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Mondes possibles et uchronie

Dans le document Que serait-il arrivé si? (Page 50-53)

La bifurcation appelle logiquement son pendant dans la théorie des mondes possibles.

La théorie du multivers postule que des points de divergence surviennent à chaque instant, créant sans cesse des univers parallèles.

Les théories des mondes possibles sont des théories

qui explorent la possibilité qu'existent d'autres mondes que le nôtre.

Le concept de « mondes possibles » a été d'abord théorisé par Leibniz qui parlait de notre monde comme « le meilleur des mondes possibles ». Avant de créer la Terre, Dieu aurait essayé de créer d'autres mondes avant de se décider à garder notre version, la meilleure.

Daniel S. Larangé (chercheur et enseignant français) étudie l'uchronie dans le cadre de la théorie des mondes possibles.

L'uchronie permettrait de passer à une théorie des mondes multiples. Une telle représentation prouverait à quel point l'homme est devenu un être de récits, qui se nourrit

d'histoires et produit constamment autour de lui un

environnement « historique ». Il en vient donc à identifier les récits uchroniques, qui reconstruisent l'histoire, à des discours spirituels qui expriment les craintes et les espérances d'une société à un moment donné.

L'établissement de bifurcations en uchronie selon la logique modale

Les mondes possibles sont liés au statut « modal » des propositions, la logique modale détaillant les qualités que doit détenir une chose vraie.

Savoir si une chose est vraie ou fausse est important dans l'élaboration d'une uchronie ou de bifurcations dans la fiction pour leur donner de la vraisemblance et donc une portée plus forte dans l'imaginaire. Une proposition vraie est une proposition qui est vraie dans le monde actuel, comme « Emmanuel Macron est devenu président de la République en 2017 ». Une proposition fausse est une proposition qui est fausse dans le monde actuel, «

Emmanuel Macron est devenu président de la République en 1913 ».

Une proposition possible est une proposition qui est vraie dans au moins un monde possible. « Franklin Roosevelt a été assassiné à Miami en 1933 » est une proposition vraie dans Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick. Une proposition contingente est une proposition vraie dans certains mondes possibles et fausse dans d'autres. Par exemple, « Donald Trump a été élu président en 2008 » est contingentement vrai, mais « Napoléon Ier a été élu

président en 2017 » est contingentement faux.

Une proposition nécessairement vraie est vraie dans tous les mondes possibles. Ce peut être une proposition

analytique, telle que « 2 et 2 font 4 », ou « toutes les personnes vivantes ne sont pas mortes ». Une proposition impossible est une proposition qui n'est vraie dans aucun monde. Par exemple « Joe Dalton et Averell Dalton sont chacun plus grand que l'autre », cette proposition intégrant une contradiction logique.

Selon certains philosophes, comme Aristote qui distingue

ce qui est en acte et ce qui réside en puissance, le possible serait déjà déterminé : c'est alors un réel latent auquel il ne manque que la réalisation. Par exemple, l'arbre est

virtuellement présent dans la graine : les possibles sont prédéterminés.

Pourquoi cet événement ne pourrait pas s'être déroulé de cette façon-là ? L'uchronie démontre tout le contraire de ce raisonnement et les sciences contrefactuelles le soulignent encore davantage : ce qui semblait déterminé a posteriori ne l'était pas dans le feu de l'action. Cette incertitude au moment de faire des choix déterminants est ce que s'attachent à restaurer les tenants de l'histoire

contrefactuelle. Selon Leibniz, les possibles appartiennent au domaine des vérités de fait, ou « vérités contingentes ».

S'il est possible que je fasse A ou B, cela ne veut pas dire qu'il est nécessaire que je fasse A ou B. Identifier la possibilité à la nécessité prédéterminée, c'est évacuer le libre arbitre. Ce n'est pas parce que l'arbre est virtuellement dans la graine qu'il deviendra forcément un arbre.

Comme l'uchronie nous l'apprend et selon David Kellogg Lewis, philosophe mort en 2001, notre monde est le monde actuel mais celui-ci n'est qu'un possible parmi d'autres, il n'a pas de prééminence sur les autres. Autrement dit, le terme actuel n'a de sens qu'indexical, comme « ici » ou

« maintenant ».

Les mondes possibles sont néanmoins séparés les uns des autres dans leurs causes et conséquences, et ce qui se passe dans un monde n'interfère pas dans l'autre.

Ainsi, certaines fictions relevant plutôt de la science-fiction comme celle de Frederik Pohl, l'Avènement des chats quantiques, imaginent la rencontre dérangeante avec un autre nous-même possible, créé selon d'autres bifurcations.

Qui aurions-nous été si nous avions pris telle décision à tel moment ? Cette rencontre crée un vertige immense chez les personnages à qui elles arrivent. Ils se regardent dans le miroir d'une vie qu'ils auraient pu vivre et sont amenés à se comparer à leurs autres vies potentielles, à l'autre qu'ils ont été à deux doigts de devenir. Cela suscite en eux une forte angoisse identitaire, et peut faire ressentir au lecteur les effets de virtualités inabouties mais qui ne sont pas absentes de leurs existences.

Thomas Pavel

La théorie des mondes possibles est employée par des théoriciens de la littérature comme Thomas Pavel. Il s'est intéressé, par ce moyen, à la notion de vérité littéraire, au statut de la fiction littéraire, et aux rapports entre les univers de fiction et la réalité. Pavel est surtout connu pour son emploi de la théorie philosophique des mondes

possibles pour étudier les univers de fiction. Il a ainsi contribué à lancer des questionnements sur les rapports

entre les univers fictionnels et les univers de référence, sur la valeur de vérité de la fiction.

« C'est la théorie des mondes possibles, qui affrontait directement les propositions contrefactuelles, qui m'a paru la plus prometteuse. En affirmant, par exemple : « si le traité de Versailles avait divisé en deux l'Allemagne au lieu de démanteler l'Autriche-Hongrie, il n'y aurait pas eu de seconde guerre mondiale », nous projetons un monde où cette proposition est vraie. La logique des contrefactuels me semblait rendre compte d'une intuition fondamentale, celle que le monde aurait pu être autre, que d'autres mondes sont possibles, que notre monde, tel qu'il est, n'est pas absolument nécessaire dans tous ses détails, ni le seul possible : ainsi la logique des mondes possibles plaisent à ceux qui aiment la liberté, la religion et la littérature. Il va de soi que je rejette le déterminisme historique. Le

déterminisme hégélien a été enseigné en Roumanie sous une forme matérialiste (le marxisme), qui enseignait que nous sommes tous déterminés par notre époque. »

Otto Pfersmann, professeur de droit et de philosophie, s'adresse à Thomas Pavel à propos de son œuvre : « On s'écarte notamment de la conception selon laquelle la philosophie sérieuse est exclusivement la philosophie de la science [...], ce qui réduit, au moins prima facie, les

propositions ayant un sens à celles qui ont un contenu empirique testable. »

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