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Les enseignements de l’études des performances privées

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 71-76)

Chapitre 2. Le capital-investissement est-il performant ?

2. Économie politique des rendements du capital-investissement

2.2. Les enseignements de l’études des performances privées

Les sous-sections précédentes ont fait apparaître trois caractéristiques remarquables de la performance privée des fonds.

La première est relative à la performance moyenne décevante du place- ment en capital-investissement. L’introduction du risque rend le tableau encore plus sombre puisqu’une estimation grossière aboutit à un écart de rendement net moyen avec le coté qui pourrait atteindre un niveau de 6 % sur une base annuelle. De manière assez frappante, cet écart correspond peu ou prou au montant des rémunérations versées aux gérants des fonds.

Cette performance privée moyenne cache de très importantes différen- ces entre les fonds. La seconde caractéristique est que la performance dé- pend systématiquement de la taille et l’expérience du fonds, avec une per- sistance de la réussite parmi les fonds. Cet effet de persistance montre que ce sont bien les compétences entrepreneuriales (entrepreneurial skill), qui constituent la clé du succès. Nous tenons là notre troisième caractéristique

de la performance. Pour le fonds, la compétence est vecteur de performance

via la sélection de projet plutôt que par la conduite de ces projets. Pour

créer de la valeur, cette compétence doit être partagée entre les trois ni- veaux, l’entrepreneur, le fonds et l’investisseur, via un appariement parti- culier.

Ces caractéristiques conduisent à poser trois questions, qui débouchent sur une interrogation cruciale : la performance privée du capital-investisse- ment constitue-t-il un frein à son développement ? La première question est relative à la stratégie des investisseurs. Comment expliquer qu’en dépit d’un rendement net aussi faible les investisseurs continuent à placer des fonds dans le capital-investissement ? La deuxième question concerne les facteurs à l’origine de cette sous-performance. À rendement brut donné, le niveau de rémunération grève-t-il de manière excessive le rendement net ? La troisième et dernière question concerne la création effective de valeur du capital-investissement, c’est-à-dire son rendement brut. Comment se caractérise la technologie de production du capital-investissement ?

2.2.1. Pourquoi les investisseurs recourent-ils au capital-investissement ?

Cette question n’est évidemment pas tranchée, mais Phalippou (2007) et Phalippou et Gottschalg (2007) fournissent un éclairage pertinent en évo- quant quatre possibilités :

• l’apprentissage ;

• la mauvaise perception du rendement par l’investisseur (mispricing) ; • l’existence d’autres motivations que le rendement (side benefits) ; • et enfin, thèse provocatrice, la conspiration.

2.2.1.1. Apprentissage et appariement sélectif LPs-GPs

Investir dans le capital-investissement, et plus encore gérer des fonds de capital-investissement est une activité complexe et relativement récente, comme en témoigne l’augmentation des volumes des dernières décennies. Les résultats de Kaplan et Schoar (2005), ceux de Sorensen (2007) ou de Phalippou et Zollo (2005) ont montré que l’expérience du GP est un élément déterminant de sa performance. Lerner, Schoar et Wong (2007) mettent en avant une caractéristique similaire du côté de l’investisseur.

Sur le marché GP-LP, l’appariement peut ainsi s’organiser de manière sélective dans un contexte d’apprentissage. Un LP peu expérimenté accepte ainsi d’investir dans un fonds peu performant, afin d’acquérir l’expérience, et donc la possibilité ultérieure de participer à un limited partnership plus profitable. Le rendement des fonds peu performants serait ainsi réduit du coût implicite de l’apprentissage du LP : la faible performance serait le coût à payer pour acquérir la compétence, nécessaire à un investissement plus rentable.

Selon Phalippou (2007), cette explication n’est pas totalement convain- cante, car même si le capital-investissement est une activité récente, il ne semble pas que l’on observe une augmentation tendancielle des rendements témoignant d’un apprentissage par le marché. De plus, Kaplan et Schoar (2005) ont certes montré que performance et expérience sont positivement liés dans la coupe des fonds, mais aussi que ce lien disparaissait une fois contrôlé l’identité du GP. L’apprentissage affecterait surtout l’investisseur.

2.2.1.2. Mauvaise perception du rendement par l’investisseur

Du fait de leur inexpérience et d’un déficit de compétence, les LPs ne seraient pas toujours capable d’évaluer le niveau de rendement servi par les fonds. Cette observation est cohérente avec l’étude de Lerner, Schoar et Wong (2007).

