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4. Interactions des militantes avec le droit

4.1 Mobilisation du droit et contraintes

4.1.3 Veille et commentaire des évolutions législatives

248 L’article 137.1 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels permet ce motif de refus. Loi sur l’accès RLRQ c A-2.1, art 137.1. 249 En vertu de Loi sur l’accès, RLRQ c A-2.1, art 13.

74 Comme nous l’avons déjà mentionné dans le portrait du mouvement vert québécois, celui-ci a largement participé à l’élaboration du cadre juridique de protection de l’environnement à partir des années 1970, et continue à surveiller les changements législatifs et à en tenter d’en influencer l’évolution. Il faut dire que les entretiens se déroulèrent de mars à mai 2018, soit après une période particulièrement mouvementée en termes de changements législatifs en environnement. L’importante réforme de la LQE (projet de loi 102) venait de s’achever, et la controversée Loi sur les hydrocarbures (projet de loi 106) et ses règlements d’application suscitait encore de vives réactions. La question de la surveillance des lois émergea donc tout naturellement durant nos entretiens. Huit de nos informatrices ont révélé exercer une vigilance des évolutions législatives, ainsi que préparer des interventions visant à influencer ces évolutions.

L’importance des lois et règlements fait peu de doute pour Maxime: « [la loi] c’est la base de tout et on se bat souvent pour la faire changer, améliorer, augmenter sa portée, afin de mieux protéger l’environnement, et du même coup les citoyens et leur santé ». Sébastien souligne quant à lui que la création des lois constitue un moment-clef important à saisir:

La grande difficulté c’est lorsque la loi est établie, il est difficile de la faire modifier. Donc j’ai compris que toute la période qui précède l’adoption d’une loi est cruciale. Tu sais, les projets de loi, les périodes de consultation, les projets de règlements, les dépôts, les mémoires, mouler les projets de loi pour qu’ils soient le plus justes possible, c’est là, le moment critique.

Ophélie, qui provient d’un groupe qui a les moyens de rémunérer du personnel pour faire ce travail de vigilance et de participation aux processus législatifs, explique : « On fait de la mobilisation, du travail de sensibilisation, on influence les politiciens, et éventuellement le but final c’est que ce soit inscrit dans la loi pour que ce soit permanent. (…) ultimement c’est pour que les décideurs transposent ça en changements législatifs ». Étienne provient aussi d’un groupe qui a pu allouer des ressources à la vigilance de la loi: « Quand c’était la réforme de la LQE, on a parlé avec des avocats et identifié des zones grises. Puis on a organisé un briefing technique avec des journalistes pour qu’ils soient capables de poser des questions ciblées. (…) L’intervention des avocats, décuplée par l’intervention des journalistes qui

75 comprenaient les questions, a eu pour effet que la LQE est moins pire que ce qu’elle aurait pu être ».

Du côté des groupes moins nantis, ce type de mobilisation du droit présente des défis d’accessibilité, puisque la lecture, l’analyse et le commentaire des réformes législatives exigent du temps et une certaine expertise. Arlette explique que lorsqu’un nouveau projet de loi est mis sur la table, son groupe tente de l’analyser et d’émettre un communiqué de presse, mais les moyens manquent et les personnes mobilisées sont déjà très occupées. Les nombreux développements législatifs sont formulés dans un langage complexe et peu accessible au non-juriste : « Ça prend un bagage pour interpréter un texte légal et ce que ça veut dire, ce que ça implique. J’ai pas le temps pour éplucher l’ensemble des règlements qui sont sortis, par exemple. Je me sens démunie, je suis une militante dans ma communauté, j’essaie de comprendre l’univers légal dans lequel j’évolue et je ne trouve pas ça évident » explique-t-elle. Elle souligne par ailleurs l’importance du « travail de collaboration qui se fait entre les différents groupes écologistes quand il y a des projets de loi (…) un dialogue entre les différents groupes pour se faire une tête ». Laurent abonde dans le même sens, expliquant que plusieurs domaines de droit sortent des capacités et compétences de son organisation, et qu’il est important de « travailler en coalition pour se partager toute l’information ». Amanda évoque à son tour le manque de ressources et la pertinence de se fier aux alliés : « on n’a pas pu mettre autant d’énergie qu’on aurait dû, et qu’on aurait pu, sur la réforme de la LQE, et il y a des lacunes majeures là-dedans (…) on essaie de suivre et d’influencer si possible (…) On se fie au CQDE essentiellement parce qu’on n’a pas les ressources pour suivre et on s’entend que c’est assez complexe! ».

Nous constatons que pour certains groupes environnementaux, influencer le développement du droit de l’environnement apparait comme l’un des objectifs centraux de leur mission, alors que pour d’autres groupes, les changements législatifs sont un enjeu périphérique à leur cause principale, et la vigilance législative fait simplement partie des tactiques à mettre en œuvre dans la mesure du possible. Cette divergence nous parait possiblement attribuable, au moins en partie, aux disparités financières entre les groupes du mouvement vert. En effet, peu de militantes se sont montrés totalement désintéressés face aux évolutions législatives.

76 Ce sont davantage les contraintes en ressources et en temps qui se répercutaient sur leur veille active des changements dans la loi.

Un certain désintérêt a tout de même été évoqué par Tamara, pour qui la vigilance de la loi se présente comme une activité trop accaparante dans un horaire surchargé, en plus d’être voué à être réalisée en vain. Elle explique que son groupe ne participe au processus d’élaboration des législations qu’uniquement lorsqu’ils concernent leur domaine très précis d’intervention :

On suit et on fait part à nos membres (…) sinon on n’a pas le temps de participer aux réformes, ça prend trop de connaissances, trop de lecture, comme la révision de la LQE, c’est trop gros. On a de la misère. Je fais déjà 50 heures par semaine juste avec tout le travail qu’on a à faire, et comme je dis, pour nous ça ne change pas grand-chose, la révision de la LQE, parce que les élus n’appliquent pas la loi. Pour moi c’est du temps perdu de participer à ces consultations-là.

Il y a donc un manque de temps, mais également un certain cynisme par rapport à l’application effective du droit, dont on peut supposer qu’il entre en ligne de compte au moment de participer ou non aux processus législatifs. Nous aurons l’occasion de revenir sur les perspectives très critiques des militantes sur le droit de l’environnement et son application dans le chapitre suivant.

Finalement, un informateur raconte avoir utilisé la loi de façon originale pour en démontrer un aspect ridicule ou insensé, avec l’objectif explicite d’en provoquer la modification. Cette utilisation originale de la loi, survenue en 2010, alliait la démonstration factuelle du défaut d’une loi à un geste captant l’attention médiatique. En remplissant un simple formulaire, des militantes écologistes ont obtenu le droit de faire de l’exploration minière sous l’Assemblée nationale du Québec et s’y installèrent en campement250, avec tous les outils nécessaires pour creuser. Ce geste de moquerie visait à dénoncer la nouvelle Loi sur les mines et la procédure gouvernementale de « claims » miniers, en démontrant avec quelle facilité des entreprises peuvent s’approprier le sous-sol québécois. Le faux campement minier sur le gazon

250 « Un camp minier devant le Parlement », Radio-Canada (16 août 2010), en ligne : <https://ici.radio-

77 parlementaire suscita largement l’intérêt des médias et entraîna une modification bénéfique de la loi, bien qu’insuffisante par rapport aux souhaits des militants.