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Capital-investissement et innovation financière

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 41-44)

Chapitre 1. Le capital-investissement existe-t-il ?

2. Unité du capital-investissement

2.4. Capital-investissement et innovation financière

Le capital-investissement se singularise par la manière dont cette indus- trie a promu et mis en place des outils financiers sophistiqués. Cette inventivité a affecté les deux segments venture capital et buyout pour des raisons différentes.

Soulignons d’emblée que la logique financière du capital-investissement participe pleinement à la gestion de la double relation d’agence entre fonds et investisseurs, d’une part, et fonds et managers-entrepreneurs, d’autre part. Il serait donc absurde de vouloir séparer l’optimisation financière, dont l’objectif serait de réduire le coût du capital, de l’optimisation opéra- tionnelle ou réelle. C’est au contraire par l’imbrication de ces deux logi- ques que le capital-investissement crée de la valeur.

Du point de vue de la finance, le segment venture capital se distingue en ce qu’il cible des entreprises jeunes, risquées, opérant sur des marchés en expansion, dégageant de faibles cash-flows et dépourvues d’actifs maté- riels. Dans le complément E de ce rapport, Antoine Renucci montre en quoi cette situation particulière a favorisé le développement de dispositifs finan- ciers originaux, qui ne sont ni de la dette traditionnelle, ni des actions or-

dinaires. La séparation des droits au flux financiers et des droits de con- trôle, la multiplication des droits contingents à des mesures de performance et l’utilisation de titres hybrides comme les convertible preferred stocks participent à ce mouvement.

Le segment du buyout a également eu recours à ces instruments origi- naux, mais il y a ajouté l’utilisation systématique de la dette. Rappelons que le buyout concerne des sociétés opérant sur des marchés matures, déga- geant des cash-flows réguliers, et donc susceptibles de supporter une dette importante. Le recours au levier d’endettement permet tout à la fois d’orga- niser les incitations pesant sur le management et de réaliser une optimisa- tion financière réduisant le coût du capital en gérant et répartissant au mieux les risques. Au cours des dernières années, la liquidité disponible et la re- cherche de rendements élevés par les investisseurs ont encore contribué à augmenter la complexité de la finance associée aux transactions de buyout. Dans le but d’acquérir une société, le fonds de buyout crée une holding destinée à porter la dette émise pour financer l’opération. Cette structure reçoit des fonds propres apportés par le fonds buyout en provenance des investisseurs, et émet une dette garantie par l’actif de la société cible. Dans la plupart des cas, un syndicat est constitué pour porter la dette. Cette dette revêt ainsi une forme hybride(16) à mi-chemin entre une dette bancaire tradi- tionnelle et une dette désintermédiée.

Comme indiqué dans l’encadré 4, la dette est structurée en tranches se- nior et subordonnée. L’étendue des instruments destinés à financer les opé- rations LBO est vaste et se trouve enrichie en permanence par des nouveau- tés issues de l’innovation financière.

Les techniques directement inspirées des dernières innovations finan- cières ont été utilisées par les intermédiaires financiers et le marché pour redistribuer le risque spécifique à certaines opérations financières, comme le risque spécifique relatif à la dette LBO. Les opérations de syndication de la dette entre plusieurs investisseurs LBO, réunis pour acquérir une même entreprise cible, servent aussi à partager le risque. De même, grâce aux instruments issus de l’innovation financière, comme les dérivées de crédit, les marchés et les intermédiaires bancaires ont adopté de nouvelles prati- ques de management du risque. Ces pratiques permettent aux banques de se couvrir contre les risques liés à l’émission de dettes très risquées, à destina- tion des fonds LBO par exemple. Un management du risque adéquat a per- mis aux banques de prêter davantage aux fonds LBO tout en gardant le même niveau de risque souhaité. Une fois l’entreprise cible rachetée, les investisseurs LBO peuvent effectuer des recapitalisations qui leurs permet- tent d’obtenir des fonds supplémentaires destinés à satisfaire les besoins opérationnels de l’entreprise rachetée ou plus simplement à extraire des

(16) Le développement de la dette syndiquée et du marché associé (syndicated loan market) est décrit dans Gadanecz (2004).

4. Nature de la dette dans les transactions de LBO La dette associée à une acquisition par LBO se structure autour d’une dette senior et d’une dette mezzanine. La dette senior est proche d’un endettement bancaire classique dont les modalités sont habituelles, à savoir : une maturité du contrat de dette qui va de cinq à sept ans avec une partie amortissable, et l’autre remboursée à l’échéance terminale, et des « clauses de limitations » (covenant) de la marge de manœuvre des propriétaires (limitation de l’investis- sement et non versement des dividendes pendant la durée du contrat), avec un taux d’intérêt contractuel, qui est légèrement supérieur au taux de refinancement interbancaire.

