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Idéation et conformité des représentations

Dans cette première approche, l'interrogation porte essentiellement sur les critères qui élisent une expérience et la distingue de toute autre. Comme

l'utilisation se réalise généralement par la mise en mouvement d'objets, les engrammes gestuels et la mémoire des objets jouent un rôle déterminant pour conformer l’utilisation aux souvenirs précédemment vécus.

a). Les engrammes gestuels

Depuis les travaux d'Ebbinghaus (1885), plusieurs principes ont clairement été établis dans le champ de la mémoire (e.g., effet de primauté, loi de Ribot). Curieusement, ces principes ne sont jamais évoqués pour les mémoires gestuels. Plus important encore, il semble que l'hypothèse des mémoires gestuelles n'a jamais été réellement vérifiée. Outre les raisons qui peuvent être avancées pour expliquer cet état de fait, nous rappellerons succinctement les interrogations que nous avons déjà soulevées sur ce sujet afin de constituer dans les lignes qui suivent une synthèse critique sur la question des engrammes.

Tout d'abord, il est possible de reprocher à l'évaluation de l'apraxie de prendre en grande partie appui sur l'intuition et l'expérience du clinicien (Poeck, 1986). Ne pouvant déterminer a priori ce que l'individu encode, il est généralement question de comparer sa performance à un attendu. La question demeure de savoir sur quelle base se fonde cet attendu, ce qui malgré l’évidence, est un travail bien délicat.

En effet, attendre qu’un individu réalise un geste – notamment lors de l’exécution de pantomimes – impose qu’un mouvement avec une trajectoire spécifique soit associé à un objet particulier. Cette réalité théorique ne se retrouve pas empiriquement. Par exemple, les auteurs considèrent usuellement que marteler un clou se fait dans un premier temps avec des mouvements fins du poignet et dans un second temps, si le contexte s’y emploie, avec des mouvements plus amples du coude (e.g., Buxbaum, 2001). Toutefois, si le clou est situé horizontalement à quelques centimètres du sol, l’ouvrage se fera à la force du poignet. De la même façon, de nombreux objets dont l’usage est identique s’emploient différemment. Certains décapsuleurs nécessitent un mouvement de bas en haut et d’autres de haut en bas impliquant des articulations distinctes. Autrement dit, le mouvement exécuté lors de l’utilisation d’un objet est très variable et ne nécessite pas toujours les mêmes articulations. Quel geste est alors attendu ?

Si tant est qu'il est concevable qu'une trajectoire motrice et une seule puisse être associée à l'utilisation d'un objet, il reste encore à expliquer sur quel(s) critère(s) cette trajectoire est mémorisée. Jusqu’à lors proposés, les critères de segment corporel et de finalité gestuelle sont sujets à de nombreuse controverses (voir la

section “apraxie et expérience”). Par ailleurs, comme mentionné dans la section “apraxie et manipulation”, la mémorisation des gestes ne peut se fonder ni sur les feedbacks somato-sensoriels ressortant à l’exécution ni sur les procédures exploratoires qui sous-tendent la perception des propriétés physiques.

L’intérêt d’une approche fondée sur la conception d’engramme impose qu’une majorité des portions de la trajectoire motrice soit mémorisée auquel cas le mouvement réalisé trouverait davantage son essence dans l’environnement présent que dans le souvenir. Pourtant, le rapprochement des études menées sur l'apraxie et de celles menées sur les transformations visuo-motrices a récemment conduit à imputer une part importante de l’élaboration gestuelle à des systèmes dynamiques gestuels, l’évocation d’un engramme ne fournissant qu’une représentation très épurée du geste à accomplir (voir Leiguarda & Marsden, 2000). A l’appui, citons par exemple le modèle de Buxbaum (2001) dans lequel la réalisation de gestes transitifs est réalisable sans l’évocation de souvenirs gestuels (voir aussi Buxbaum et al., 2003).

Même si l’hypothèse des engrammes gestuels est sujette à de nombreuses controverses, il est légitime de s’interroger sur le succès rencontré par ce concept qui traverse depuis plus d’un siècle la neuropsychologie. A notre avis, la réponse à cette question peut venir de l'enracinement de l'examen clinique dans l'évaluation des pantomimes qui a semblablement conduit les auteurs a porté leur attention sur le geste plutôt que sur l’objet du geste. Constatant que l'utilisation ne peut se faire sans mise en mouvement (i.e., sans geste) alors que gesticuler peut se faire sans maniement, l’utilisation d’objets a semble-t-il été appréhendé comme un prétexte à la gesticulation suggérant secondairement que la finalité de l’évaluation est le geste et non l’utilisation.

Une autre façon d’approcher la question est toutefois envisageable. Il se pourrait en effet que ce soit seulement une fois l’objet déterminé comme outil que la mise en mouvement s'opère. Ainsi, l'exécution des pantomimes devient une situation particulière de l’utilisation des objets, dans laquelle il est exigé de concevoir mentalement un objet qui ne peut s’ancrer dans la réalité physique si ce n’est par le geste lui-même. Cette perspective appelle à investir davantage l’implication des capacités d'imagerie mentale lors des pantomimes d’utilisation (voir Roy & Square, 1985) et à délaisser l’hypothèse des engrammes gestuels.

b). La mémoire – sémantique – des objets

Inspirés par les recherches sur les catégories sémantiques (McKenna & Warrington, 2000; Shallice, 1988; Warrington & Shallice, 1983) plusieurs auteurs ont suggéré que l’idéation peut s’apparenter à la récupération de connaissances sémantiques (Ochipa et al., 1989; Roy & Square, 1985). Plusieurs travaux ont toutefois contesté la nécessité de ces connaissances dans l'utilisation des objets.

Par exemple, Zangwill (1960) rapporta l'étude d'un patient qui, bien que dénommant, désignant ou décrivant par leur fonction des objets, les utilisait de façon erronée. Récemment, une série de travaux menés sur la démence sémantique a également pointé que des individus dont les connaissances sémantiques sont altérées peuvent continuer à utiliser les objets correctement (Buxbaum et al., 1997; Hodges et al., 1999, 2000; Negri, Lunardelli, Reverberi, Gigli, & Rumiati, 2007). Par ailleurs, la perte du savoir relatif à un objet n’est pas associée à la perturbation de son utilisation et vice versa (Moreaud et al., 1998; Negri et al., 2007). Il est désormais admis comme l'ont souligné Buxbaum et al. (1997) que la mémoire sémantique n’est ni nécessaire ni suffisante à l'utilisation des objets (voir Le Gall, 1987).