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2. Trésor minéral et biodiversité végétale

2.3. Endémisme et richesse floristique des sites métallifères

2.3.1. Endémisme édaphique

teneur en Cu foliaire supérieure à 1500 µg g-1 de MS ont été mises en évidence : Croton

bonplandianus (Euphorbiaceae), Clerodendrum inforunatum (Verbenaceae), Tephrosia villosa (Fabaceae), Geniosporum tenuiflorum (Lamiaceae) et Waltheria indica (Sterculiaceae)

(Rajakaruna & Bohm 2002).

Une grande variation inter- et intra-spécifique des concentrations foliaires en Cu et en Co est observée au sein de la flore des sols cuprifères et cobaltifères (Malaisse & Grégoire 1978; Brooks et al. 1982, 1987; Malaisse et al. 1979, 1994, 1999; Paton & Brooks 1996; Leteinturier 2002 ; Faucon et al. 2007). Les teneurs en Co varient de 21 à 10200 mg kg-1 et en Cu de 45 à 13000 mg kg-1. Au Katanga, même les hyperaccumulatrices montrent une telle variation des teneurs, non expliquée à ce jour. L’hyperaccumulation de Cu et de Co n’est pas un phénomène aussi bien caractérisé que l’hyperaccumulation du Zn et du Ni, où une distribution bimodale des concentrations en Zn et en Ni existe (Baker et al. 2000 ; Reeves 2006).

Notons qu’un des rares travaux examinant l’accumulation de Cu et Co en conditions expérimentales chez des cuprophytes n’a pas pu reproduire ce phénomène (Morrison et al. 1979). L’hyperaccumulation du Cu et du Co reste un phénomène rare, mal caractérisé

et mal compris.

2.3. Endémisme et richesse floristique des sites métallifères

2.3.1. Endémisme édaphique

La flore des sols chimiquement mal balancés (métallifères, salins, gypseux, calcaires…) compte souvent des espèces endémiques. Le phénomène de vicariance édaphique (paire de taxons apparentés liés à des sols au chimisme contrasté) fascine les botanistes depuis longtemps. L’adaptation des plantes aux métaux lourds a été le modèle le plus étudié pour montrer une différenciation adaptative en réponse aux concentrations extrêmes en métal du sol. Les sites métallifères présentent très souvent un endémisme et une spécialisation écologique élevés (Ernst 1974 ; Kruckeberg 1984, 1986).

L’endémisme des affleurements métallifères contribue à la biodiversité de certaines régions du monde. Les endémiques des affleurements serpentiniques de Californie,

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correspondent à au moins 23% de la flore serpentinique et 10% de la flore endémique de l’état de Californie (Kruckeberg 1984). En Nouvelle Calédonie, elles représentent 63% de la flore serpentinique et 60% de la flore indigène de l’île (Jaffré 1992). A Cuba, l’endémisme des serpentines est de l’ordre de 66 %.

La plupart des grands mécanismes évolutifs ont été invoqués pour expliquer l’endémisme édaphique. La dérive génétique, la sélection catastrophique, la spéciation allopatrique accompagnée d’une spécialisation éco-géographique, la différenciation écotypique, l’hybridation avec ou sans alloploïdie sont tous des procédés pour expliquer l’endémisme et la spécialisation édaphiques (Stebbins 1942 ; Stebbins & Major 1965 ; Proctor & Woodell 1975 ; Raven & Axelrod 1978 ; Kruckeberg 1984, 1986 ; Kruckeberg & Rabinowitz 1985 ; Rajakaruna & Whitton 2004 ; Rajakaruna 2004). Une série d’étapes pourraient conduire à la création d’une endémique métallophyte (Kruckeberg 1984, 1986) (Figure 6).

Les travaux de l’école de Bradshaw sur les mines de Zn et de Cu en Grande-Bretagne ont mis en évidence les processus évolutifs associés à la colonisation des sols métallifères (Aston & Bradshaw 1966 ; McNeilly & Bradshaw 1968 ; Wu et al. 1975). Tout d’abord, il existe un flux de semences issues de populations non-métallicoles mais présentant une variation de la tolérance aux métaux lourds (voir 2.2.3.), ceci correspond à la deuxième étape de la Figure 6 (expansion - amplitude écologique).

