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Le capital-investissement : une industrie non régulée

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 35-39)

Chapitre 1. Le capital-investissement existe-t-il ?

2. Unité du capital-investissement

2.2. Le capital-investissement : une industrie non régulée

2.2.1. Échapper à la réglementation des marchés

Le capital-investissement est défini à travers son caractère non coté, par opposition aux investissements cotés sur les marchés financiers réglemen- tés. La faiblesse des réglementations pesant sur le capital-investissement se justifie par le mode de détention privée(13), qui le réserve à des investisseurs expérimentés.

Plusieurs raisons amènent les investisseurs à vouloir éviter les marchés financiers réglementés :

• la régulation impose aux entreprises des obligations de transparence et de communication financière périodique qui sont très coûteuses, de plus en plus coûteuses, en termes de gestion administrative, comme la loi Sarbanes-Oxley en apporte l’illustration ;

• ces obligations de communication régulière induisent une forte préfé- rence des marchés pour le court terme avec une exigence de progression régulière des résultats de l’entreprise aux dépens des investissements renta- bles sur le long terme mais coûteux à court terme. Baker, Stein et Wurgler (2003) montrent ainsi que les sociétés cotées dont la stratégie d’investisse- ment est sensible à l’évolution du marché sont aussi celles qui obtiennent ensuite les rendements les moins élevés ;

• la régulation actuelle, tout en favorisant l’activisme des actionnaires, en limite l’étendue dans la mesure où elle enserre le monitoring actif des

managers dans des limites étroites et réduit de fait la capacité des action-

naires à influencer la stratégie menée par les managers(14).

Les avantages d’une non-cotation sont nombreux. La concentration de l’actionnariat des entreprises non cotées rend les prises de contrôle agressi- ves difficiles (DeAngelo et DeAngelo, 1987). Bierman (2003) souligne que le processus de gestion est simplifié : conséquence du retrait de la cote, moins de documents financiers sont à fournir notamment en ce qui con- cerne les obligations réglementaires propres à la Security of Exchange Com- mission (SEC) ou à l’AMF. Une fois en dehors de la cote, l’entreprise ne subit plus la réaction des marchés suite aux publications de documents fi- nanciers annuels ou trimestriels. Certains auteurs montrent que le choix des membres du conseil d’administration s’effectue davantage sur des critères de compétence plutôt que sur des critères de réputation.

(13) Pour nuancer ce point, on doit noter que certaines sociétés engagées dans le capital- investissement sont cotées sur des marchés publics, et que certains fonds investissent dans des entreprises cotées. C’est le cas d’Eurazeo, ou de Wendel Group en France, de 3I au Royaume-Uni, ou de KKR aux États-Unis.

(14) Des auteurs comme Roe (1990) ou Coffee (1991) remarquent que le cadre réglemen- taire et fiscal concernant les marchés financiers aux États-Unis limite considérablement l’ac- tivisme actionnarial.

Certes, pour le non-coté, il y a un manque évident de transparence. Mais, cette opacité permet de conserver les secrets de l’entreprise (confidentialité de la propriété industrielle), de développer ses activités de R&D et de mieux gérer sa politique d’innovation que dans les sociétés cotées (DeAngelo et DeAngelo, 1987). Enfin, le retrait de la cote permet également de prendre le temps pour une entreprise de définir sa stratégie et de mettre en œuvre ses décisions, sans craindre les critiques des analystes chaque trimestre (Jen- sen, 1993). Il y a une plus grande souplesse, une grande liberté d’action par rapport aux sociétés cotées.

2.2.2. Capital-investissement et marché : vers une architecture équilibrée ?

Doit-on en déduire de ce qui précède qu’il faut opposer le capital-inves- tissement (private equity) à la cotation sur des marchés réglementés (public

equity) ? Notre conviction est qu’il existe une architecture « idéale » du

gouvernement d’entreprise qui associe le marché et le capital-investisse- ment. La mise en place de cette architecture suppose un équilibre des rela- tions entre les deux modes de gouvernance, qui rend possible une respira- tion « optimale » des entreprises d’un régime à l’autre. Lorsqu’il s’agit de capital-développement ou de capital-transmission (buyout), le passage par le capital-investissement est une forme d’interlude, dont la durée ne peut se prolonger du fait du caractère coûteux du « traitement » effectué par le ca- pital-investissement. Pour les segments amonts du capital-investissement, le marché n’est qu’une sortie.