Ce phénomène serait encore renforcé par la pratique des GPs, qui peu- vent biaiser la présentation de leurs résultats : présentation de rendements bruts plutôt que nets, utilisation de multiple sans référence à la durée de l’investissement, communication autour de quelques opérations… Dans le complément G, Gottschalg et Phalippou notent que la profession tend à utiliser des indicateurs de performance, qui enjolivent les résultats.

Il apparaît essentiel que les études indépendantes sur la performance privée du capital-investissement se développent, et que les statistiques four- nies par la profession soient fiables et publiques. Si les investisseurs ne sont pas capables de corriger leur perception des rendements, alors la dé- ception sera sévère et destructrice pour l’industrie.

2.2.1.3. Autres motivations que le rendement

Tout d’abord, des LPs accepteraient un retour net faible sur leur inves- tissement en compensation d’autres relations commerciales qu’ils peuvent établir avec le GP, compte tenu de leur participation au fonds. On peut notamment penser que les banques sont sensibles à ces revenus complé- mentaires provenant par exemple de la gestion de la dette, ou de services liés à la préparation des IPOs et des trade sales. Les résultats empiriques de Lerner, Schoar et Wong (2007), ainsi que l’étude de Hellmann, Lindsey et Pury (2005) concernant le VC, confirment cette hypothèse.

Ensuite, Phalippou (2007) souligne que certains LP poursuivent des buts plus généraux que la réalisation d’un rendement financier. C’est notam- ment le cas lorsque des organismes publics ou semi-publics interviennent sur le marché du VC (exemple de la BERD, Fonds européen d’investisse- ment, Caisse des dépôts et consignation…). À l’inverse, Lerner, Schoar et Wong (2007) montrent que les fondations et les universités sont les inves- tisseurs les plus performants.

Enfin, des avantages fiscaux associés à certaines opérations peuvent également réduire le rendement servi à l’investisseur. Cette critique est notamment récurrente en France où l’avantage fiscal à l’entrée dans les

FCPI (Fonds commun de placement dans l’innovation) n’inciterait pas les gérants de fonds à la performance(45).

2.2.1.4. La conspiration

Phalippou (2007) s’interroge sur l’existence d’une collusion entre le GP et le gérant private equity des LPs, afin d’enjoliver les performances du capital-investissement. La littérature a amplement montré en quoi les me- sures de performance fournies par la profession (LPs comme GPs) étaient biaisées dans un sens favorable à cette catégorie d’investissement. Afin d’écarter ce soupçon, il serait utile d’obtenir des données fiables et gérées de manière indépendante. Les efforts de transparence préconisés par le rap- port Walker (2007) vont dans ce sens.

2.2.2. La rémunération des fonds est-elle excessive ?

Selon Metrick et Yasuda (2007), la rémunération des fonds capture en moyenne 25 % du capital commited, ce qui grève considérablement le re- tour net du capital-investissement. Phalippou et Gottschalg (2007) consi- dère que la rémunération abaisse le facteur « alpha » de 6 %. Gottschalg, Kreuter et Phalippou (2007) s’interrogent : la rémunération est-elle exces- sive ?

Constatons d’abord que, sur ce point, il n’y « rien de spécial » avec le capital-investissement. Ainsi Berk et Green (2002) commencent-ils leur article sur la gestion des fonds communs (mutual funds) par l’accroche suivante : « One of the central mysteries facing financial economics is why

financial intermediaries appear to be so highly rewarded in our economy, despite the apparent fierce competition between them and the uncertainty about whether they add values through their activities ».

Ajoutons ensuite que plus que le niveau de rémunération, c’est surtout la manière dont il (n’) évolue (pas) avec la taille des fonds qui suscite des interrogations. Dans son rapport consacré au capital-investissement, le Treasury Committee de la Chambre des Communes britannique souligne que « le pourcentage de frais payé aux general partners des plus grands fonds n’a que peu diminué (en passant de 2 % à 1,5 ou 1,75 %) en dépit de l’accroissement spectaculaire de la taille des fonds » (cf. Treasury Committee, 2007), ce qui conduit ce comité à s’interroger sur le niveau de concurrence dans l’industrie.

Enfin, la structure de la rémunération fait apparaître qu’elle est relative- ment peu sensible à la performance réalisée par le fonds. En effet, la com- posante fixe (management fees) absorberait de 65 à 80 % de la rémunéra- tion au détriment de la composante variable (carried interest).

(45) La seule étude effectuée sur la performance des FCPI en France est Mnejja, Sahut et Hentati (2007). La faible rentabilité des fonds est soulignée, sans que l’influence de la fisca- lité ne soit testée. L’influence des avantages à l’entrée sur le rendement peut s’exprimer par le fait que les fonds les plus connus et les plus gros, ceux qui sont proposés par les grands réseaux bancaires comme un « produit fiscal », sont les moins performants.