Une sélection divergente (favorise les génotypes extrêmes d’une population) ou une sélection orientée (favorise le développement d’un caractère au détriment d’un autre) (Lewis 1962 ; Raven 1964) séparent les populations en groupes génétiquement différents : les

métallicoles et les non-métallicoles. L’intensité de la sélection par les métaux lourds et la

dominance des gènes de la tolérance expliquent que, même en présence de flux de gènes depuis les populations non métallicoles adjacentes, l’évolution vers une différenciation

écotypique se produit rapidement (Lefèbvre & Vernet 1990), ce qui correspond à la troisième

étape de la Figure 6.

Cette sélection est très souvent accompagnée d’un isolement reproducteur soit

indirectement par un lien ou une pléiotropie entre le(s) gène(s) sélectionné(s) et un gène d’incompatibilité ou soit directement par l’avènement de mécanismes d’isolement pré- ou postzygotiques (Rajakaruna & Whitton 2004 ; Schluter 2001). Chez Mimulus guttatus, un gène de la tolérance exerce une action pléiotropique sur le système de reproduction induisant

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l’isolement de l’écotype métallicole (Macnair & Gardner 1998). Les mécanismes d’isolement prézygotiques entre les espèces ou les populations incluent une modification de la période de floraison, un changement du régime de reproduction vers l’autofécondation, une altération de la morphologie florale qui affecterait l’attraction et/ou la visite des pollinisateurs (McNeilly & Antonovics 1968 ; Lefèbvre & Vernet 1990 ; Macnair 1989). Par exemple, chez Collinsia

sparsiflora (Scrophulariaceae) le pic de floraison diffère significativement entre les

populations des sols serpentiniques et non-serpentiniques (Wright et al. 2005). Chez

Lasthenia californica (Asteraceae), la disparité dans la période de floraison et

l’incompatibilité du pollen est à l’origine de l’isolement reproducteur entre deux variétés adaptées à des milieux contrastés (Rajakaruna & Whitton 2004). On observe aussi des taux d’autofécondation plus importants dans les populations métallicoles que dans les populations non-métallicoles chez Anthoxanthum odoratum et Agrostis tenuis (Antonovics 1968 ; McNeilly & Antonovics 1968), Armeria maritima (Lefèbvre 1970) et Arrhenaterum eliatus (Cuguen et al. 2003). En conséquence, l’isolement reproducteur entre les deux écotypes est total au point qu’ils sont incapables d’échanger des gènes. Une fois que la divergence entre les espèces en formation et l’espèce ancestrale s’accentue, on se situe au cœur de la spéciation et à la formation d’une espèce endémique (quatrième étape de la Figure 6).

Figure 6 Scénario de spéciation d’une espèce des sols serpentiniques d’après Kruckeberg (1984, 1986)

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Pour tester ce modèle de spéciation édaphique (Kruckeberg 1984, 1986), Macnair et Gardner (1998) ont étudié le niveau d’isolement reproducteur entre taxa du complexe d’espèces autour de Mimulus guttatus, comprenant des populations métallicoles tolérantes au cuivre et non-métallicoles de M. guttatus, présumé espèce ancestrale, deux espèces endémiques des sols serpentiniques (M. pardalis et M. nudatus) et une espèce endémique des sols cuprifères d’origine anthropique en Californie (M. cupriphilus). Un isolement reproducteur a été mis en évidence entre ces différentes origines, ce qui laisse à penser que la

colonisation des sols métallifères pouvait engendrer un isolement reproducteur fort allant jusqu’à la différenciation en espèces. Cependant, l’existence d’écotypes de M.

guttatus métallicoles, interféconds avec les populations non-métallicoles, suggérait que cette

liaison n’était pas systématique. Dans les cas où l’adaptation n’engendre qu’un faible

isolement reproducteur, la spéciation n’a jamais lieu et la différenciation reste écotypique.

Même si les habitats métallifères contituent un milieu favorable pour la création d’espèces, leur endémisme particulièrement élevé reste intrigant. Le maintien d’un

endémisme élevé dans les habitats métallifères semblerait être expliqué par une inaptitude des métallophytes à coloniser les habitats non métallifères (Tadros 1957). Mais

quels seraient les facteurs ou le phénomène qui empêchent l’expansion des métallophytes dans les habitats non métallifères?