Dans le complément M à ce rapport, Jean-Bernard Schmidt explique que des marchés dynamiques sont indispensables à un fonctionnement sain de l’industrie du capital-risque dont l’action est nécessairement transitoire du fait du coût d’intermédiation associé.

La valorisation par le marché est en effet la référence pour l’entrée et la sortie, et permet d’évaluer la performance des gérants de fonds. En analy- sant la stratégie d’investissement de 2 179 firmes de VC ayant investi dans 16 354 sociétés entre 1975 et 1998 aux États-Unis, Gompers, Kovner, Lerner et Scharfstein (2005) constatent que les signaux envoyés par le marché orientent les décisions d’investissement des fonds parmi les secteurs. Cette sensibilité au signal du marché est d’autant plus grande que la capacité du fonds à analyser le marché et le secteur (c’est-à-dire son expérience) est importante. La performance élevée réalisée par ces fonds expérimentés est donc aussi liée à leur capacité à décoder les informations transmises par le marché. Si l’on rapproche ce résultat de celui obtenu par Baker, Stein et Wurgler (2003) pour des sociétés cotées, il apparaît ainsi de manière para- doxale qu’un avantage du private equity sur le public equity réside dans une capacité supérieure à exploiter l’information des marchés pour la trans- former en valeur.

Dans le segment du buyout, le « retour » périodique vers le marché ap- paraît comme un élément d’évaluation indispensable, une manière d’éclai- rer le travail des gérants, de concrétiser la création de valeur en ne se réfé- rant pas simplement à une évaluation d’expert.

Il existe donc une architecture équilibrée, qui associe public equity et

private equity, réalisant une gestion optimale de la relation d’agence inves-

tisseur-entrepreneur. Pourtant, la multiplication des LBO secondaires (cession d’une entreprise en portefeuille à un autre fonds de capital-inves- tissement), la montée en taille des deals, le recours croissant des fonds à des véhicules cotés ou encore le rapprochement entre capital-investissement et fonds d’arbitrage modifient cette architecture. L’encadré 3 rend compte de l’opinion de Tim Jenkinson (2007) sur ce sujet.

Le maintien de cette architecture est extrêmement dépendant du con- texte réglementaire dans lequel opèrent le marché et les fonds. On a vu précédemment comment le Prudent Man Rule Act, ou plus récemment le

Sarbanes-Oxley Act, ont favorisé le delisting et accéléré le développement

du capital-investissement. L’inefficacité des marchés, notamment leur sur- réglementation, alimente certes le segment buyout du capital-investisse- ment, mais elle constitue aussi une formidable barrière à la sortie des pro- jets, et donc à la création de valeur.

L’encadrement étroit du fonctionnement des marchés est une condition absolue de leur efficacité. Il reste toutefois à trouver le bon équilibre entre la protection de l’épargne publique et la possibilité pour les actionnaires des sociétés cotées d’effectuer leur travail, c’est-à-dire de pratiquer l’action- nariat actif pour mettre sous pression le management. En revanche, les tra- vaux de la commission Walker (2007a et b), les recommandations contenus dans les rapports de l’autorité de contrôle britannique (FSA, 2006 et 2007), ou encore celles du groupe de travail Sterling de l’OCDE (cf. le complé- ment C à ce rapport rédigé par Adrian Blundell-Wignall et Annabel Bis- muth) montrent qu’il n’y pas de lieu d’organiser une régulation spécifique du secteur du capital-investissement, car ce dernier concerne des investis- seurs sophistiqués et ne mobilise donc pas directement l’épargne publique. Il est évidemment nécessaire de surveiller les opérations qui ont un impact sur le fonctionnement des marchés publics afin de protéger les intérêts des actionnaires (opération de retrait de la cote), mais la réglementation des marchés existante le permet. Il est aussi important d’imposer des normes prudentielles sur le niveau des engagements des investisseurs dans le capi- tal-investissement. Ces points sont discutés dans le chapitre 3.

