• Aucun résultat trouvé

5.3 L'intervention des équipes des urgences psychiatriques et

5.3.2 L'intervention des autres acteurs et ses limites

Les intervenants d'Urgences-Santé disent qu'il n'y a pas de différence quant à l'offre de leurs services entre les personnes itinérantes et celles qui ne le sont pas : “ aucune différence. On intervient. C'est sûr qu'on... peut-être qu'on a deux paires de gants là pis il y en a même qui étaient portés à mettre des masques, mais on portait le geste adéquat ”. Ils ajoutent : “ notre éthique dit que on doit apporter assistance avec l'empathie nécessaire, porter les bons gestes, pas de discrimination là. Si il y a une différence, elle est pas au niveau des services pré-hospitaliers ”. La première préoccupation des ambulanciers est de savoir si la personne a un problème physique. Mais ils procéderont à son transport même si tout semble normal : “ en tant qu'intervenant d'Urgences-Santé on est obligé de transporter tout bénéficiaire qui veut aller à un hôpital même si on sait qu'il a rien ”.

Tous les intervenants rencontrés dans le groupe des autres acteurs ont exprimé des doutes, plus ou moins fortement, quant à leur rôle auprès des personnes itinérantes. Pour les policiers, la judiciarisation ne représente pas une solution. Dans certains cas, ils n'ont toutefois pas le choix de porter des accusations. La personne sera incarcérée un certain temps puis relâchée sans que rien n'ait été réglé.

[...] que tu portes des accusations, que tu l'envoies à l'hôpital t'sais, tu sais que tu vas le revoir ton bonhomme une semaine après, ça va être la même chose, il aura pas changé, pis au point de vue amélioration de sa condition il y aura absolument rien. [...] ça fait la dixième fois que t'as affaire à lui t'sais pis il est toujours pareil, il y a pas d'amélioration. [...] T'as pas le choix, il faut que tu fasses de quoi, mais ça donnera rien, t'auras pas le résultat au bout, sauf la petite action que tu vas avoir faite, tu vas avoir porté une accusation, ben oui, ça va être à la cour, ça va embourber le système judiciaire.

19 Certains intervenants des ressources communautaires partagent cet avis : “ he's arrested he goes back to jail, he receives some medication in jail. As soon as he comes out he doesn't have anything organized, so it's... the cycle is repeating itself ”. Un pareil jugement critique est aussi formulé par la direction d'Urgences-Santé concernant leur intervention et celle des urgences psychiatriques : “ je pense pas que l'action d'Urgences-Santé change quoi que ce soit. L'action des centres hospitaliers change rien vous savez dans... t'sais vous le stabilisez pis vous le remettez dans la rue, bon ”. Les policiers croient aussi qu'on ne fait que tourner en rond puisqu'il n'y a pas de traitement en profondeur, à moyen ou long terme. De leur côté, les intervenants des ressources communautaires se sentent aussi désarmés lorsque la personne est en crise. Ils savent que la mettre dehors ne réglera rien ni appeler la police puisque cette dernière “ [va] juste lui faire faire le tour... et le lâcher ”. Mais les ressources n'ont pas le personnel nécessaire pour intervenir sur le plan professionnel.

L'intervention auprès des mêmes personnes de façon régulière pose problème aux policiers. Ceci les amène à ne plus vouloir s'occuper de certaines d'entre elles : “ à un moment donné on devient saturé. Quand ça fait sept fois dans le mois que tu transportes le même, là tu te poses des questions ”. Cependant pour les ambulanciers d'Urgences-Santé, que la personne soit ou non connue, elle va être amenée à l'hôpital. Ce qui semble les déranger, c'est la condition d'itinérance de la personne : “ c'est que connu ou pas connu, dès que c'est un itinérant c'est jamais [facile]... surtout quand les urgences sont débordées, il y a beaucoup d'ouvrage, ça, ça irrite quelque peu les gens qui le reçoivent ”.

De façon générale, les autres acteurs ne savent quoi faire face à l'agressivité démontrée par les personnes itinérantes et à leur potentiel de dangerosité, compte tenu que cela place les gens de l'entourage dans une situation dangereuse. Le danger peut être physique mais également d'un autre ordre. Ainsi, les intervenants des ressources communautaires expliquent que la personne, par son comportement, peut influencer les autres personnes itinérantes présentes dans le centre et provoquer des crises. Il devient alors difficile de calmer tout le monde. Lorsque de telles situations surviennent, les intervenants disent qu'il est difficile d'amener les autorités concernées comme la police et l'Institut Philippe Pinel à intervenir. Ou, lorsqu'elles interviennent comme le soulignait l'intervenant d'une ressource, “ as soon as he comes out, he doesn't have anything organized, so it's, the cycle is repeating itself ”. Dans certaines situations, les intervenants s'abstiendront donc de faire appel à la police ou à Urgences-Santé car ils savent que la personne risque de revenir, par la suite, et de briser des choses ou de les menacer, en représailles.

Les psychiatres-parrains pour leur part, proposent un éclairage sur l'intervention psychiatrique et sur la formation des psychiatres :

[...] on est formé à l'université de façon très sophistiquée pour s'occuper peut-être d'une population plus sophistiquée [...] on a presque pas appris à s'occuper vraiment de la population chronique, elle a toujours eu une très mauvaise presse, et comme on est humain comme tout le monde, on aime ça avoir des beaux cas, de pouvoir en parler [...]. Et comment trouver chez cette population de gens chroniques itinérants la petite flamme qui va nous, nous encourager, ce n'est pas facile.

Le même psychiatre ajoute qu'il ne savait pas comment traiter les personnes itinérantes ni s'il avait le goût d'apprendre. Par la force des choses, il a été obligé de le faire et il a trouvé cela intéressant. Mais il lui a fallu beaucoup de temps pour y arriver et il a dû, entre autres, combattre ses résistances. De plus, lors de leur formation, les médecins n'ont pas appris comment apprivoiser ceux qui ne veulent rien savoir d'eux. Ils ont été aussi formés à travailler avec un diagnostic à la fois, alors certains sont maintenant démunis face aux nombreux diagnostics et aux interactions entre les problèmes dont est affectée la personne itinérante. Ainsi, ils ont été formés à travailler l'aspect psychiatrique et psychologique mais pas la toxicomanie et l'alcoolisme. Alors, le médecin se retrouve obligé, parfois après vingt ans de pratique, d'apprendre quelque chose de nouveau avec tous les préjugés que cela peut supposer.