• Aucun résultat trouvé

Tolérance et accumulation du cuivre chez deux cuprophytes du Sud de l’Afrique Centrale : Crepidorhopalon perennis

et C. tenuis (Scrophulariaceae) (en prép.)

Michel-Pierre Faucon*, François Chipeng, Nathalie Verbruggen, Colinet Gilles, Grégory Mahy, Pierre Meerts

*auteur correspondant

Résumé :

Crepidorhopalon perennis est une endémique d’un seul site cuprifère. Crepidorhopalon tenuis possède une niche écologique plus large mais présente une affinité élevée pour les

habitats cuprifères. Les deux espèces sont considérées comme hyperaccumulatrices de Cu/Co. La tolérance et l’accumulation du Cu ont été étudiées en culture in vitro en milieu stérile chez quatre populations métallicoles et une population non-métallicole de C. tenuis et chez l’unique population de C. perennis. Les résultats démontrent une tolérance élevée au Cu chez

C. perennis et C. tenuis. Une variation de la tolérance existe entre les populations métallicoles

et non-métallicoles de C. tenuis. L’adjonction de cuivre améliore la croissance de certaines populations métallicoles en milieu stérile. Ces populations posséderaient des besoins élevés en cuivre, qui peuvent représenter un coût de la tolérance et qui expliqueraient l’affinité élevée de l’espèce pour les habitats cuprifères. La population de Crepidorhopalon perennis ne montre pas ce phénomène. Sa distribution restreinte ne semble pas s’expliquer par un coût de la tolérance au Cu. Crepidorhopalon perennis et C. tenuis ne sont pas hyperaccumulatrices de Cu et semblent plutôt se comporter comme des exclueuses.

66

Introduction

La contamination des sols par les métaux lourds constitue un problème environnemental majeur à l’échelle de la planète (Alloway 1995 ; Baise & Tercé 2002). Depuis un siècle, l’intensification des activités d’extraction et de transformation de minerais, en dispersant des métaux toxiques, ont contaminé des surfaces importantes. De nouveaux types d’habitats métallifères inexistants ou peu fréquents sur la surface de la planète avant la révolution industrielle sont ainsi apparus (Allen & Sheppard 1971 ; Ginocchio et al. 2002). Les sols de ces habitats métallifères possèdent des concentrations en métaux lourds anormalement élevées, jusqu’à 1000 fois supérieures à la concentration en métaux lourds des sols « normaux » ce qui leur confèrent une phytotoxicité élevée (Ernst 1974 ; Baker et al. 2000 ; Reeves & Baker 2000). Seules les espèces adaptées ou qui se sont adaptées à ces conditions extrêmes ont pu se développer dans ces habitats. La tolérance aux métaux lourds chez les plantes constitue une problématique de recherche de prédilection pour l’étude des processus d’adaptation à des facteurs écologiques très contraignants (Antonovics et al. 1971). La tolérance au cuivre ainsi que celle du zinc ont été étudiées chez quelques pseudométallophytes qui ont contribué largement à l’avancée des connaissances sur la génétique et l’évolution de la tolérance aux métaux lourds. L’étude de la tolérance au cuivre a permis de mettre en évidence l’intensité de la sélection due à la toxicité aux métaux lourds (McNeilly & Bradshaw 1968 ; Wu et al. 1975), l’héritabilité du caractère (Macnair 1981, 1983 ; Schat & Ten Bookum 1992 ; Schat et al. 1993), le coût de la tolérance au cuivre (Macnair et al. 2000), l’isolement reproducteur (Macnair & Christie 1983 ; Macnair & Gardner 1998), la spéciation (Macnair & Gardner 1998).

