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perennis avec sa congénère C. tenuis (en prép.)

1. Valeur de conservation des habitats cuprifères du Katanga

Caractéristiques écologiques des habitats cuprifères naturels

La caractérisation des habitats de C. perennis et C. tenuis a permis de mettre en évidence certaines particularités édaphiques des habitats cuprifères naturels du Katanga. Ils présentent des teneurs en éléments essentiels (P, Ca, Zn), en matière organique et en métaux lourds (Cu, Co, Mn) particulièrement élevées par rapport aux habitats non-métallifères de la province du Katanga. Les teneurs en Cu et en Co peuvent atteindre des valeurs de l’ordre de 100.000 mg kg-1 qui induisent une pression de sélection sévère sur les végétaux (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963 ; Brooks & Malaisse 1985). Certaines espèces tolèrent ces concentrations extrêmes en Cu et en Co s’assemblant en des végétations herbacées de faible taille, relativement peu denses où la compétition entre espèces semble plus faible que celle qui s’exercerait dans les habitats non-métallifères tropicaux à forte productivité (Duvigneaud 1958). Ces sols cuprocobaltifères semblent se distinguer d’autres types de sols métallifères dans le monde par leur teneur relativement élevée en nutriments essentiels (P, Ca, Mg, ..) relativement au contexte régional. Toutefois, la disponibilité de l’azote n’y a jamais été étudiée. Elle pourrait être très limitante, comme le suggère la teneur élevée en matière organique du sol, témoin d’un recyclage ralenti. La faible teneur en nutriment des sols est souvent considérée comme un force de sélection importante pour le développement des plantes sur sols métallifères et plus particulièrement sur les sols des serpentines (Vlamis & Jenny 1948; Proctor & Woodell 1975; Brooks 1987). Ceci nous semble moins vrai au Katanga. Cependant, les teneurs élevées en Cu et en Co de ces sols pourraient affecter

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indirectement la prise des éléments essentiels par les plantes. Dans ce cas de figure, la teneur en nutriments disponibles pour les plantes ne serait pas plus élevée que celle des habitats non métallifères. Une étude pédologique approfondie des sols cuprifères du Katanga examinant la biodisponibilité des nutriments et l’influence des métaux toxiques sur cette biodisponibilité devrait être réalisée. Il reste beaucoup de travail à faire pour comprendre les conditions chimiques très particulières qui caractérisent ces sols.

De plus, l’analyse de plus de 200 échantillons de sols a permis de confirmer l’hétérogénéité des conditions chimiques des habitats cuprifères naturels du Katanga (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963 ; Brooks & Malaisse 1985). Nous avons remarqué des concentrations en Cu et un rapport Cu/Co très variables dans le sol. On peut émettre l’hypothèse que cette variation contribue à une diversité des niches écologiques au sein des habitats cuprifères naturels du Katanga. De plus, cette variation élevée en Cu et en Co peut laisser penser que les communautés se développant sur des concentrations extrêmes en Cu et en Co pourraient être isolées écologiquement des zones présentant de plus faibles concentrations en ces métaux au sein d’un même site.

La révision phytogéographique et taxonomique a permis de valider 32 taxons endémiques. A partir des dernières estimations de la richesse floristique des habitats cuprifères du Katanga (Leteinturier 2000, Malaisse pers. comm.), nous avons pu estimer la proportion d’endémiques strictes, qui est de l’ordre de 5%. Néanmoins, cette estimation du taux d’endémisme reste entachée d’incertitudes taxonomiques et phytogéographiques que nous exposerons plus loin. Ce pourcentage apparaît nettement inférieur à celui observé pour d’autres flores métallicoles. C’est un résultat surprenant, compte tenu du fait que ces affleurements se trouvent au Katanga, région du centre d’endémisme zambésien, connue pour sa richesse en espèces endémiques et le dynamisme des processus évolutifs (Duvigneaud 1958 ; White 1983). La faible proportion d’endémiques pourrait s’expliquer par une colonisation récente. Nous proposons que ceci serait dû à la fois au caractère relativement récent des affleurements (2-3 Ma ; Decrée & Yans, pers. comm.) et éventuellement aux changements de la couverture végétale du Katanga consécutifs aux variations climatiques de la fin du Pléistocène (-15000 ans) au sud-est de l’Afrique Centrale (Scott 1984 ; Van Zinderen Bakker & Coetzee 1988 ; Vincens 1991 ; Campbell et al. 1996). L’ancienneté de la colonisation de ces affleurements pourrait être précisée par une approche pédologique (datation des sols). Le faible pourcentage d’espèces endémiques des collines du cuivre du

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Katanga semblerait associé à un scénario relativement récent (il y a 10 000 ans environ) d’évolution divergente de la flore qui les compose. Le jeu de l’isolement géographique et

écologique des collines de cuivre stimule certainement les processus évolutifs comme en témoignent les phénomènes de vicariances de formes, d’une colline à l’autre, au sein de la même espèce, bien décrits déjà par Duvigneaud (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963). Nous proposons que ces habitats métallifères possèdent un haut potentiel évolutif et un

intérêt de conservation aussi éminent que ceux présentant un taux d’endémisme élevé.

