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perennis avec sa congénère C. tenuis (en prép.)

2. Valeur de Conservation des métallophytes

Particularités biologiques remarquables

Les propriétés hyperaccumulatrices de certaines espèces ont été exagérées, sans doute par

suite de problèmes méthodologiques. Crepidorhopalon perennis et C. tenuis ne sont pas constitutivement accumulatrices. Les patrons d’accumulation des plantes in natura sont assez bien expliqués par les propriétés du sol (interactions entre éléments). La biodisponibilité de Cu varie certainement de manière complexe, en fonction de plusieurs autres paramètres édaphiques. Ceci peut jouer un rôle dans l’évolution de la tolérance. La teneur en Cu seule (totale ou extractible) n’est pas suffisante pour apprécier la contrainte que la toxicité réelle de Cu exerce sur l’évolution. Des travaux récents sur le déterminisme édaphique de la composition des communautés végétales (Parmentier et al. en prep.) mettent en évidence un rôle auparavant insoupçonné d’autres éléments traces (Al, Fe, Mn, Zn). En conditions contrôlées, C. tenuis et C. perennis présentaient dans leur partie aérienne des concentrations en Cu variant de 30 à 115 µg mg-1 correspondant à un ordre de grandeur plus faible qu’in situ. Nous pensons que ceci signifie que l’accumulation du Cu ne se produit que dans des

conditions édaphiques particulières, très difficiles à obtenir en culture. Ces conditions

peuvent consister en une combinaison très spécifique de teneurs en Cu-Co-Mn-Fe-Ca. Il pourrait aussi s’agir d’une interaction avec des microorganismes du sol, modifiant la mobilité des métaux (Fomina et al. 2005 ; Gildon & Tinker 1983 ; Wu et al. 2007 ; Liu et al. 2009 ; Cubaka, pers. comm.). Ceci souligne aussi la nécessité d’étudier conjointement l’adaptation à plusieurs métaux, au minimum le cuivre et le cobalt. Actuellement, on ne peut préciser lequel de ces métaux est le plus limitant. La recherche s’est focalisée sur le cuivre en raison de son rôle reconnu dans la physiologie des plantes. Une approche « polymétallique » de l’évolution de la tolérance semble indispensable au Katanga, puisque plusieurs métaux lourds sont toujours présents simultanément en excès dans les sols. C’est aussi le cas du zinc, du

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plomb et du cadmium dans les sols calaminaires, mais, ce qui semble remarquable au Katanga, sont les énormes variations des rapports d’abondance Cu/Co entre gisements.

Crepidorhopalon perennis et C. tenuis semblent être des exclueurs au sens de Baker

(1981). Ce mécanisme de tolérance a été bien documenté chez de nombreux écotypes ou espèces adaptés à de très fortes teneurs en Cu dans le sol (Schat et al. 1993 ; Song et al. 2004; Weng et al. 2005 ; Chipeng et al. 2009).

Les deux espèces étudiées se distinguent par des stratégies de vie différentes, mais aussi, et ceci est tout à fait nouveau, sur base des traits floraux. Néanmoins, elles ne semblent pas posséder des pollinisateurs différents. Les mécanismes d’isolement reproducteur entre ces deux espèces doivent être étudiés : pré-zygotiques (incompatibilité pollen-stigmate) ou zygotiques (faible viabilité des hybrides, …). Un mécanisme d’isolement post-zygotique entre ces deux espèces aura un effet négatif sur la viabilité de la population de C.

perennis (Reiseberg & Carnet 1998). Il sera indispensable d’effectuer des croisements

contrôlés entre ces espèces pour déterminer la nature de l’isolement. Cette étude devrait être couplée à l’étude du régime de reproduction, une bonne connaissance de la biologie de la reproduction des plantes menacées est essentielle pour assurer leur conservation (Olfelt et al. 1998).

