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5. Consciences du droit chez les militantes

5.1 Perspectives et connaissances des militantes au sujet du droit

5.1.3 Le cadre juridique de protection de l’environnement

Les entretiens ont permis de recueillir les perspectives des militantes au sujet du droit de l’environnement. Nous souhaitons d’abord mettre l’accent sur leur impressionnante connaissance de certaines lois, qui a dépassé nos prévisions à plusieurs égards. Me Bélanger a également partagé une semblable impression quant à la connaissance pointue de la loi par plusieurs militantes qu’il connait. Il observe que ce savoir, souvent limité aux législations concernant le champ d’intérêts immédiat des groupes verts, n’en reste pas moins très aiguisé :

295 Barkan, « Justice et mouvements sociaux », supra note 131 à la p 157.

296 Andrée Lajoie, Jugements de valeurs : le discours judiciaire et le droit, Paris, PUF, 1997 aux pp 65 et

116 « Ceux qui travaillent sur les OGM ou les pesticides depuis 20 ans, par exemple, ils connaissent la loi mieux que moi! ». Ces connaissances juridiques se conjuguent à l’expérience du travail terrain pour la protection de l’environnement pour nourrir les perceptions que les militantes ont du droit. Il se trouve que nos informatrices ne tarissent pas de reproches pour le cadre législatif de protection de l’environnement, et plus largement pour l’ensemble des lois et règlements qui, sans relever directement du corpus du droit de l’environnement, ont une incidence directe sur celui-ci. Bien qu’elles divergent quant à la vision générale de la justice et du rôle des juges, un certain consensus se dégage des perspectives sur le droit de l’environnement: les critiques sont très vives. Le mécontentement général repose sur plusieurs raisons distinctes soulevées par nos informatrices, raisons relevant à la fois du droit et du contexte extra-juridique qui en affecte l’application.

Plusieurs participantes ont abordé le corpus juridique composant le droit de l’environnement. Le commentaire de Robert n’est pas sans rappeler les propos de François Ost sur les limites intrinsèques du droit de l’environnement que nous avons présenté au chapitre un : « ([La LQE], je trouve que c’est une loi qui est faite pour donner des permis de polluer, ce n’est pas une loi qui est faite pour protéger l’environnement. Elle est pleine de trous, elle n’a pas de dents. Et elle serait à notre avantage, dans certains cas, mais des intérêts économiques sont trop forts, on la contourne ». Plusieurs regrettent que la loi ne soit pas suffisamment contraignante, comme Étienne, qui souligne que ses observations sur le terrain l’orientent vers une telle conclusion : « Par exemple si on peut continuer de construire sur des milieux humides partout… je n’ai pas besoin de lire la LQE pour voir que les permis de construction continuent d’être émis à grande vitesse! Ce n’est pas assez contraignant, il y a une grande marge de manœuvre pour faire de la petite politique ». Gaëlle a également exprimé une critique à l’égard du droit de l’environnement, et précise que son opinion se fonde sur ses observations concrètes sur le terrain : « Je sais ce que veut dire la loi sur les mines, je vois l’impact qu’elle a sur les gens! ».

L’une des raisons du mécontentement des militantes par rapport au droit est non-équivoque et presque unanime : inutile d’applaudir un cadre juridique de protection de l’environnement si celui-ci n’est même pas appliqué. Tamara est catégorique : « Si c’était appliqué, il n’y en

117 aurait plus, de problèmes environnementaux! [Les normes et lois] sont toutes déjà là, mais ne sont pas appliquées ». Philémon abonde dans le même sens, expliquant que le gouvernement néglige d’appliquer ses propres lois : « On a des lois, des règlements, mais comme les gouvernements ne les appliquent pas c’est à nous de prendre nos responsabilités […] pour forcer les gouvernements ou les ministères à agir ». Il déplore que les normes en matière d’environnement soient plus aisément appliquées à des petits agriculteurs, par exemple, qu’à des grosses entreprises fomentant des projets hautement dommageables. Quand la loi fait l’objet d’une application différenciée, « ça devient fondamentalement une injustice », ajoute-t-il.