La tolérance au cuivre est particulièrement mal connue chez les espèces qui se développent uniquement ou montrent une fréquence et une abondance particulièrement élevées sur les sols cuprifères (Brooks & Malaisse 1990 ; Harper et al. 1997; 1998), c'est-à-dire les cuprophytes (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963; Ernst 1974, 1990). La tolérance aux concentrations extrêmes en Cu dans les sols (1000-50000 mg kg-1) a été démontrée expérimentalement chez quelques cuprophytes seulement: Haumaniastrum

katangense, H. robertii, Aeolanthus biformifolius (Lamiaceae) (Morrison 1980 ; Morrison et

al. 1979) ; Mimulus guttatus (Scrophulariaceae) (Allen & Sheppard 1971 ; Macnair 1983) ;

Silene cobalticola (Caryophyllaceae) (Baker et al. 1983). Ce nombre très limité d’études

expérimentales réalisées chez ces cuprophytes, au regard de l’intérêt intrinsèque de ce matériel biologique, peut s’expliquer en partie par des difficultés de mise en culture à de

67

faibles concentrations en Cu (Malaisse & Brooks 1982 ; Paton & Brooks 1996 ; Faucon comm. pers.). Les cuprophytes sont connues presque exclusivement des sols cuprifères du Sud de l’Afrique centrale (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963 ; Brooks & Malaisse 1985). Parmi celles-ci, Crepidorhopalon tenuis (Scrophulariaceae) se développe sur une large gamme de concentrations en Cu dans le sol, y compris, occasionnellement, sur sol non métallifère (Faucon et al. 2009a, 2009b). Au contraire, C. perennis est endémique d’un seul site métallifère et occupe une niche étroite, se développant sur des sols possédant des concentrations extrêmement élevées en Cu et Co (Faucon et al. 2009a ; cf. chapitre 6). Ce couple d’espèces constitue un cas d’étude particulièrement intéressant pour étudier la relation entre le degré de tolérance des populations, la teneur en cuivre des différents sites qu’elles occupent et l’isolement écologique d’une espèce endémique.

Chez Crepidorholon perennis et C. tenuis, une véritable cuprophilie a été remarquée en examinant la relation entre la concentration de cuivre dans le sol et la biomasse de la plante (Faucon et al. 2009a, 2009b). Les populations tolérantes au cuivre présenteraient alors une

fitness plus faible sur sol non métallifère que les populations non tolérantes et inversement sur

sol cuprifère. Il semblerait que les populations tolérantes aient des besoins essentiels en métaux plus importants que les plantes non tolérantes (Macnair et al. 2000). Le confinement des cuprophytes aux habitats métallifères pourrait être expliqué par un « coût de la tolérance au cuivre » (Harper et al. 1997 ; Macnair et al. 2000, Tadros 1957 ; Kazakou et al. 2008). Cependant, l’existence d’un coût de la tolérance au cuivre a été démontrée formellement uniquement chez Mimulus guttatus et reste très controversée (Pauwels 2006). Une autre hypothèse est que les cuprophytes sont très sensibles aux agents pathogènes du sol (Malaisse & Brooks 1982; Paton & Brooks 1996; Chipeng et al. 2009).

32 cuprophytes possèdent apparemment la capacité d’accumuler le cuivre dans leurs parties aériennes à des concentrations supérieures au seuil de l’hyperaccumulation du Cu (>1000 mg kg-1, Baker & Brooks 1989) (Reeves & Baker 2000 ; Reeves 2006). Cependant ces données sont exclusivement basées sur l’analyse minérale d’échantillons récoltés sur le terrain qui seraient contaminés par les poussières à la surface des feuilles (Faucon et al. 2007). L’hyperaccumulation du Cu n’a jamais été observée en culture (Macnair 2000). Une grande variation inter et intraspécifique des concentrations foliaires en Cu est observée chez ces hyperaccumulatrices (Malaisse & Grégoire 1978; Brooks et al. 1987; Malaisse et al. 1979, 1994, 1999; Paton and Brooks 1996; Faucon et al. 2007 ; Faucon et al. 2009a). Ainsi,

68

foliaires en cuivre (C. perennis : 500 à 1500 mg kg-1 ; C. tenuis de 100 à 980 mg kg-1 (Faucon et al. 2007 ; Faucon et al. 2009a).

Dans ce chapitre, nous examinons la tolérance et l’accumulation du Cu en conditions contrôlées en culture in vitro chez quatre populations métallicoles et une non-métallicole de

C. tenuis et chez l’unique population de C. perennis. Le présent travail est le premier qui

compare la tolérance à Cu de populations métallicoles et non métallicole pour des cuprophytes du Katanga. Nous abordons les questions suivantes : 1) Existe-t-il une variation interpopulationnelle de la capacité à tolérer le Cu chez C. tenuis? 2) Ces deux cuprophytes montrent-elles une augmentation de leur performance en réponse à des concentrations élevées en Cu ? 3) L’endémisme restreint de C. perennis peut-il s’expliquer par un coût de la tolérance ? 4) C. perennis et C. tenuis sont-elles de véritables hyperaccumulatrices du Cu ? Existe-t-il une variation interpopulationnelle de la capacité à accumuler les métaux chez C.

tenuis ?