La structure de la rémunération est un élément essentiel du schéma d’in- citation et de partage des risques mis en place entre les LPs et le GP. La composante fixe doit couvrir le coût effectif de gestion du fonds. Un pour- centage excessif de composante fixe pousse le GP à accroître la quantité d’investissement plutôt que leur qualité(46). À l’opposé, un carried trop élevé peut inciter le GP à une prise de risque excessive. Afin d’équilibrer l’afflux vers les fonds à leur taille, on doit s’attendre à ce que la structure de rému- nération dépende des performances passées réalisées, telles qu’elles appa- raissent dans le track record.

Metrick et Yasuda (2007) constatent pourtant que la structure de base est étonnamment invariante parmi les fonds et obéit massivement au « 2-20-8 % »(47). Les raffinements dans l’application de cette « règle » par les fonds peuvet toutefois engendrer d’importantes différences en matière de commission. Phalippou (2007) considère qu’il existe une certaine opa- cité dans la rémunération, et que même les LPs ont quelque fois des diffi- cultés à en cerner les contours.

Pour 100 dollars de capital engagé, le montant actualisé des rémunéra- tions s’élève à 24,18 dollars pour le segment VC et à 17,29 dollars pour le BO. Metrick et Yasuda (2007) observent qu’il est pertinent de rapporter le montant des rémunérations aux nombres de gérants (partners) et de colla- borateurs (professionnal) intervenant dans le fonds. Bien que dégageant moins de rémunération par dollar engagé, il apparaît que les fonds BO bé- néficient d’un effet de taille, qui accroît sensiblement la rémunération par associés et collaborateurs. En termes actualisés, un associé dégagerait ainsi une moyenne de 13,22 millions de dollars de rémunération dans le VC con- tre 17,73 millions de dollars dans le BO. Sur une base annuelle, Gottschalg, Kreuter et Phalippou (2007) aboutissent à une rémunération par collabora- teur (professionnal) de l’ordre du million d’euros.

Metrick et Yasuda (2007) régressent le montant des rémunérations par dollar investi, par associé et par collaborateurs sur les caractéristiques du fonds en termes d’expérience et de performance passé du GP. Dans ces régressions, la performance n’est jamais significative, ce qui implique que les GPs performants augmentent leur rémunération en augmentant la taille des fonds sous gestion, plutôt que les niveaux de rémunération. L’expé- rience du GP influence positivement la rémunération par associé et par col- laborateur, mais pas celle par dollar investi.

On retient ainsi que les GPs performants et expérimentés préfèrent aug- menter leur rémunération en jouant sur la taille des fonds (marge exten- sive) plutôt que sur le pourcentage de rémunération (marge intensive).

(46) Le management fees est bien souvent calculé sur la base du commited capital en début de vie de fonds, puis sur celle des investissements effectivement réalisés ensuite.

(47) 2 % pour le management fees, 20 % de carried interest et 8 % de hurdle rate (seuil à partir duquel le carry est prélevé).

Metrick et Yasuda (2007) montrent que l’effet de taille est bien plus sensi- ble sur le segment BO que sur le segment VC : « Taken together, these

results suggest that the BO business is more scalable than the VC business ».

En examinant les résultats de Metrick et Yasuda (2007), il ne semble pas que les composantes variables et fixes se comportent différemment en fonc- tion des performances passées du fonds. Ceci confirme la remarque effec- tuée par le Treasury Committee de la Chambre des Communes, et laisse donc à penser que la perception d’une commission fixe invariante ne con- tribue pas à l’alignement des intérêts des LPs et du GP.

2.2.3. Rendements et économies d’échelle dans l’industrie du capital-investissement

Le capital-investissement est-il une activité artisanale, dont le dévelop- pement se heurte à la rareté des projets et à la pénurie des compétences entrepreneuriales ?

Le rendement net servi aux investisseurs, ainsi que le niveau élevé des rémunérations des GPs, plaide en ce sens. L’extrême hétérogénéité des per- formances renforce encore cette impression. Si l’on en croit Metrick et Yasuda (2007), le segment VC serait plus rapidement affecté par l’exis- tence de rendements décroissants. La liaison entre la taille, l’expérience et la performance, la persistance des performances ont montré que la compé- tence entrepreneuriale était le facteur clé du développement du capital-in- vestissement.

Les professionnels ont coutume de pointer le caractère difficilement re- productible (scalable) de leurs activités. Les politiques publiques peuvent donc avoir pour objectif d’accumuler ses compétences pour repousser la limite des rendements décroissants.

Dans le document Private equity et capitalisme français (Page 71-76)