Crepidorhopalon perennis occupe une niche extrême (Co et Cu élevés). L’isolement

écologique peut avoir joué un rôle dans la spéciation. La différence de stratégie de vie entre

C. perennis et C. tenuis (notamment : investissement plus important dans la survie chez C. perennis) est-elle une réponse adaptative à des conditions d’habitat particulières ? La toxicité

plus élevée du Cu et du Co provoquerait-elle un taux de mortalité juvénile plus élevé chez C.

perennis, favorisant l’évolution vers un cycle pérenne itéropare?

Haumaniastrum katangense possède un patron de distribution écogéographique très

semblable à celui de C. tenuis (Paton & Brooks 1996). Son aire de distribution correspond au centre d’endémisme zambézien. Haumaniastrum katangense se trouve aussi dans des clairières naturelles de forêt claire sur cuirasse latéritique et colonise des habitats métallifères anthropogènes au Katanga et en Zambie où il semble trouver son optimum écologique (Malaisse & Brooks 1982). Chez les deux espèces, les populations non-métallicoles sont rares, de faible effectif et constituées de plantes beaucoup plus chétives (Faucon, obs. pers.). Ces espèces constituent donc un matériel biologique hautement original pour l’étude des processus de colonisation rapide d’habitats extrêmes. La comparaison de l’écologie des

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populations métallicoles et non-métallicoles chez ces deux espèces permettrait sûrement de mieux comprendre les processus évolutifs de l’adaptation des plantes aux sols métallifères. La transplantation réciproque in situ des deux types de populations devrait être réalisée.

Nous avons montré que C. tenuis et C. perennis étaient hautement tolérantes au cuivre. Ce degré de tolérance élevé au cuivre leur confère un intérêt appliqué dans la phytostabilisation des sols contaminés par les métaux lourds. Chez ces deux espèces, le

cuivre provoquait une augmentation des performances de certaines populations métallicoles en milieu axénique. Cette stimulation par le cuivre en culture axénique ne serait

donc pas liée à une sensibilité particulière aux pathogènes (mais l’action de ce mécanisme ne peut pas être exclue in natura) (Malaisse & Brooks 1982; Paton & Brooks 1996; Chipeng et al. 2009). Ces populations posséderaient des besoins élevés en cuivre. Dans ce cas, la

cuprophilie apparente de l’espèce in natura pourrait être expliquée par un coût de la tolérance au cuivre. Cette cuprophilie semble être un phénomène rare chez les espèces

tolérantes au cuivre (Shaw 1994 ; Chipeng et al. 2009 ; Lou et al. 2004 ; Jiang et al. 2008) et confère ainsi à C. perennis et C. tenuis une valeur biologique remarquable.

L’endémisme des sols métallifères a été peu étudié (Kruckeberg & Rabinowitz 1985 ; Kruckeberg 1986 ; Macnair & Gardner 1998 ; Tadros 1957). Le degré de spécialisation écologique élevé des métallophytes les rendant inaptes à coloniser les habitats non-métallifères reste une hypothèse à démontrer. Beaucoup d’espèces endémiques ou à forte affinité pour les sols cuprifères montreraient des besoins élevés en cuivre, éventuellement couplés à une sensibilité élevée aux agents pathogènes. Dans ce cas, les distributions restreintes des endémiques des habitats cuprifères du Katanga reflèteraient les coûts directs

et indirects de l’adaptation aux sols cuprifères. C’est un thème de recherche passionnant

pour l’avenir. La culture in vitro est une technique de choix pour réaliser un screening rapide de la réponse à Cu en conditions axéniques, et discriminer ainsi l’hypothèse « pathogènes » et l’hypothèse « besoin métabolique en cuivre ».