Certaines espèces néo-endémiques présentant un potentiel évolutif sont capables de coloniser d’autres habitats et ainsi étendent leur niche écologique (Gomulkiewicz & Holt 1995). Mais à l’opposé, les métallophytes endémiques conservent un degré de spécialisation écologique élevé et ne colonisent pas les habitats non métallifères (Tadros 1957). Les métallophytes seraient désavantagées par rapport à des plantes conspécifiques sur sol non contaminé, autrement dit la tolérance aurait un coût adaptatif (Macnair et al. 2000). Il semblerait que ces dernières aient des besoins essentiels en métaux plus importants que les

plantes non tolérantes, potentiellement insatisfaites en milieu non métallifère (Macnair et al.

2000).

La toxicité des métaux constitue également une pression de sélection pour les pathogènes et les herbivores. Seuls les pathogènes et herbivores tolérants aux métaux lourds vivent et se multiplient sur les sites métallifères. Une faible diversité en pathogènes et en herbivores serait présente sur ces sites, induisant une réduction de la pression de sélection de

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l’attaque des plantes par les pathogènes et les herbivores (Noret et al. 2005 ; Noret 2007). De ce fait, la pression de sélection qu’impose la toxicité des métaux aurait entraîné une évolution rapide vers la tolérance aux métaux lourds et une perte des défenses contre les pathogènes et herbivores. Les métallophytes auraient perdu de la résistance aux pathogènes et aux herbivores, les rendant inaptes à coloniser les milieux non métallifères, riches en pathogènes et herbivores (Tadros 1957 ; Kazakou et al. 2008).

La nature de l’isolement écologique décide du devenir des écotypes. La teneur en métaux dans le sol, la productivité (elle-même influencée par la teneur en nutriment dans le sol, la pluviométrie), la surface de l’habitat métallifère et l’âge de l’affleurement sont des facteurs écologiques qui influencent le taux d’endémisme (Harrison et al. 2006). Au sein d’une région métallifère, une variation de l’âge des affleurements existe. Par exemple, les affleurements serpentiniques de Californie possèdent une gamme d’âge allant de 25 à 5 millions d’années (Coleman & Kruckeberg 1999) ; les affleurements les plus anciens présentent une richesse en espèces endémiques la plus élevée (Harrison et al. 2004, 2006). Par suite, plus l’isolement écologique est ancien, plus l’endémisme est élevé. Néanmoins, le cas de l’espèce M. cupriphilus, endémique d’un sol d’origine anthropique, suggère que le temps seul n’est pas raison suffisante pour qu’une population passe du stade d’écotype à celui d’espèce à part entière (Macnair & Gardner 1998). L’intensité de la réduction du flux de gènes engendrée par l’adaptation aux sols métallifères semble au final bien être le facteur majeur conditionnant le devenir (écotype ou nouvelle espèce) des populations métallicoles (Macnair & Gardner 1998).

Très souvent un isolement géographique s’ajoute à l’isolement écologique de la flore des sites métallifères. En effet, les sites métallifères sont spatialement isolés entre eux, ils peuvent même être considérés comme des îles écologiques de taille variée (Wolf et al. 2000). Plus particulièrement, les affleurements naturels présentent un isolement géographique plus prononcé ; certains sites métallifères naturels affleurent aux sommets de montagnes comme les affleurements de Fe au Brésil (Jacobi et al. 2007), de nickel à Cuba (Borhidi 1996) ou en Nouvelle-Calédonie (Jaffré 1992) ou au niveau de collines. L’isolement géographique des sites métallifères naturels favorise l’isolement des populations métallicoles entre elles et augmente ainsi les possibilités de spéciation (Harrison et al. 2000).

En résumé, cinq raisons majeures pourraient expliquer l’endémisme élevé des sites métallifères :

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I) Les sites métallifères sont des milieux extrêmes ; la toxicité des métaux lourds opère une sélection très poussée.

II) La sélection provoquée par la toxicité des métaux lourds est très souvent accompagnée d’un isolement reproducteur (autofécondation, incompatibilité de pollen, modification de la période de floraison, modifications de la morphologie florale et du cortège de pollinisateurs). III) La toxicité des métaux provoque un isolement écologique de la flore des sites métallifères. a) Les plantes des sites non métallifères ne sont pas aptes à se développer sur les sites métallifères. b) Les métallophytes sont inaptes à coloniser les habitats non métallifères. IV) L’isolement écologique et géographique de la flore des sites métallifères naturels est ancien ; plus il est ancien, plus les possibilités de spéciation sont élevées.

V) L’isolement géographique des sites métallifères entre-eux augmente les possibilités de spéciation