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Une histoire populaire des États-Unis

Dans le document Que serait-il arrivé si? (Page 53-57)

L'Histoire est souvent présentée comme un enchaînement inévitable des choses, mais elles auraient pu se passer différemment. Selon Howard Zinn, l'Histoire est là pour montrer qu'une autre Histoire était possible.

Howard Zinn, historien et politologue américain, a publié Une histoire populaire des États-Unis en 1980. Dans ce livre, il cherche à produire une vision alternative de l'histoire des États-Unis, loin des mythes des Pères fondateurs et plus près de la difficile réalité du peuple.

Selon l'auteur, l'histoire de son pays est, dans une large mesure, l'exploitation d'une majorité par une élite minoritaire.

Une contre-histoire

Estimant que le point de vue traditionnellement adopté par les ouvrages d'histoire des États-Unis était assez limité, Zinn décida à la fin des années 1970 de rédiger lui-même

un ouvrage sur ce thème afin de renouveler la perspective sur l'histoire de son pays. Son Histoire populaire des États-Unis constitue ainsi une « contre-histoire » qui prend à rebours les grands mythes américains comme la Guerre d'indépendance, la conquête de l'Ouest, le développement du capitalisme... Il dépeint les luttes qui opposèrent les Indiens d'Amérique aux Européens, les révoltes des esclaves contre le système qui les oppressait, les combats des femmes contre le patriarcat, le mouvement mené par les Noirs contre le racisme et pour les droits civiques, etc…

Howard Zinn cherche à redonner la parole, à côté de celle des grands hommes d'États, aux hommes et femmes du peuple américain, habituellement négligés dans ce type d'ouvrage, comme les Indiens, les minorités raciales, les anarchistes, les ouvriers... Zinn dit qu'il « questionne ainsi les fondements de la nation américaine [et,] en écho aux premiers mots du préambule de la Constitution des États-Unis, We, the People (Nous, le Peuple), [s]'interroge : de quel peuple écrit-on l'histoire ? ».

Zinn s'appuie sur des sources traditionnellement sous-utilisées, notamment les sources orales. Pierre Mélandri et Serge Ricard, historiens et professeurs de civilisation

américaine, soulignent que le travail de Zinn est motivé par un souci d'« interprétation globale de l'histoire

américaine, articulant politique étrangère et politique intérieure ». Ils estiment que, d'un point de vue

historiographique, cet ouvrage s'inscrit dans le renouveau de l'histoire sociale.

Ce livre a également donné lieu à une évolution de l'objet des travaux historiques, qui comprennent maintenant des histoires auparavant ignorées par les autorités, d'une façon assumée dans certains cas. Cette « censure » a reçu le soutien et la complicité de riches industriels qui avaient intérêt à cacher ces événements, notamment les grèves des mineurs et des travailleurs immigrés, parmi tant d'autres mouvements sociaux réduits au silence par la violence.

Une histoire populaire est devenu un manuel pour les cours d'histoire dans de nombreux lycées et universités à travers les États-Unis. Il relate des faits importants et méconnus de la population. Après sa première publication, le livre fut une lecture souvent recommandée aux élèves et aux étudiants, entre autres pour ses qualités narratives et malgré des développements jugés parfois à la limite du manichéisme. Il est aussi connu pour être un très bon exemple de pédagogie critique.

L'Histoire contrefactuelle

L'oeuvre de Howard Zinn s'articule avec la démarche de l'Histoire contrefactuelle, qui amorce une réflexion critique de l'histoire en se posant la question : « Que se serait-il passé si... ? ». C'est une démarche que l'on retrouve

également en littérature, en philosophie et dans certaines branches des sciences dures comme la physique.

De l'antiquité au XIXème siècle en occident, de nombreux auteurs comme Tite-Live ou Edward Gibbon ont pratiqué une forme simple d'approche contrefactuelle, sous la forme de digressions.

Puis, au début de XXème siècle, après l'apparition de l’uchronie comme genre littéraire , les historiens ont souhaité doter leur travail de bases scientifiques.

Un des premiers grands ouvrages sur l'histoire contrefactuelle a paru en 1931 sous la forme d'une anthologie d'« histoires alternatives » appelée If It Had Happened Otherwise. Réunies par l'historien britannique Sir John Collings Squire, ce recueil de textes écrits par de grands professeurs d'histoire des universités d'Oxford et de Cambridge explore, entre autres, ce qui se serait passé si les Maures l’avaient emporté en Espagne, ou si Napoléon avait gagné la bataille de Waterloo... Il s'agit alors d'examiner les futurs possibles du passé.

L'historien allemand Reinhart Koselleck dans son essai Le Futur passé (1979), met en rapport histoire et temps, et en appelle à une réflexion sur l’importance de l’imagination en histoire, sur les ressources cognitives de la fiction. Nourrie par un prudent travail d'archives, la projection dans les

« futurs possibles, craints et espérés » qu'il propose, autorise un décentrement fictionnel qui remet en cause la continuité historique ou la téléologie, qui consiste à construire un récit historique à partir de ce qu’on sait de son point d’aboutissement, comme parler de l’Europe d’avant 1914 comme si tout allait mener à la Première Guerre mondiale. C’est ce qu’on désigne – péjorativement – sous le nom d’ « histoire téléologique ».

L'approche contrefactuelle permet depuis les années 2000 de réévaluer de nombreux aspects souvent négligés voire écartés de l'Histoire et d'organiser des campagnes de réparations : les femmes, les minorités, les peuples dits vaincus, certaines individualités, et d'autres forces à l’œuvre, font leur entrée dans le récit historique. Ce rééquilibrage n'a été possible qu'après avoir pu

déconstruire certains récits, trop souvent élaborés autour de représentations figées ou univoques. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le détour par une forme de fiction aura permis d’approfondir l’histoire dite scientifique.

À propos de l'histoire contrefactuelle, Thomas Pavel écrit :

« Pourquoi les personnages font-ils ce qu'ils font ? La logique des contrefactuels est adaptée pour répondre à cette question, car elle s'intéresse au contenu du monde, et elle met en valeur la liberté, contrairement au

déterminisme. »

La démarche contrefactuelle connaît son apogée dans les années 1990 dans les milieux universitaires anglo-saxons

sous le nom de Virtual History et suscite alors de

nombreuses polémiques, notamment par les déclarations fracassantes qu'elles inspirent.

L'histoire contrefactuelle permet d'aborder de manière originale les problèmes de la causalité, le rôle de

l'imagination, de l'écriture et des usages politiques de l'Histoire. Il ne s'agit pas de réécrire ou contredire le récit officiel des événements passés, mais, à l'aune de

l'historiographie, d'en comprendre les mécanismes, les forces à l’œuvre ou la place qu’y occupent les décisions de groupes ou d'individus.

Les sciences prospectives

Toutes ces approches (uchronie, histoire contrefactuelle, etc…) explorent des alternatives dans le passé. Il en existe d’autres qui se penchent sur le futur, comme les sciences prospectives. Quelles sont leurs applications ? Cette catégorie de la science a pour objet d’anticiper le futur. La géoprospective, par exemple, est rattachée à la géographie et se donne pour programme d'imaginer le devenir des territoires. C'est une discipline encore peu développée qui a pour objet d’imaginer et de concevoir des territoires

durables. Il s'agit de concevoir des scénarios qui permettent, à travers des modélisations, d’analyser les transformations des territoires.

L'existence des sciences prospectives qui se veulent méthodiques montre qu’une reconstruction sociale de l'Histoire ou de la réalité spatiale pourrait passer par la fiction.

Dans le document Que serait-il arrivé si? (Page 53-57)