Crepidorhopalon perennis et C. tenuis ne serait pas le seul exemple de couple de

cuprophytes étroitement apparentés dans les habitats cuprifères du Katanga. La révision phytogéographique des supposées endémiques des habitats cuprifères du Katanga a permis de mettre en évidence dans la liste des 32 endémiques strictes et validées, 23 couples de cuprophytes étroitement apparentés dont un des taxons est endémique des habitats cuprifères et l’autre est plus répandu (Tableau 1). L’endémisme des habitats métallifères serait expliqué

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par une spéciation allopatrique induite par l’isolement écologique des habitats métallifères (Kruckeberg 1986 ; Rajakaruna 2004 ; Kazakou et al. 2008). D’après le modèle de Kruckeberg (1986), on devrait s’attendre à retrouver principalement des taxons endémiques des habitats cuprifères étroitement apparentés à des taxons des habitats non-métallifères. Ceci nous amène à suggérer que d’autres événements de spéciation pourraient exister au sein des habitats cuprifères. Par exemple, l’isolement écologique qui pourrait s’exercer au niveau des zones les plus riches en cuivre et l’isolement géographique des sites cuprifères entre eux pourraient stimuler une spéciation allopatrique au sein même des habitats cuprifères du Katanga. Les patrons de distribution des endémiques devraient être étudiés. Les facteurs du sol jouent-ils un rôle dans la distribution particulière de certaines espèces ? Le cas des « cobaltophytes » (Silene cobalticola, Crotalaria cobalticola, …) (Duvigneaud 1959) est sans doute l’un des plus fascinants, mais n’a jamais fait l’objet d’une approche expérimentale. L’isolement écologique de certaines zones des habitats cuprifères pourrait être démontré par une transplantation réciproque des deux taxons dans les zones qu’ils occupent. L’origine des espèces endémiques reste spéculative. Seule une caractérisation cytologique et phylogéographique de ces couples d’espèces et une étude phylogénétique des genres de la flore des habitats cuprifères du Katanga permettrait de connaître l’origine des endémiques. Proviennent-elles de leurs congénères cuprophytes plus largement répandues ou d’un ancêtre commun aux deux taxons des couples considérés ? Dans chaque couple, le taxon à aire restreinte est-il le plus récent ? Est-il dérivé du taxon le plus largement répandu ? Les deux taxons diffèrent-ils par des traits fonctionnels particuliers ? Existe-t-il des motifs récurrents dans la divergence écologique et physiologique entre ces espèces ? Nous pensons que ces couples d’espèces cuprophytes constituent un outil de recherche idéal pour l’avenir, susceptible de faire converger des approches physiologiques, moléculaires, écologiques et évolutives de cette flore du cuivre.

Taxons endémiques sites Familles Taxons apparentés sur Cu

Acalypha dikuluwensis 1 EUPHORBIACEAE A. cupricola

Aeollanthus saxatilis 4 LAMIACEAE A. subacaulis var. linearis et var. ericoides

Anisopappus davyi 17 ASTERACEAE A. chinensis

Aspilia eylesii ssp. cupricola 1 ASTERACEAE A. angolensis

Crepidorhopalon perennis 2 SCROPHULARIACEAE C. tenuis

Crotalaria cobalticola 18 FABACEAE C. glauca

Cyanotis cupricola 13 COMMELINACEAE C. speciosa

Cyperus kibweanus 5 CYPERACEAE C. angolensis

Digitaria nitens ssp. festucoides 1 POACEAE D. nitens

Euphorbia cupricola 5 EUPHORBIACEAE Monadenium pseudoracemosum var. lorifolium

Faroa chalcophila 3 GENTIANACEAE F. affinis

Faroa malaissei 11 GENTIANACEAE F. affinis

Hartliella cupricola 1 SCROPHULARIACEAE H. suffruticosa

Haumaniastrum robertii 32 LAMIACEAE H. katangense

Justicia metallorum 26 ACANTHACEAE J. elegantula

Lopholaena deltombei 9 ASTERACEAE L. alata

Loudetia kagerensis ssp. jubata 1 POACEAE L. simplex

Ocimum ericoïdes 5 LAMIACEAE O. metallorum

Silene cobalticola 1 CARYOPHYLLACEAE S. burchelli var. angustifolium

Sopubia mannii var. metallorum Mielcarek 9 SCROPHULARIACEAE S. myomboensis

Wahlenbergia ericoidella 3 CAMPANULACEAE W. capitata

Wahlenbergia malaissei 2 CAMPANULACEAE W. capitata

Xerophyta demeesmaekerana NE VELLOZIACEAE X. equisetoides var. trichophylla

Tableau 1 Quelques couples d’espèces dans la flore cupricole du Katanga (métallophyte absolu). Chaque couple comprend un taxon strictement endémique des sols cuprifères, et un taxon morphologiquement semblable à plus large distribution (pseudométallophyte).

