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Vanille ou Chocolat ? de Jason Shiga

Dans le document Que serait-il arrivé si? (Page 42-45)

Paru en 2012, Vanille ou Chocolat ? est une bande dessinée dont le lecteur est le héros, basée sur une structure à

arborescences multiples. Le lecteur suit les aventures et les choix du petit Jimmy, confronté à un banal dilemme initial : quel parfum choisir pour sa glace, vanille ou chocolat ? Cette décision précipite un ensemble de conséquences des plus inattendues, qui peuvent aller jusqu’à la fin du monde.

Lecture non linéaire

Pour cette histoire, l’auteur a développé ses propres codes narratifs, par le biais de petits « fils » et d'onglets. Les cases sont reliées les unes aux autres par des sortes de fils

débordant de la case, que le lecteur doit suivre pour progresser dans l’histoire. Certaines lignes entraînent à l’extérieur de la page, vers des onglets qui permettent de passer d’une page à l’autre, vers l'avant ou en arrière.

L'onglet est une invention astucieuse qui permet de pallier certains problèmes présents dans d’autres bandes dessinées dont le lecteur est le héros comme La peur du Louvre de Yvan Pommeaux : dans cette bande dessinée, le lecteur doit feuilleter tout un livre à la recherche du bon numéro pour connaître la suite de l'histoire.

Les cases dans la bande dessinée de Jason Shiga

n'emploient que rarement le sens conventionnel de lecture de gauche à droite. La linéarité y est néanmoins conservée grâce à l'utilisation du fil qui dépasse de chaque case, qui indique où reprendre le récit. La manipulation de Vanille ou chocolat ? est soigneusement étudiée pour optimiser le cheminement dans ce dédale de cases.

Une arborescence pleine de nœuds

Le lecteur est invité à prendre des séries de décisions : ainsi commence le récit arborescent. Pour chaque choix, ce sont autant de chemins qui se divisent : le récit aboutira tantôt dans un cul-de-sac ou une « fin prématurée », tantôt vers un nouveau choix stratégique.

Dès le départ, il existe une chance sur deux de terminer en trois pages la première aventure, sans avoir eu la moindre idée du déroulé du reste de l'histoire. Mais contrairement à The Stanley Parable ou Un conte à votre façon le livre repose authentiquement sur des

cheminements en arborescence. Sans atteindre l'équilibre structurel de Smoking / No smoking, ce seul livre propose au total 3856 chemins narratifs possibles et superposés.

Pour bien comprendre Vanille ou chocolat, il faut démêler une trame narrative aussi emmêlée qu'une pelote de laine, et détecter quels chemins permettent une exploration optimale. La facilité de navigation au sein de l'histoire

diffère selon les expériences, et trouver la conclusion de ce scénario ne semble pas évident pour certains d’entre eux.

Il est facile de se sentir perdu ou d’être tenté de faire machine arrière trop souvent pour retomber sur un aiguillage qui permettrait d’explorer une nouvelle partie de l’album.

C'est une expérience de lecture qui met en avant la patience au profit de la curiosité, et qui autorise à penser que les échecs sont créatifs. L’œil du lecteur est sollicité de manière constante, à l’affût des indices de la continuité spatiale du récit car il se déploie dans l'espace des pages. Il faut du courage pour explorer tous les recoins du livre, car aux choix s'ajoutent des codes secrets qu’il faudra découvrir dans l’histoire, et l’utilisation de flashbacks et autres sauts temporels qui créent parfois des boucles, ou encore des chemins cycliques. Comme dans un puzzle, il s’agit de repérer les différentes pièces, puis de les assembler pour obtenir un tableau général. Et comme dans les puzzles il est difficile de lâcher ce livre avant d’avoir trouvé la solution, car l'intrigue recomposée est cohérente.

Livre ou numérique ?

Les pages les plus importantes sont dissimulées au milieu d'autres cases, pour éviter que des lecteurs « trichent » en regardant ce qu'il se passe dans l'histoire d'à côté. Certaines planches en deviennent très complexes mais tout est fait pour mieux perdre le lecteur. Les récits superposés frôlent l'imbrication graphique totale.

Tout a commencé par une version numérique. Jason Shiga avait déjà écrit Vanille ou Chocolat ? mais il souhaitait développer une application pour iPhone et iPad, qui est sortie simultanément au livre. Sur ce support, au lieu d’une structure de pages empilées, avec le système d’onglets, l’auteur a posé à plat toute l’histoire. Elle devient alors une page unique aux dimensions très vastes, qu’on peut

parcourir en toute liberté et de façon tactile en zoomant ou en reculant, ou en « mode histoire ». Dans ce contexte, le parcours case à case est assisté par l’application, l’interface proposant également une option qui permet de revenir aux choix précédents, ce qui s’avère très complexe dans la version papier. Mais en définitive, cette version numérique, à force d’assister son lecteur, perd beaucoup du caractère ludique et secret du livre.

Jason Shiga

Plus on avance dans la lecture et plus il est difficile d’imaginer à quel point il faut faire preuve de sérieux, d’intelligence, de cohérence et d’application pour créer un scénario comme celui-là. La lecture confirme que concevoir un récit à bifurcations comme celui-là est affreusement complexe.

Jason Shiga est diplômé en mathématiques pures de

l’université de Berkeley. Il applique à ses ouvrages son goût pour la science et les casse-tête logiques, sans jamais se départir d’un sens de l’humour grinçant. Il est également l’inventeur de plusieurs jeux de société, et ses énigmes et labyrinthes ont paru dans les revues McSweeney’s et Nick Magazine.Jason Shiga est un autre exemple d’auteur qui pratique avec éclat l'intersection des domaines

mathématiques et artistiques.

Dans le document Que serait-il arrivé si? (Page 42-45)