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L E MODELE DE H EILMAN , R OTHI , & V ALENSTEIN : D EUX FORMES D ’ APRAXIE IDEOMOTRICE

Le modèle proposé par Heilman, Rothi, & Valenstein (1982) a été développé en réaction aux hypothèses divergentes de Liepmann et de Geschwind. Plus précisément, si Geschwind contestait l’existence des formules de mouvement, il ne testa jamais cette proposition. L’étude de Heilman et al. (1982) visa justement à réparer le préjudice. Leur raisonnement fut le suivant. Si, comme le conçoit Geschwind, les centres visuel et auditif d’association sont directement connectés aux centres moteurs d’association, alors l’altération de l’exécution motrice doit s’accompagner de l’incapacité de reconnaître les gestes réalisés par un tiers. Si toutefois la connexion entre les centres moteur et sensoriel d’association est relayée et médiatisée par des formules de mouvement, alors il est possible d’envisager que certains patients puissent reconnaître des gestes qu’ils ne peuvent plus réaliser.

Ces deux prédictions furent testées auprès de vingt patients répartis en quatre groupes au moyen de deux critères, à savoir la présence ou l’absence d’apraxie évaluée avec une batterie de quinze mouvements sur commande verbale (douze pantomimes et trois gestes symboliques), et la localisation cérébrale des lésions. Pour ce second critère, comme tous les patients n’avaient pas passé une tomodensitométrie cérébrale, ils utilisèrent le type d’aphasie pour en déduire ou conforter le site lésionnel. Les patients furent ainsi classés en fluents/postérieurs ou non fluents/antérieurs. Ces quatre groupes furent ensuite interrogés sur une épreuve de discrimination de gestes. Chaque essai était composé de trois gestes présentés successivement et le patient devait indiquer le geste qu’il jugeait correct parmi les trois. Sur les trente-deux essais, seize comprenaient une série de trois gestes bien exécutés (e.g., utiliser une clef, marteler, utiliser une scie). Toutefois, un seul correspondait à l’action donnée oralement (“Lequel de ces gestes correspond à l’action d’utiliser une clef ?”). Dans les seize autres essais, la qualité du mouvement variait si bien que le geste correctement réalisé était exposé en compagnie du même geste maladroitement exécuté et du geste exécuté avec la main prenant la forme de l’objet.

Globalement, les données confirmèrent la seconde hypothèse à savoir celle de l’existence d’une dissociation entre discrimination et exécution gestuelle. Le groupe de patients apraxiques et fluents/postérieurs obtint la performance la plus faible en ce qui concerne la discrimination gestuelle, alors que la performance des patients apraxiques non fluents/antérieurs fut virtuellement identique à celle des patients non apraxiques fluents/postérieurs et non apraxiques non fluents/antérieurs.

Ces résultats appuyèrent l’existence des formules de mouvement, renommées “engrammes visuo-kinesthésiques”, et l’existence de deux formes d’apraxie idéomotrice17. Grâce à leurs données, les auteurs rapprochèrent également le GSM

et le Gyrus Angulaire (GA) à la formulation des engrammes et proposèrent un modèle en conséquence (voir Figure 5).

Dans une seconde étude, Rothi, Heilman, & Watson (1985) interrogèrent treize patients avec des lésions unilatérales gauches dans une épreuve de discrimination gestuelle, dans laquelle il était demandé d’apparier un geste donné avec le dessin d’un objet. Pour chaque geste, les patients avaient le choix parmi quatre dessins. Outre la reproduction des données obtenues dans le premier rapport, cette seconde étude permit d’écarter l’éventualité que la forme “postérieure” de l’apraxie idéomotrice est la conséquence d’une aphasie puisque le choix ne s’élaborait pas à partir d’un matériel verbal.

En somme, le modèle de Heilman et al. (1982) prolongea celui de Liepmann en conservant une idée à peu près similaire du concept de “formule de mouvement”. En dépit d’une similitude marquée, la taxinomie des troubles diverge. Pour Liepmann, la destruction des engrammes entrave tout projet du mouvement, ce qui conduit à une apraxie idéatoire s’exprimant dans sa forme la plus prononcée par des troubles d’utilisation. Pour Heilman et al. (1982), le rapport avec les troubles d’utilisation est volontairement écarté, et les formules de mouvement rattachées uniquement à l’apraxie idéomotrice n’intéressent apparemment que la réalisation de mouvements sans objet en main.

17 Il est intéressant de souligner que Geschwind (1965) rapporta également cette simple dissociation chez un patient qui pouvait reconnaître des mouvements exécutés par l’examinateur, bien qu’incapable de les produire lui-même. Ce profil rejoint celui des patients apraxiques non fluents/antérieurs de Heilman et al. (1982). Toutefois, et comme le patient pouvait également répondre “clou” à la a question “A quoi sert un marteau ?”, Geschwind utilisa ce cas pour appuyer la présence d’une dissociation entre le centre du

Figure 5. Schéma néo-associationniste de Heilman et al. (1982). LH, hémisphère gauche; RH, hémisphère droit, CC, corps calleux; VA, aire visuelle; VAA; aire visuelle associative; AG; gyrus angulaire; W, aire de Wernicke; SMG, gyrus supramarginalis; PM, aire prémotrice; M, aire motrice. (Adapté d’après Heilman et al., 1982)

CONCLUSION

Ces trois modélisations correspondent déjà à des modèles de traitement de l’information puisque le débat n’est plus tant porté sur le rapport strict entre la localisation de la lésion et l’altération d’un comportement. A l’inverse, les conditions d’apparition des troubles (modalités spécifiques, reconnaissance/ production) et la façon dont l’acte moteur s’élabore en rapport au but (rôle régulateur du langage) sont investies. Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, les grandes idées avancées par ces auteurs ont été pour beaucoup dans le développement des modèles cognitivistes actuels.

Chapitre III