littérature, et donne lieu à une véritable « ingénierie organi- sationnelle », visant à inciter, à contrôler et à conseiller les managers. Nous y reviendrons dans la section 2.3.

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 32-35)