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Utilisation d’objets et engrammes gestuels

Notre objectif était d’examiner la portée du concept d’engrammes en testant les prédictions émises par le modèle de Buxbaum (2001). La condition UO nécessitait d’anticiper comment l’objet devait être manipulé. La récupération des engrammes était ici essentielle afin de sélectionner quelle posture adopter. En accord avec Buxbaum et al. (2005a), ce défaut de planification devrait apparaître conjointement lorsque l’objet est à transporter ou à utiliser. Nos résultats plaident en la défaveur d’une telle prédiction. Si 69% des patients ont réalisé au moins une posture finale inconfortable lors de la condition TO, seuls deux patients ont présenté des postures inconfortables “pouce envers” lors de la condition UO, suggérant que les deux épreuves n’entretenaient aucune relation.

Des résultats précédents corroborent cette dissociation. Steenbergen et al. (2004) ont examiné la sélection des saisies chez des patients avec une paralysie cérébrale hémiparétique droite (hémisphère gauche endommagé) ou gauche (hémisphère droit endommagé). Quelle que soit la latéralité de la paralysie, les deux groupes de patients ont éprouvé des difficultés à sélectionner une posture confortable lorsqu’ils avaient à transporter un objet (expérimentation 1)47. Dans

une deuxième expérimentation, Steenbergen et al. (2004) ont fait varier le contexte en manipulant l’aspect fonctionnel de la tâche. Les patients avaient soit à déplacer un cylindre (niveau 1), soit à retourner un verre pour que de l’eau y soit introduite (niveau 2), soit à retourner un verre puis y introduire de l’eau (niveau 3). Les patients avec l’hémisphère droit endommagé n’ont pas présenté de postures inconfortables lors du niveau 3. A contrario, les patients avec l’hémisphère gauche endommagé ont montré des saisies inconfortables lors du niveau 3, bien que le nombre de postures inconfortables était largement inférieur à celui observé lors du niveau 1 et 2. Ce résultat appuie l’hypothèse de contraintes différentielles sur la sélection des postures manuelles lors du transport et lors de l’utilisation et a été renforcé par l’observation dans notre étude d’une double dissociation entre les conditions UO et TO. En effet, DR a montré un trouble singulier à sélectionner des postures inconfortables “pouce envers” dans la condition UO, alors que plusieurs patients LBD1 et RBD1 ont présenté le profil inverse en rencontrant des difficultés

uniquement pour sélectionner des postures finales confortables dans la condition TO. La difficulté éprouvée par DR s’est reportée de manière égale sur les deux mains, suggérant une spécialisation hémisphérique gauche.

L’hypothèse d’un système central d’action pour les interactions main–objet suggérait aussi une forte relation entre la performance à la condition UO et les épreuves d’exécution de pantomimes et de reconnaissance d’utilisation d’objets.

47 Contrairement à notre protocole dans lequel la performance des patients a été comparée à celle de sujets neurologiquement sains, Steenbergen et al. (2004) ont comparé la performance de patients avec une paralysie cérébrale hémiparétique droite avec la performance de patients avec une paralysie hémiparétique gauche. Par conséquent, leurs résultats ne portaient pas sur l’évaluation d’un déficit par rapport à une norme mais sur la stratégie employée. Dans la première expérimentation, Steenbergen et al. (2004) ont rapporté que les patients avec l’hémisphère gauche endommagé présentaient une stratégie privilégiant une posture initiale confortable. Par ailleurs, les patients avec l’hémisphère droit endommagé ne semblaient pas tendre vers une stratégie spécifique et notamment vers une stratégie impliquant un confort optimum. Par conséquent, ces résultats avaient déjà bien souligné l’implication des deux hémisphères cérébraux dans la capacité d’anticiper une posture confortable.

Nos résultats n’ont pas rapporté une telle relation. Si les patients DR et L2 ont présenté des troubles dans l’exécution des pantomimes sur présentation visuelle ou en imitation, ces troubles se sont aussi retrouvés chez d’autres patients sans que la condition UO soit échouée. Entre autres, l’épreuve de reconnaissance d’utilisation d’objets n’a pas été échouée par L2. Par ailleurs, aucune relation entre la condition TO et les épreuves d’exécution de pantomimes et de reconnaissance d’utilisation d’objets n’a été observée. Des résultats précédents appuient en partie nos données. En examinant chez des patients LBD et des patients RBD la sélection des postures manuelles dans une condition similaire à la condition TO, Hermsdörfer, Laimgruber, Kerkhoff, Mai, & Goldenberg (1999) n’ont pas rapporté de relation entre les indices basés sur le confort des postures et un score d’apraxie. L’apraxie était évaluée par une épreuve d’imitation de postures non symboliques. Steenbergen et al. (2004) ont aussi exclu l’éventuelle relation entre les indices de confort de postures et la présence d’apraxie, puisque leurs patients hémiparétiques étaient capables d’imiter les postures utilisées dans l’épreuve de sélection de postures. Ces résultats et les nôtres étayent l’indépendance fonctionnelle entre imiter une posture manuelle et sélectionner une posture confortable pour saisir. Le modèle de Buxbaum (2001) relate aussi une telle distinction puisque si les postures manuelles étaient relatives au système central d’action, l’imitation de postures non symboliques impliquerait plutôt le système dynamique d’action. Cependant, contrairement aux données rapportées par Buxbaum et al. (2005a) chez des patients LBD apraxiques, aucune relation n’a été rapportée entre la condition TO et les épreuves d’exécution de pantomimes ou de reconnaissance d’utilisation d’objets.

