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Dans le but de connaître de la part des intervenants quelle utilisation font les personnes itinérantes des urgences psychiatriques, nous avons regroupé les résultats de trois questions de l'entrevue : les raisons de la référence à l'urgence, les demandes faites par ces personnes à l'équipe de l'urgence et l'attitude des personnes face aux soins.

5.2.1 Les raisons de la référence à l'urgence

La plus grande partie de la clientèle des urgences psychiatriques serait amenée par Urgences-Santé, parfois avec l'aide de la police si la personne ne collabore pas ou si elle a fait l'objet d'une plainte. Les policiers seraient en effet souvent appelés lorsque la personne est “ en manque ” ou qu'elle a trop consommé. C'est dans ce genre de situation qu'elle risque d'entrer en crise et de poser un geste nécessitant l'intervention de la police. Certains commerçants, nous disent les policiers, connaissent maintenant les personnes itinérantes et, au lieu de contacter la police pour les faire expulser, tentent de le faire eux-mêmes. C'est alors que peut survenir la crise. Un ambulancier explique toutefois qu'il voit peu de gens agressifs. Il intervient plutôt à la suite d'un appel d'un citoyen ayant vu la personne itinérante couchée à terre ou parce qu'il fait froid. La principale raison de la référence à l'urgence psychiatrique est que ces personnes “ dérangent ” l'environnement.

Les itinérants qui nous sont amenés c'est pour des comportements perturbateurs dans la société, habituellement au centre-ville. Il y a une plainte qui est logée aux ambulances ou à la police parce qu'ils sont dans le milieu de la rue, ils crient des menaces, ils lancent des objets ou des choses comme ça.

[...] souvent elles [les femmes] sont amenées parce qu'elles étaient dans des endroits d'hébergement... [et qu'elles] posaient des problèmes ou elles semblaient errer dans la rue. Tandis que les hommes sont plutôt amenés pour des bagarres ou des problèmes de violence.

[...] a greater number of patients... come through medicine [urgence générale] because they got hit by a car, they seem sick... so it's usually behavioral complaints from other people, there are very few patients who come to the hospital because of personal distress.

Enfin, un plus petit nombre vient de lui-même ou est amené par des amis ou de la famille. “ Les itinérants très souvent viennent au centre-ville. Il vient boire dans le centre-ville puis là après qu'il a bu, il est malheureux, il passe devant l'hôpital, ça fait qu'il rentre. ” Certaines “ viennent avec des plaintes médicales, parfois c'est des gens qui viennent chercher de la drogue... ils espèrent qu'on va pas s'apercevoir qu'ils sont toxicomanes et qu'on va leur donner du Demerol ”.

5.2.2 Les demandes des personnes itinérantes

Les principales demandes faites par cette clientèle aux équipes des urgences ne sont pas d'ordre psychiatrique. Peu de demandes de traitement sont faites même si les personnes sont malades. En général, ce sont des demandes pour un gîte et de la nourriture (surtout l'hiver) et quelquefois pour de la drogue, des médicaments ou pour une désintoxication. Les équipes décrivent la situation :

Ce qui les dérange, c'est parce qu'ils ont des voix puis ils voudraient qu'on leur enlève. On leur enlève leurs voix puis après ils veulent un peu d'argent et du linge.

[...] ils viennent ici pour être hébergés parce que... y'ont dépensé leur chèque, y'ont plus rien, fait qu'ils pensent qu'on va les garder, là ils font semblant d'être fous, d'entendre des voix...

Il y a des gens qui sont sur la liste noire qu'ils [les ressources d'hébergement] ne veulent pas réaccepter, puis c'est souvent ceux-là qui se présentent à l'urgence parce qu'ils n'ont plus de place où aller.

[...] il y a une différence entre les personnes amenées par Urgences-Santé et celles qui viennent d'elles-mêmes. Ces dernières sont le type à dire : “ je ne dors pas, je veux quelque chose pour dormir ou j'entends des voix ou je suis suicidaire ”... ils s'imaginent que c'est la façon d'être vus. Ou ils vont honnêtement dire “ je n'ai pas de place où rester ” ou “ je veux une prescription ”. Ils peuvent venir avec une engelure ou on peut la découvrir lorsqu'ils nous demandent un repas, un gîte.

Un ambulancier relate que certaines personnes itinérantes s'adressent à lui pour obtenir des médicaments ou des seringues ou pour obtenir un renseignement, tel que le danger de propagation du sida par l'utilisation de seringues. Les intervenants des ressources communautaires perçoivent que les personnes itinérantes ont des besoins de base tels que se nourrir, se vêtir, se laver. Ceux d'Urgences-Santé ont insisté sur d'autres types de besoins : être pris par la main, être pris en charge, bénéficier d'un certain encadrement, être écoutés.

13 5.2.3 L'attitude des personnes itinérantes face aux soins

Quand on demande aux intervenants des équipes des urgences psychiatriques de décrire comment les personnes itinérantes réagissent aux soins offerts, ils répondent que, de façon générale, elles ne collaborent pas et que souvent elles refusent le traitement. Ce refus s'expliquerait à la fois par le fait que les personnes itinérantes sont souvent amenées à l'urgence contre leur gré par Urgences-Santé et la police, par la nature de leur problème psychiatrique et par leur état d'intoxication. Les intervenants sont explicites sur cette question :

Souvent les difficultés que ces gens-là ont, on parle de psychopathologie par exemple, c'est qu'il n'y a pas de difficultés, il y a un système qui est difficile, il y a un paquet d'affaires qui se passent autour d'eux autres qui leur rend la vie compliquée, mais c'est pas parce qu'ils sont malades... La réponse est je veux pas me faire soigner par personne puis de toutes façons je ne suis pas malade.