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Risques d’extinction et valeur de conservation

Actuellement, parmi les taxons endémiques stricts des habitats cuprifères du Katanga, 6% sont éteints (EX), 73% sont en danger critique d’extinction (CR), 9% sont en danger d’extinction (EN) et 3% sont vulnérables (VU).

La révision taxonomique et écogéographique nous a permis d’identifier des taxons présentant une affinité particulièrement élevée pour les sols cuprifères, sans y être totalement confinés. Pour 18 taxons, au moins 75% des localités connues se trouvent dans les habitats cuprifères. Nous pensons que ces espèces sont aussi d’un intérêt particulier pour la conservation (22% sont en danger d’extinction et 78% sont vulnérables).

Crepidorhopalon tenuis est représentative de ce groupe. L’étude de la variation de la

capacité à tolérer le cuivre entre populations de C. tenuis a montré une différence entre les populations métallicoles et non-métallicoles. La population non-métallicole était la seule à montrer une inhibition de la croissance à une concentration élevée en cuivre. Le patron de variation de la tolérance est du même type que celui documenté à de nombreuses reprises chez des pseudométallophytes, chez lesquels des « écotypes métallicoles » ont été décrits (Antonovics et al. 1971 ; Nicholls & McNeilly 1985 ; Nordal et al. 1999 ; Macnair et al. 2000). Ceci laisse à penser que les autres pseudométallophytes des sols cuprifères pourraient présenter une différenciation génétique entre les populations métallicoles et non-métallicoles. Néanmoins, cette adaptation locale des populations devra être démontrée par une expérience de transplantation réciproque in situ. Même si la conservation des endémiques reste prioritaire, la valeur conservatoire des populations métallicoles des pseudométallophytes des habitats cuprifères du Katanga semble d’un intérêt élevé.

Déficit de connaissances taxonomiques et phytogéographiques

La flore des habitats cuprifères du Katanga est encore imparfaitement connue. Face au manque de données sur certains taxons (pour certains, la seule publication connue est le protologue), le statut de conservation de 12% des taxons endémiques n’a pas pu être évalué. Certains taxons sont connus seulement d’un spécimen type (Duvigneaud & Denaeyer-De Smet 1963) (par ex. Hartiella cupricola, Loudetia kagerensis subsp. jubata). Dans l’ensemble, notre révision de l’endémisme s’est heurtée aux lacunes des connaissances taxonomiques et phytogéographiques sur la flore générale du Katanga. Des difficultés

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taxonomiques sont observées pour certains genres et familles pour lesquels aucune révision systématique récente n’a été réalisée pour la flore d’Afrique Centrale (par ex., Commelinaceae, Poaceae, Cyperaceae…) et pour lesquels de nombreux échantillons d’herbier restent indéterminés. De plus, plusieurs dizaines d’affleurements de roche cuprifère n’ont jamais été prospectés botaniquement (Meersseman résultats non publiés). Une sous-estimation du nombre d’endémiques est possible. Dans certains cas, la valeur de certains taxons endémiques nécessite confirmation par des études biosystématiques et phylogéniques. C’est le cas pour des taxons à distribution très disjointe, dont les populations métallicoles sont élevées au rang d’espèce distincte malgré une forte affinité morphologique (par ex. Crotalaria

peschiana, endémique du cuivre et C. subcespitosa présente aux abords du lac Malawi

(Polhill 1982). Le grand déficit de connaissances taxonomiques et phytogéographiques

dans la flore du Katanga est certainement un frein à l’établissement d’un programme de conservation.