Matériel et méthodes

Sites et matériel végétal

Les graines ont été récoltées dans six populations naturelles dans le Haut-Katanga en avril 2008 (Tableau 1). Un pool de graines représentatif de la variabilité de chaque population a été constitué pour chacune d’elle. Les graines de Crepidorhopalon perennis (CP) ont été récoltées dans son unique population située à la Mine de l’Etoile à 10 km au Nord Est de Lubumbashi. Cette endémique cuprophyte se comporte comme une espèce pionnière des déblais miniers riches en malachites récemment remués et se développe sur des sols avec des concentrations extrêmes en Cu plus élevées que les sols occupés par les populations métallicoles de C. tenuis (CTC) (gamme du Cu, pour CP=2161-55300 mg kg-1, CTC=201-12557 mg kg-1) (Faucon et al. 2009a). Crepidorhopalon tenuis est beaucoup plus répandue et trouve son optimum écologique sur les sols contaminés par les retombées atmosphériques des fonderies de cuivre dans la région de Lubumbashi (Faucon et al. 2009b). Les quatre populations métallicoles considérées dans cette étude sont présentes sur des sols riches en Cu et Co perturbés par l’exploitation minière. Crepidorhopalon tenuis peut aussi se trouver occasionnellement sur des sols non métallifères. La population non-métallicole étudiée est l’une des rares connue dans les communautés végétales des clairières de forêt claire (miombo) sur sol latéritique au Katanga.

Tableau 1 Populations étudiées. Localisation et description des habitats et taille des

populations. CP = Crepidorhopalon perennis; CTC = C. tenuis sur sol cuprifère and CTN =

C. tenuis sur sol normal

Sites type Description de l’habitat Altitude

m

GPS Taille des

populations

Etoile (E) CP Colline de cuivre naturelle; substrat

localement perturbé par les travaux miniers: carrière à ciel ouvert

1280 S11,63562° E27,58448°

105

Niamumenda (Nm) CTC Colline de cuivre naturelle; substrat

localement perturbé par les travaux miniers

1340 S11,60492° E27,29400°

105

Kalabi (Ka) CTC Colline de cuivre naturelle; substrat

localement perturbé par les travaux miniers: carrière à ciel ouvert

1200 S10,78168° E26,74053°

105

Ruashi (Ru) CTC Site anthropogène : recolonisation

des déblais miniers

1300 S11,62645° E27,56328°

106

Quartier

Gécamines (QG)

CTC Site anthropogène : sol contaminé par les retombées métalliques provenant des fonderies, milieu humide

1220 S11,70760° E27,42985°

105

Vallée Karavia (VK)

CTC Site anthropogène : sol contaminé par les retombées métalliques provenant des fonderies, fond de vallée sur sol hydromorphe

1230 S11,67270° E27,43091°

107

Kyembe (Ky) CTN Site naturel non métallifère, clairière

de forêt claire (miombo) sur gravier latéritique

1190 S 11,11269° E 27,25825°

69 Méthode de culture

Une culture in vitro a été réalisée sur un milieu Murashige & Skoog (MS) (Murashige & Skoog 1962). Les graines ont été stérilisées dans une solution d’hypochlorite de sodium à 5% (w/v) pendant 10 min d’incubation. Après trois lavages successifs à l’eau distillée, les graines (environ 30 par boîte) ont été semées dans 10 ml de MS enrichi en CuSO4 aux concentrations suivantes : 0 et 60 µM (concentration choisie d’après les résultats des tests de croissance sur un gradient de plantes non tolérantes au cuivre, Lequeux résultats non publiés ; Chipeng et al. 2009). Après un mois, 6 individus par population ont été transplantés dans des pots de 50 ml de MS à 60 µM et à 0 µM de CuSO4. Après huit semaines, la masse sèche aérienne a été mesurée. La biomasse aérienne a été utilisée comme une estimation approximative de la fitness puisqu’elle était corrélée au nombre de graines (r=0,78, n=123 ind. x trois fruits, P<0,05).