[...] ce ne sont pas de grands consommateurs de services psychiatriques ou des gens qui recherchent ça. Ça parle aussi d'une capacité que ces gens-là ont de s'autonomiser. Ils ont des ressources ces gens-là puis c'est pas des ressources marquées par la dépendance et la passivité. C'est une ressource qui est relativement active et dynamique. Comme ils sont maladroits, ils sont handicapés dans leurs démarches, pour toutes sortes de raisons, ils les font pas comme il faut.

Ces gens-là [les vieux schizophrènes] les sortir de leur psychose, ils y tiennent pas du tout [...]. Être obligé de voir la réalité telle qu'elle est quand ça fait 25, 30 ans que t'as pris l'habitude de ne pas la regarder, le gars n'a pas de motivation à ça... tu peux bien les hospitaliser, tu peux peut-être les améliorer un petit peu à condition qu'ils acceptent de prendre la médication, puis quand ils sortent, ils laissent tout tomber... Alors, celui-là il nous demande rien puis il veut surtout pas qu'on le contraigne beaucoup. [...] Les vrais itinérants de métier t'arrives pas à les accrocher.

[...] il est amené ici de force, il n'a pas le choix... Quand le patient arrive ici, il signe un refus de traitement puis il sacre son camp. Ou il nous pique une crise et il commence à tout casser, bien on dit, tu veux t'en aller, vas-t-en. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse... ils veulent rien savoir, carrément... Souvent ils ne sont pas en état de répondre parce qu'ils sont gelés comme une balle à cause de l'alcool ou des médicaments qu'ils ont pris. Au moment où ils sont capables de se mettre un pied en bas du lit, c'est reparti... Ils connaissent leurs droits et le système, ils savent habituellement jusqu'où ils peuvent aller puis ils arrêtent à ce niveau-là. Et leur comportement est habituellement assez désagréable, il y a comme un malin plaisir à se mettre le personnel à dos.

Les autres acteurs décrivent aussi des personnes itinérantes pour qui l'utilisation des services psychiatriques cause problème. Des intervenants de ressources communautaires expliquent :

[...] mais ceux en général pour qui ou pour, comment est-ce que je pourrais dire, qui m'inquiète le plus, c'est ceux qui sont pas dérangeants. C'est le monsieur qui a des gros

problèmes mais qui s'isole dans un coin, qui dit jamais un mot. [...] J'aime mieux en tout cas de le laisser dans son coin tranquille pis pas le brusquer, mais au moins je me dis y'est chez nous au chaud, y'est pas sur la rue pis y dérange pas.

I'd say the people we are having the most difficulty with are the people that are absolutely mentally ill, refusing to take any medication or follow any treatment, the people that become aggressive easily so that they create an atmosphere that is difficult for the rest of the group to handle.

Un psychiatre-parrain ajoute :

La clientèle plus jeune n'a jamais été en contact avec la psychiatrie, n'a jamais eu de soins, refuse complètement toute figure d'autorité, refuse tout ce qu'on [les psychiatres] présente, a une négation de sa maladie qui est encore pire que les gens un peu plus âgés, de sorte que nos voies d'accès il n'y en a presque pas.

Certains policiers conçoivent le problème comme un manque de volonté de la part de la personne itinérante. Si cette dernière ne veut pas s'aider, rien ne pourra être fait même si de nombreuses personnes dans son entourage sont prêtes à lui accorder une aide.

Par rapport à la maladie mentale, un problème soulevé est le fait que les personnes itinérantes très atteintes ont peur des psychiatres. Il devient alors difficile de leur parler et de les amener à consulter. Un psychiatre-parrain se dit conscient et rappelle : “ [qu']il n'y a rien de plus difficile que d'accepter de souffrir d'une maladie mentale. Il y a sûrement rien de plus difficile que d'être obligé de prendre nos médicaments avec les effets secondaires que ça crée chez eux ”. Pour d'autres personnes itinérantes, il serait difficile d'accepter certaines réalités qui semblent brimer leurs droits tout en leur accordant des conditions de vie plus adéquates. Cela peut occasionner des crises de la part de la personne et un acting out envers l'intervenant.

En somme, ce sont des personnes qui la plupart du temps n'accepteraient pas les services psychiatriques offerts par les urgences pour diverses raisons : d'abord, plusieurs n'ont pas demandé à y aller, elles y sont contre leur gré, elles ne se considèrent pas malades, elles craignent le système de soins, certaines ont besoin de dégriser, d'un abri, de nourriture mais pas de soins psychiatriques ni de désintoxication. Toutes ces raisons limitent beaucoup l'utilisation d'une urgence psychiatrique. En général, ce ne sont pas des gens demandeurs de services psychiatriques. Ils ont leur mode de vie dans lequel ils se débrouillent, certains depuis très longtemps, et ils s'en accommodent; certains ajoutent que c'est leur choix. Tel est le portrait que tracent l'ensemble des intervenants de leur clientèle itinérante et de leur utilisation des urgences psychiatriques. Abordons

15 maintenant les questions de leur intervention auprès de celle-ci, des limites auxquelles ils sont confrontés et des solutions qu'ils entrevoient pour améliorer les soins.