Le rapprochement des fonds d’arbitrage activistes et des fonds de capi- tal-investissement est une question cruciale, car elle infirmerait la thèse d’une spécificité du capital-investissement. Les compléments rédigés par Bertrand Jacquillat (cf. complément A) et Ghizlane Kettani (cf. complé- ment D) offrent deux points de vue opposés sur le sujet. L’OCDE regroupe les deux catégories sous le label « pools de capitaux privés » ou encore « structures de placement alternatives ». Le point commun entre les deux

3. Peut-on imaginer la fin du public stock market ? La réponse de Tim Jenkinson (2007)

Face à la montée spectaculaire des capitaux collectés par les fonds de buyout et la multiplication des opérations de P2P (public to private), Tim Jenkinson (2007) s’interroge sur la possibilité d’une transformation profonde des écono- mies de marché. Le private equity peut-il évincer progressivement le public

stock market ?

L’apparition des méga-buyouts, la comparaison entre le volume des intro- ductions en bourse (aux alentours de 200 milliards de dollars) et celui des fonds collectés par les fonds de buyout (au-delà de 300 milliards de dollars) et la multiplication des buyouts secondaires plaident en faveur d’une éclipse pro- gressive du public equity. Pourtant, Tim Jenkinson reste prudent en notant qu’il est difficile de mesurer les flux nets d’actifs qui passent du public au private

equity. Par exemple, on ne distingue pas parmi les sorties par cession (trade sale) celles qui s’effectuent vers une société cotée des autres. Il apparaît que

l’Europe est beaucoup moins affectée que les États-Unis par les opérations de P2P.

Le déploiement de grosses opérations de buyout en Europe se heurte à la difficulté de recourir au P2P : barrières réglementaires, fiscales voire politi- ques ou syndicales… sans compter la capacité accrue des actionnaires à faire monter les enchères de ces opérations. L’assèchement actuel de liquidités ne risque pas d’inverser cette tendance. Le marché des buyouts secondaires, comme celui des recapitalisations, a été en partie nourrie par la baisse des taux d’inté- rêt, qui a permis d’accroître davantage le levier, plutôt que par de nouvelles perspectives de développement offerts par l’acheteur. Le resserrement des con- ditions du crédit peut favoriser un retour vers le public equity des entreprises concernées.

On est donc loin d’assister à la mort du coté. Bien au contraire, le capital- investissement peut le revivifier comme en témoigne la mise en place de ce que Jenkinson nomme le Private Equity 2.0. Par ce terme, il désigne les stratégies hybrides « cotés/non-cotés » suivis par des fonds de buyout, qui cherchent à s’affranchir des opérations « sèches » de P2P (contrôle progressive des socié- tés cotées, maintien d’un flottant coté…) et approchent ainsi leur activisme actionnarial de celui des hedge funds.

En ce qui concerne le segment du venture capital (VC), Jenkinson souligne le succès (y compris international) du marché londonien déréglementé AIM (Alternative Investment Markets), qui, non seulement, accueille un nombre crois- sant d’introduction en bourse, mais aussi opère comme un substitut direct au financement par le capital-investissement.

activités est d’utiliser l’activisme actionnarial pour créer de la valeur. Le fonds de capital-investissement agit à l’extérieur du marché et de manière durable, alors que les fonds d’arbitrage utilisent les mécanismes de marché. En s’impliquant dans la gestion opérationnelle de l’entreprise, les premiers « construisent » la création de valeur, alors que les seconds la « concréti- sent instantanément » en affectant le mécanisme décisionnel de vote des actionnaires. Il n’appartient pas à ce rapport de savoir si l’action à court terme des fonds spéculatifs activistes améliore l’efficacité des marchés et la gouvernance des entreprises. En revanche, nous devons constater que le capital-investissement agit sur un horizon fondamentalement différent.

2.3. Inciter, contrôler et accompagner le management : une

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