Analyses minérales

Après huit semaines de culture en pot, les plantes ont été récoltées, lavées avec une solution Alconox (Alconox Inc.) à 1% pendant 2 min, rincées à l’eau déminéralisée et séchées à 60°C pendant 48 h. Les échantillons séchés ont été minéralisés dans un mélange d’acide nitrique et perchlorique (1 : 1) à l’aide du Tecator Digestor. La concentration en Cu des échantillons a ensuite été mesurée par spectrométrie d’absorption atomique (AAS Varian 220). La teneur en Cu n’a été déterminée que sur les plantes ayant poussé sur milieu enrichi en Cu.

Analyses statistiques

Les variations de biomasse ont été analysées par une ANOVA à deux facteurs croisés : traitements et populations (facteurs fixes). La variation de la concentration en Cu dans les plantes a été analysée par une ANOVA à un facteur. Les moyennes de biomasse et de concentration en Cu dans la plante ont été comparées entre traitement et population par un test de comparaison multiple post-hoc (Fisher LSD). Toutes les analyses ont été réalisées avec le logiciel Statistica 8 (Statsoft 2008).

70

Résultats

Réponse de la biomasse au cuivre chez C. tenuis

L’anova montrait un effet population, un effet concentration en Cu significatifs. L’interaction population*traitement était aussi significative (Tableau 2). La réponse au cuivre variait fortement selon les populations. La croissance était meilleure à 60 µM de CuSO4 pour les populations métallicoles VK, Ru, Nm et QG. Au contraire, la croissance était meilleure à 0 µM pour la population non-métallicole Ky. A 60 µM de CuSO4, la population non-métallicole Ky possédait une biomasse deux fois plus petite que sur le témoin (F1, 47 = 13,25 ; P>0,001) (Figure 1). De plus, une chlorose était présente uniquement chez les individus Ky sur 60 µM de CuSO4. Aucune différence significative n’a été observée entre les populations métallicoles à 0 µM de CuSO4. A 60 µM de CuSO4, une différence de biomasse existait entre les populations (F5, 21 = 8,8 ; P>0,001) (Figure 1). Le classement des populations change complètement selon la teneur en Cu. A 0 µM de CuSO4, on a : VK>Ky>Nm>QG>Ru. A 60 µM de CuSO4, on a Ru>Nm>VK>QG>Ky. Un résultat frappant est la forte diminution de biomasse dans la population non-métallicole Ky en réponse au Cu. Au contraire, trois populations métallicoles sur quatre montraient une augmentation significative de la biomasse en réponse au Cu (Figure 1).

Normes de réaction de la biomasse chez C. perennis

Crepidorhopalon perennis ne présentait pas de différence significative entre le traitement 0

µM (moyenne = 13,8 mg, SD ±9,8) et 60 µM de CuSO4 (moyenne = 26,2 mg, SD ±6,3). Sur traitement 0 µM, C. perennis ne possédait pas une biomasse différente de la population non-métallicole Ky (moyenne = 27 mg, SD ±20,5) (F5, 26 = 2,1 ; ns).

Figure 1 Variation de la biomasse des populations métallicoles et non-métallicole (Ky) de C. tenuis et C. perennis à 0 et 60 µM de CuSO4. Pour chaque population, six réplicats ont

été réalisés. Les barres d’erreur sont les écarts types. Les moyennes surmontées d’une même lettre ne sont pas statistiquement différentes (test LSD Fisher). *** = P<0,001 ; ** = P<0,01 ; * P<0,05 entre les traitements pour une même population.

Tableau 2 Variation de la biomasse des populations de C. tenuis (quatre populations métallicoles et une population non-métallicole) et de l’unique population C. perennis en culture sur deux traitements (0 µM et 60 µM de CuSO4)

Sites Df F P

Population 5 3,1 P<0,05

Traitement 1 13,3 P<0,001

Traitement*population 5 6,4 P<0,001

71

Variation de la concentration en Cu dans la partie aérienne de la plante

Une différence significative de concentration en Cu dans la partie aérienne existait entre les populations (F5, 17 = 7,8 (P<0,001)) (Figure 3). La population non métallicole Ky montre la valeur la plus élevée (moyenne = 115 µ g mg-1, SD ±17,6), suivie de Ru (moyenne = 80 µg mg-1, SD ±34) (Figure 2). Crepidorhopalon perennis présentait des valeurs de concentration en Cu inférieures à 40 µ g mg-1.