La dette mezzanine, elle, est plus spécifique, dans la mesure où elle est conditionnée par le remboursement préalable de la dette senior. Ses modalités sont donc différentes de celles d’une dette senior et se distingue donc d’une dette bancaire classique en de nombreux aspects. Outre le fait que la maturité du contrat de dette soit supérieure à celle de la dette senior (entre sept à dix ans), les covenants sont moins contraignants (ils ne proscrivent pas, par exemple, les opérations de croissance externe). Bien évidement, le taux d’inté- rêt sur l’emprunt mezzanine est plus élevé que sur le senior. Et surtout, les prêteurs en mezzanine (les « mezzaneurs ») ont un accès au capital de la cible, par bons de souscription d’action, dont le paiement intervient après le rem- boursement des intérêts de la dette.

Le montant de l’emprunt en mezzanine est nécessairement inférieur à celui de l’emprunt senior. Selon les chiffres fournis par Axelson et alii (2007), l’em- prunt senior atteint en moyenne 4,5 fois l’EBITDA (earnings before interest,

taxes, depreciation and amortization) alors que l’emprunt mezzanine permet

d’augmenter ce ratio en moyenne à 5,5.

Le financement par mezzanine autorise donc une plus grande liberté que le financement par contrat de dette senior, mais à un coût plus élevé. Dans l’échan- tillon de Axelson et alii (2007), le spread (écart au LIBOR) associé à la dette senior est de 264 points, alors que le spread de la dette mezzanine est à 826 points. En dépit de ce coût supplémentaire, la dette mezzanine augmente significativement l’effet de levier financier au-delà de ce que permettrait un financement bancaire classique.

dividendes pour les actionnaires LBO. Les recapitalisations, réalisées dans un contexte macroéconomique favorable peuvent conduire à des structures d’endettement très risquées en raison de l’effet de levier élevé.

L’article de Afelson, Jenkinson, Stromberg et Weisbach (2007) consti- tue l’étude de référence en matière de structure financière des transactions de LBO. En rassemblant des données exhaustives de sources diverses, il apparaît que sur les dix dernières années, en Europe comme aux États- Unis, les fonds propres apportés par le (ou les) fonds LBO couvrent autour

de 30 % du prix d’acquisition, le complément étant apporté par différentes formes de dette. La proportion dette/fonds propres s’est accrue lors des dernières années, mais c’est surtout lorsque l’on rapporte le niveau de la dette à l’EBITDA (earnings before interest, taxes, depreciation and

amortization) que l’on observe une augmentation sensible : en 2006, en

Europe comme aux États-Unis, la dette émise lors de l’acquisition repré- sente plus de cinq années d’EBITDA contre quatre années en 2000. Le chargement en dette de la société sous LBO est transitoire : le ratio dette/ fonds propres décroît après l’acquisition par le fonds pour atteindre lors de la sortie un niveau comparable à celui des sociétés cotées équivalentes.

La structure « 70-30 % » dette/fonds propre d’une société sous LBO est exactement à l’inverse de celle d’une société cotée. Comment peut-on ex- pliquer cette différence ? Est-elle due aux spécificités des sociétés ciblées par les fonds LBO, ou à la capacité de ces fonds à optimiser la structure financière ? Alfenson et alii (2007) examinent ces questions en confrontant un échantillon de 153 transactions LBO réalisées en Europe et aux États- Unis entre 1985 et 2006 à des sociétés cotées équivalentes.

Il apparaît qu’il n’existe aucune relation systématique entre le niveau de levier d’une société LBO et celui d’une société cotée équivalente en termes de secteur d’activité et de zone géographique. Dans le même sens, les auteurs observent que le levier s’accroît considérablement lors du LBO sans qu’il ne soit possible de repérer une relation systématique entre les leviers ante- LBO et post-LBO. Ces deux faits montrent que les déterminants du niveau de levier lors d’un buyout sont différents de ceux d’une société publique. En particulier, à l’inverse des sociétés publiques équivalentes, le niveau du levier des sociétés sous LBO est plus lié aux conditions du marché du cré- dit qu’aux caractéristiques spécifiques de l’entreprise.

Parmi les sociétés sous LBO, il existe une relation systématique entre les ratio dette/EBITDA et prix d’acquisition/EBITDA, ce qui peut indiquer que le recours au levier pousse les prix vers le haut. Les conditions sur le marché financier pèsent ainsi simultanément sur ces deux ratios. Le déve- loppement rapide du marché des prêts syndiqués (cf. Gadanecz, 2004) au cours de la période a eu son influence sur l’essor du segment LBO. Le retournement auquel nous assistons actuellement va profondément modi- fier cette donne.

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