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2.2 Les services psychiatriques

2.2.1 Les caractéristiques du système de soins

Plusieurs auteurs mettent en cause la désinstitutionnalisation psychiatrique pour expliquer le nombre important de malades mentaux qui se retrouvent sur la rue dans les grandes villes nord- américaines. Il y a trente ans, ces personnes auraient été hospitalisées en psychiatrie sur une plus ou moins longue période. En général, les auteurs font valoir que très peu de services furent mis en place dans la communauté afin de traiter et d'aider ces personnes à se loger et à se réinsérer socialement, particulièrement dans le cas des malades chroniques. Tandis que les plus vieux ont reçu leur congé de l'hôpital psychiatrique, les plus jeunes ne l'ont pas connu. Les études dont nous avons fait état précédemment ont déjà mis en évidence le taux très élevé d'hospitalisations psychiatriques antérieures de cette population. Dans leur recension des écrits sur la question, Fournier et Ohayon (1993 : 230) rapportent le point de vue de deux grandes associations de santé mentale américaines qui mettent en cause l'organisation des services résultant de la façon dont la désinstitutionnalisation a été faite. Selon ces dernières, la condition de SDF chez les malades mentaux est révélatrice d'un manque de ressources adéquates et de barrières dans l'accessibilité aux services pour ces malades. Ainsi les services sont réservés aux personnes qui sont moins malades, ils sont fragmentés, inadéquats et sectorisés; les responsabilités ne sont pas spécifiques et les attentes sont inappropriées. En conséquence, ces associations défendent le parachèvement d'un système de services en santé mentale communautaire qui soit accessible, coordonné et complet et préconisent que l'accent soit mis sur le soutien au logement et au revenu.

Dans une étude sur l'impact de la désinstitutionnalisation psychiatrique sur l'itinérance, Robert (1990 : 45-46) insiste sur le problème d'accès aux services externes de psychiatrie qui desservent les malades chroniques vivant dans la communauté. D'abord, il faut avoir obligatoirement un rendez-vous. De plus, les services ne sont pas disponibles en dehors des heures régulières de bureau de jour. Or, la rigidité des horaires est un élément discriminatoire pour la clientèle psychotique qui éprouve des difficultés à fonctionner avec des notions temporelles. Selon l'auteure, les services de première ligne du réseau institutionnel sont assurés par les urgences des hôpitaux et les cabinets des omnipraticiens tandis que l'hospitalisation est envisagée en dernier lieu comme mode de prise en charge. Elle cite à ce sujet les résultats d'une étude de Dorvil (1987) réalisée à l'hôpital Louis-H Lafontaine, selon laquelle 54,9% des utilisateurs de l'urgence n'avaient pas été vus en consultation externe durant les six derniers mois précédant leur consultation, malgré le fait qu'un fort pourcentage y était inscrit. Elle affirme que la grande faiblesse actuelle du système de soins est la rupture entre les services offerts à l'intérieur de l'hôpital et ceux offerts à l'extérieur.

15 Roth et Bean (1986) soulignent également le fait que, dans ce contexte de la désinstitutionnalisation, on n'ait pas prévu mettre en place dans la communauté des ressources de logement structuré, des traitements et de la réadaptation et ils déplorent l'adoption de politiques d'admission à l'hôpital trop restrictives. Pour sa part, Lamb (1990 : 649) reprend la position du groupe de travail de l'Association des psychiatres américains selon laquelle l'itinérance met en évidence la déficience des services aux malades mentaux chroniques. Le groupe préconise la mise en place d'un système complet et intégré de soins à leur intention. Ce système devrait comprendre un éventail de ressources de logements supervisés et offrant du soutien; un système de case management; de l'intervention de crise adéquate, complète et accessible autant dans la communauté que dans les hôpitaux; des lois moins restrictives sur le traitement involontaire et des services courants de traitement et de réadaptation dispensés de façon active dans le milieu (outreach) lorsque nécessaire.