Cette divergence peut toutefois s’expliquer par la diversité des paradigmes expérimentaux. La condition TO nécessitait la sélection d’une posture finale confortable alors que Buxbaum et al. (2005a) ont évalué la capacité de sélectionner une posture initiale confortable. D’ailleurs, si les patients LBD examinés par Buxbaum et al. (2005a) ont montré de telles postures en condition d’imagerie motrice, aucune difficulté n’a été rapportée lors de l’exécution motrice. L’étude de ces auteurs et la nôtre convergent donc sur le fait qu’en situation d’exécution motrice les patients LBD ont tendance à sélectionner une posture initiale confortable, même si dans notre travail, cette stratégie a révélé un déficit d’anticipation motrice.

Par conséquent, bien qu’une relation entre la capacité de sélectionner des postures confortables et la capacité d’exécuter des pantomimes existe lorsque le

paradigme nécessite de l’imagerie motrice, cette même relation n’existerait plus lors de l’exécution effective. Cette distinction est intéressante puisqu’elle souligne un aspect généralement négligé dans les épreuves d’exécution de pantomimes d’utilisation d’objets, à savoir la capacité d’exécuter un mouvement sur un objet absent. Même si lors des premiers écrits sur l’apraxie, la question des pantomimes se posait en terme d’asymbolie ou d’apraxie, la conviction actuelle est que ce que l’on évalue dans les pantomimes, c’est la performance gestuelle. Autrement dit, les caractéristiques du mouvement du patient sont analysées et comparées à un mouvement type attendu. Cette façon d’appréhender l’exécution des pantomimes a inévitablement conduit à poser le problème de la récupération d’engrammes visuo- moteurs et à négliger l’aspect imagé des pantomimes. Bien que trop peu d’éléments soient ici rassemblés pour discuter la relation entre imagerie motrice et exécution des pantomimes, une réflexion pourrait être conduite dans cette voie. En un sens, exécuter un pantomime à partir de la présentation visuelle de l’objet pourrait tout simplement nécessiter d’une part une capacité d’imaginer un objet à utiliser ou à transporter et d’autre part la capacité d’ancrer un mouvement sur celui-ci. Cette perspective pourrait se révéler pertinente compte tenu du nombre fleurissant d’études qui suggèrent l’imagerie motrice comme un moyen rééducatif efficace pour les patients hémiplégiques (voir Johnson-Frey, 2004a). L’évaluation des apraxies servirait alors à prédire la réussite du programme de revalidation.

Enfin, Buxbaum (2001) avait suggéré que les troubles de l’utilisation d’objets pourraient apparaître en réaction à plusieurs déficits cognitifs simultanés. Notre épreuve d’utilisation d’objets n’était pas aussi “complexe” que les activités de vie quotidienne où le soi-disant contrôle exécutif joue un rôle prédominant (Schwartz, 1995; Humphreys & Forde, 1998). Par conséquent, l’implication des capacités attentionnelles et exécutives étaient dans notre tâche limitée au profit des connaissances sémantiques et des engrammes. Tout d’abord, l’analyse des profils individuels a de nouveau confirmé que la connaissance sur la fonction des objets ne serait pas nécessaire à l’utilisation d’objets (voir Buxbaum et al., 1997). Ensuite, l’analyse des profils individuels a remis en question l’intérêt des engrammes, puisque tout patient présentant une utilisation d’objets perturbée n’a pas forcément montré une difficulté à reconnaître des utilisations d’objets pertinentes. De plus, les troubles observées chez DR et L2 dans la condition UO ne seraient pas à mettre en relation avec un déficit spécifique d’utilisation d’objets et notamment de manipulation d’objets, puisque les quatre autres patients qui ont présenté une

utilisation d’objets perturbée n’ont pas présenté de difficulté dans la condition UO et ont aussi présenté des erreurs de manipulation.