Figure 2 Variation de la concentration en Cu de la partie aérienne des populations métallicoles et non-métallicole (Ky) de C. tenuis et C. perennis cultivées in vitro à 60 µM de CuSO4. Pour chaque population, six réplicats ont été réalisées. Les barres d’erreur sont les écarts types. Les moyennes surmontées d’une même lettre ne sont pas statistiquement différentes (test LSD Fisher).

72

Discussion

Variation inter-populationnelle de la tolérance

Aucune population métallicole de C. tenuis et de C. perennis ne montre une diminution de la biomasse à 60 µM de CuSO4. Dans les mêmes conditions expérimentales, des espèces réputées non tolérantes au cuivre montraient une diminution de la croissance racinaire dès 25 µM de CuSO4 chez Arabidopsis thaliana (Lequeux résultats non publiés) et dès 5 µM chez

Nicotiana plumbaginifolia (Chipeng et al. 2009). Crepidorhopalon perennis et les populations

d’origine métallicole de C. tenuis montrent une réelle tolérance au cuivre.

Une variation significative de la réponse au cuivre existe entre les populations. La population non métallicole Ky contraste fortement avec les autres, étant la seule à montrer une inhibition de la croissance à 60 µM Cu. Ce résultat suggère que les populations métallicoles ont développé une tolérance élevée au Cu par le jeu de la sélection naturelle en réponse à des teneurs en Cu élevées dans le substrat de leur site d’origine. La tolérance au cuivre ne serait donc pas constitutive chez C. tenuis. Le patron de variation de la tolérance est du même type que celui documenté à de nombreuses reprises chez des pseudométallophytes, chez lesquels des « écotypes métallicoles » ont été décrits. Il peut s’expliquer par une sélection directionnelle en faveur d’une tolérance élevée, dans les sites métallifères. (Antonovics et al. 1971 ; Nicholls & McNeilly 1985 ; Nordal et al. 1999 ; Macnair et al. 2000). Cependant, l’adaptation locale de ces « écotypes » reste à démontrer par des transplantations réciproques. Toutefois, entre les populations métallicoles, la variation apparente de la tolérance ne semble pas corrélée à la concentration en Cu dans le sol des sites d’origine (r = 0,15 ; ns) (Tableau 3). Ainsi, la population Ru, qui apparaît comme la plus tolérante est originaire d’un site relativement peu contaminé en cuivre. Dans une autre étude, nous avons montré que la concentration de Mn dans le sol était corrélée positivement avec la concentration en Cu dans la plante et inversement pour le K, Ca, P et Fe (Faucon et al. 2009a). La variation des teneurs en Mn, K, Ca, P et Fe dans le sol entre sites pourrait influencer la teneur en Cu biodisponible et ainsi entraîner une pression de sélection différente entre populations induisant une variation de la tolérance au cuivre entre les populations métallicoles chez C. tenuis.

73

Tableau 3 Teneurs en cuivre et en cobalt des sols et des plantes in natura de 5 populations de C. tenuis et de l’unique population de C. perennis (Faucon et al. 2009a) (moyenne et min-max). Cu et Co dans le sol extraits par l’Acétate d’ammonium-EDTA 1 M

pH 4,65. CP = Crepidorhopalon perennis; CTC = C. tenuis sur sol cuprifère and CTN = C.

tenuis sur sol normal.

Sites Taxon Co µg g-1 sol Co µg g-1 plante Cu µg g-1 sol Cu µg g-1 plante

E CP 275 (98-572) 397 (61-1105) 11278 (2161-55300) 394 (80-1380) Nm CTC 23 (2-98) 19 (8 – 58) 3428 (382-18144) 660 (84-2524) Ru CTC 54 (9-278) 130 (24-605) 991 (71-5869) 190 (59-412) QG CTC 6 (0,8-16) 47 (24-99) 1082 (224-2727) 100 (41-338) VK CTC 20 (7-44) 58 (14-176) 3544 (362-8189) 100 (34-211) Ky CTN < 1 < 5 1,6 (0,8-2,1) 22 (8-93)

Cependant, la variation de la tolérance au cuivre chez C. tenuis pourrait être expliquée par d’autres facteurs. Par exemple, les niveaux de tolérance peuvent varier entre populations d’âges différents. Chez Agrostis stolonifera, à pollution égale, des populations plus anciennes montrent des niveaux de tolérance nettement plus élevés (Wu et al. 1975).