Cohen et Tsemberis (1991 : 6) soulignent également la faiblesse de la coordination entre les services existants qui obligent les patients chroniques à se promener de façon cyclique entre l'urgence psychiatrique, la rue et la prison. Ils déplorent l'absence de continuité entre les services internes et externes des hôpitaux et le manque de coordination entre les systèmes de santé mentale, de justice et de services sociaux de même qu'ils soulignent la rigidité de leurs structures administratives. Ils ajoutent qu'il existe une cassure (disruptive division) entre les services de santé mentale et les services aux toxicomanes. D'autres auteurs soulignent aussi que ces deux catégories de troubles sont habituellement traités dans deux systèmes de soins complètement différents de sorte que le client tombe facilement entre les mailles du système. Cohen et Tsemberis concluent que les personnes itinérantes malades mentales deviennent en quelque sorte les conséquences les plus visibles des dysfonctions des systèmes de services et ils traduisent l'échec des politiques de désinstitutionnalisation à procurer des alternatives viables dans la communauté.

Dans un article précédent, le même auteur (Cohen, 1990 : 255) met également en cause l'attitude du personnel en santé mentale qui stigmatise ces patients. Tandis que certains sont considérés comme de bons patients (meilleur fonctionnement, introspectifs), d'autres sont considérés comme incapables ou ne voulant pas accepter les traitements établis et en profiter de façon valable (patients chroniques ou abusant de drogues). Cette résistance consciente ou non des cliniciens à soigner ces patients affecterait la disponibilité et l'efficacité des traitements nécessaires. Cohen mentionne le cas des malades mentaux qui abusent de l'alcool ou des drogues. Ces derniers sont souvent vus par le personnel comme manipulateurs et non motivés à accepter les soins. À

l'urgence psychiatrique, ces patients sont souvent stéréotypés comme intraitables de sorte qu'on leur refuse l'admission.

Plus près de nous au Québec, Laberge et Morin (1995 : 395-400) examinent aussi cette question de l'absence de motivation de même que l'influence du cadre légal de l'intervention sur l'accessibilité aux services psychiatriques des personnes présentant la double problématique santé mentale - justice. Selon les auteures, les services de santé réguliers perçoivent souvent les clientèles indésirables comme peu motivées, refusant de reconnaître leurs problèmes psychiatriques et ne faisant pas d'effort pour prendre leur vie en mains. “ It is whithout a doubt the argument that carries the most weight in this milieu to justify not responding to or refusing access to this treatment-resistant clientele. ” La perception de non motivation serait basée sur des stéréotypes reliés à certains comportements des personnes, comme une histoire de non prise de médication ou d'abus de substances, qui influenceraient le professionnel responsable de l'évaluation à leur refuser l'accès aux services même si elles en ont besoin. Cette situation se produirait souvent dans un contexte où les ressources sont limitées. Au sujet du cadre légal, Laberge et Morin soulignent que la perspective d'un refus de traitement par le patient, l'obligation d'obtenir son consentement pour l'hospitalisation ou celle d'entreprendre des démarches compliquées auprès de la cour dans le cas de refus, ajoutées à une perception très négative de la clientèle, constituent des freins puissants à son accès aux soins psychiatriques, surtout dans les hôpitaux généraux. Elles mentionnent que le critère de dangerosité n'est pas défini par la loi, laissant son interprétation à l'entière discrétion du psychiatre qui évalue la situation :

[...] in function of a number of factors — contextual, organizational, individual — with the effect that undesirable categories of patients are excluded. “ Dangerous ” persons precisely figure among those not welcome in health services, particularly in general hospitals. The general hospital environment is considered poorly equipped to deal with such sitations, whether in terms of personnel, equipment, or security. (Laberge et Morin, 1995 : 398)

En somme, pour caractériser le système de soins psychiatriques, les auteurs mettent en évidence le caractère inadéquat, inadapté, fragmenté, incomplet, non coordonné, inaccessible et insuffisant des services psychiatriques offerts aux personnes itinérantes souffrant de troubles mentaux sévères et persistants. Ils relient ce phénomène à la façon dont s'est faite la désinstitutionnalisation, au financement, à l'organisation des soins, à la sévérité et à la complexité des problèmes de la clientèle et à ses conditions de vie.