Étienne ne s’enthousiasme que peu : « J’aimerais croire que le cadre législatif s’améliore, mais il va falloir qu’il soit appliqué plus vite, et qu’il soit encore plus contraignant. Et ça, ça prend de la volonté politique ». Le manque de volonté politique est en effet au cœur des préoccupations, et bien qu’il s’agisse d’un facteur contextuel peu juridique a priori, son impact sur le droit de l’environnement et son application, de même que sur la perception des militantes du mouvement vert au sujet du droit, est indéniable. L’apparition de plusieurs nouvelles lois dans les dernières années est pour Arlette une indication claire du manque de volonté politique : « Les projets de loi qui touchent l’environnement, par exemple la loi sur les hydrocarbures, les règlements qui sont sortis récemment… eh bien moi ce que ça me dit, c’est que l’État n’a pas à cœur, quand il écrit des lois, de permettre aux populations de protéger leurs écosystèmes ou leurs conditions d’existence ».

Amanda explique comment le cadre juridique a évolué défavorablement pour la protection de l’environnement, en prévoyant des voies de contournement fondées sur des aspects techniques. Certains projets potentiellement très dommageables parviendraient ainsi à éviter les obstacles légaux en se faufilant dans les catégories techniques qui sont exemptées de mesures régulatoires plus sévères par les législations. Par exemple, la LQE n’impose pas un BAPE aux forages et fracturations réalisées à l’étape exploratoire d’un projet, alors que ces pratiques extractives présentent les mêmes risques qu’à l’étape de l’exploitation. De multiples petits projets mis de l’avant par une même entreprise parviennent également à éviter les obligations d’évaluation d’impacts et de BAPE, grâce au fait que chacune des

118 composantes du projet reste en dessous de la taille prévue par la loi pour être soumise à ces mesures. Dans le dernier exemple qu’elle propose, Amanda mentionne qu’elle ne voit pas de hasard dans ces distinctions techniques prévues dans les textes de lois : « Dans la loi 102297, les projets pilotes peuvent échapper aux études d’impacts et faire directement l’objet d’une autorisation ministérielle, et ce que l’entreprise […] propose de faire, ils appellent justement ça un projet pilote, je pense que ça a été fait exprès pour ça ». Maxime se désole avec un certain cynisme des voies d’évitement permises par les lois, et que les industries utilisent souvent de façon très habile : « C’est con comme ça, mais c’est la loi. C’est ce que la loi permet ».

Il apparait donc que le foisonnement de nouvelles législations en matière environnementale ne signifie pas nécessairement une amélioration du cadre juridique depuis la perspective des militantes du mouvement vert. Certains perçoivent plutôt une tendance au démantèlement des protections légales effectives, « un effort systématique, délibéré, pour enlever les protections qu’on s’était collectivement données, pour enlever les balises qui faisaient que collectivement on essayait d’aller dans la bonne direction » dénonce Amanda. Son amertume est palpable : « Et c’est fait avec une maitrise de l’art de pervertir les communications pour que ça devienne tellement opaque et mêlant que pu personne ne comprend rien. C’est mon sentiment général par rapport à l’évolution du droit de l’environnement : c’est très décevant, démobilisant, catastrophique, désespérant pour les jeunes, je pense ».

Cela ne signifie pas que les évolutions législatives ne présentent aucun levier supplémentaire et potentiellement favorable à la protection de l’environnement, mais simplement que la vision générale de nos 12 militantes interviewées est largement dominée par une critique acerbe de sa portée réelle. La LQE récemment réformée est d’ailleurs loin de préserver le droit des fluctuations de la volonté politique, ce qui constitue en effet un problème majeur pour l’application de régulations environnementales, et un exemple tangible du recul du droit

297 PL 102, Loi modifiant la loi sur la qualité de l’environnement afin de moderniser le régime d’autorisation environnementale et modifiant d’autres dispositions législatives notamment pour modifier la gouvernance du Fonds Vert, 1ère sess, 41ème lég, Québec, 2016 (sanctionné le 23 mars

119 de l’environnement que perçoivent certaines militantes. Me Bélanger est très éloquent à ce sujet :

J’ai une grosse déception. La nouvelle loi adoptée au Québec a parsemé les pouvoirs de discrétion du ministre [de l’environnement] partout. Il y a de la discrétion partout, partout, ça fait d’une loi environnementale une loi qui va avancer au gré du bon vouloir du ministre…. Certaines victoires qu’on a eues, on ne les aurait pas eues avec la nouvelle loi! Parce que ça va être flou, et ça va peut-être même limiter l’intervention des tribunaux.