Caractéristiques écologiques des habitats cuprifères anthropogènes

En plus d’éroder la biodiversité des affleurements qu’elle exploite par l’extraction de minerais en surface (par ex. Bradshaw 2000), l’industrie minière répand des métaux toxiques dans les paysages non-métallicoles, détruisant leur biodiversité (par ex. Allen & Sheppard 1971; Ginocchio et al. 2002). Néanmoins, cette contamination par les métaux lourds de divers habitats non-métallifères crée une large gamme de conditions écologiques et d’habitats nouveaux, qui paraît favorable à l’expansion de certains métallophytes (par ex. Bradshaw 1983; Ash et al. 1994 ; Brooks & Malaisse 1985). On remarque que 18 % des endémiques des habitats cuprifères du Katanga peuvent se trouver dans des habitats anthropogènes métallifères. Ces endémiques du cuivre montrent une plasticité écologique assez étonnante, contredisant l’hypothèse que ces espèces seraient extrêmement spécialisées et donc, peu versatiles sur le plan écologique (Gomulkiewicz & Holt 1995). L’étude de la niche écologique de C. tenuis et C. perennis, nous a permis de montrer que C. tenuis trouvait même son optimum écologique dans les communautés pionnières des habitats anthropogènes métallifères et qu’elle était très rare dans les communautés primaires des affleurements naturels. De même, C. perennis se développe uniquement sur des déblais miniers. Ces observations posent très clairement le problème de l’histoire évolutive de ces taxons. Dans le cas d’endémiques strictes d’habitats métallifères secondaires, il est tentant de poser l’hypothèse d’une origine très récente qui correspondrait au début de l’extraction industrielle du cuivre (début du XXème siècle). Par ailleurs, ces habitats métallifères anthropogènes et

leurs niches écologiques nouvelles pourraient stimuler les processus évolutifs de certaines espèces des habitats primaires naturellement tolérantes aux métaux (Brooks &

Malaisse 1985 ; Esfeld et al. 2008 ; Bizoux et al. 2008).

Crepidorhopalon perennis occupe une niche qui était probablement absente avant

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habitats récents créés par l’homme, présentent des conditions écologiques très particulières, notamment une toxicité élevée ; la sélection y favoriserait l’émergence de taxons nouveaux. Ceci est vrai, sans doute, pour d’autres espèces liées à des déblais de malachite récents. Les trois exemples les plus frappants sont probablement Haumaniastrum robertii, Gutenbergia

pubescens, Faroa chalcophila. On peut ainsi émettre l’hypothèse que l’action de l’homme

stimule les processus évolutifs. L’histoire évolutive de ces taxons est un thème de recherche prometteur, à aborder par les outils modernes de la phylogéographie. A cet égard, il est très intéressant de noter que la seule espèce signalée comme endémique de sols cuprifères en dehors de l'Afrique est Mimulus cupriphilus, liée à des déblais miniers récents en Californie, et sans doute d’origine très récente (Macnair & Gardner 1998)

Il est donc notable que les habitats anthropogènes métallifères du Katanga possèdent un potentiel évolutif leur conférant une valeur de conservation (Krüger et al. 2002 ; Bizoux et al. 2008). Cependant, la contamination des sols par les métaux lourds représente un problème environnemental indiscutable pour la santé humaine et dans le fonctionnement des écosystèmes des sols non-métallifères (Emerit 1994 ; Hartwig 1995 ; Coen et al. 2001). Ainsi, la conservation de ces habitats serait-elle en conflit avec les impératifs de la remédiation de la pollution métallique ? Le défi consiste à concilier les deux objectifs : limiter les risques environnementaux que représentent les substrats métallifères anthropogènes, et conserver la flore qui les colonise. Nous pensons que la restauration écologique doit viser à reconstruire des végétations stabilisatrices susceptibles d’héberger des taxons à haute valeur de conservation. C’est une approche originale, qui ne semble pas avoir été envisagée dans d’autres régions du monde.

Ainsi, la conservation d’habitats anthropogènes métallifères hautement

contaminés par les métaux lourds et colonisés par certains métallophytes n’est pas en conflit avec la résolution des problèmes environnementaux causés par les métaux lourds, bien, au contraire. Cependant, d’autres habitats anthropogènes métallifères constituent une

source de pollution considérable, par exemple, les habitats métallifères extrêmement contaminés présentant un couvert végétal peu dense ou un sol totalement nu (Winterhalder 1996; Kozlov & Zverera 2007 Mbenza et al. 1989). Ces sols extrêmement contaminés sont exposés à une érosion par les pluies et le vent, induisant une dispersion des métaux lourds vers des milieux naturels non contaminés (Kozlov & Zverera 2007). Dans cette situation, la contamination est tellement extrême (Au Katanga par exemple, > 100.000 mg Cu Kg-1 ; Shutcha résultats non publiés) que la colonisation végétale s’en trouve compromise.

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Toutefois, on peut penser que des amendements adéquats (chaux, matière organique, …) pourraient permettre le développement d’une végétation, au sein de laquelle des espèces à haute valeur pour la conservation trouveraient leur place (Whinterhalder 1996 ; Shutcha et al. 2009). Il y a là tout un champ de recherche en ingénierie écologique et environnementale, qui devrait se développer en partenariat étroit avec l’industrie minière.