Coût de la tolérance au cuivre et stimulation par le cuivre chez C. tenuis

L’augmentation significative de biomasse à 60 µ M de CuSO4 observée chez QG, Nm et Ru est cohérente avec les observations de terrain (Faucon et al. 2009a, 2009b). En effet, les plantes poussant in natura sur sol métallifère présentent une biomasse beaucoup plus élevée que celles poussant dans des sites non métallifères. Cette stimulation de croissance par des concentrations élevées en cuivre en milieu axénique suggère que l’espèce C. tenuis présente des besoins en cuivre supérieurs à la normale. Néanmoins, cette hypothèse devra être confirmée étant donné que la concentration en SO4apportée lors de la contamination en Cu du milieu de culture peut influencer la croissance des individus chez ces deux espèces et ainsi biaiser l’interprétation des résultats de l’expérience. En outre, une stimulation de la croissance en réponse à des concentrations anormalement élevées en Cu n’a été rapportée que chez la « mousse du cuivre » (copper moss) Scopelophila cataractae (Shaw 1994), chez une cuprophyte du Katanga Haumaniastrum katangense (Lamiaceae) (Chipeng et al. 2009) et un

74

couple d’espèces des sols contaminés en Cu en Chine (Elsholtzia haichowensis (Lou et al. 2004) et E. splendens (Lamiaceae) (Jiang et al. 2008)).

La moins bonne performance sur substrat normal peut traduire un coût de la tolérance au cuivre. En condition contrôlée sur un gradient de cuivre, un tel coût serait la conséquence d’un besoin physiologique en cuivre intrinsèquement plus élevé (Macnair et al. 2000). Cependant, le coût de la tolérance aux métaux lourds a été démontré en conditions contrôlées uniquement chez Mimulus guttatus (Macnair et al. 2000). Les études s’attachant à démontrer un coût de la tolérance aux métaux lourds en conditions contrôlées chez d’autres pseudométallophytes n’ont pas été concluantes (Nicholls & McNeilly 1985 ; Dechamps et al. 2006). Le coût direct de la tolérance aux métaux lourds expliqué par un besoin physiologique en métaux lourds semblerait être un phénomène rare.

Crepidorhopalon perennis est-elle une cuprophyte intrinséquement plus absolue que C. tenuis?

Les cuprophytes absolues, dont la distribution est strictement liée aux sols cuprifères, pourraient être incapables de coloniser les sols non-métallifères (Tadros 1957). L’hypothèse d’un coût élevé de la tolérance au cuivre chez ces espèces pourrait expliquer leur inaptitude à se développer sur sols non-métallifères (Macnair et al. 2000). L’échec répété de nos essais de culture en pot de C. perennis sur des substrats non contaminés en Cu semble appuyer cette hypothèse (Faucon, résultats non publiés). Cependant, les résultats du présent travail, en conditions axéniques, n’ont pas montré une baisse de biomasse de C. perennis sur milieu non contaminé (Figure 2). Ceci n’appuie pas l’hypothèse d’un besoin élevé en cuivre chez C.

perennis. Toutefois, ce résultat doit être considéré avec prudence, pour plusieurs raisons.

Premièrement, notre échantillon est de faible effectif. Deuxièmement, nous n’avons utilisé qu’une seule concentration en Cu et il n’est pas impossible que l’optimum physiologique de

C. perennis, se situe à des teneurs en Cu encore plus élevées. Troisièmement, ce travail n’a

considéré que le facteur cuivre. Il n’est pas impossible que l’adaptation au cobalt joue un rôle au moins aussi important dans le cas de C. perennis, originaire d’un site dont la teneur en cobalt dans le sol est particulièrement élevée.

Crepidorhopalon perennis semble posséder des capacités de dispersion élevées

puisqu’elle colonise rapidement les nouveaux déblais de malachite créés par l’activité