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4.1. Introduction

La catégorie du mode verbal, dans toutes les langues la possédant, est considérée par définition

comme le moyen d’expression des significations modales et aucun linguiste serbe ne mettrait en

cause l’appartenance du potentiel à cette catégorie. Rappelons que nous avons déjà discuté la

relation modalité-potentiel et on a conclu que le potentiel est un moyen puissant de modalisation

dans le sens qu’il marque toujours la distance épistémique au sens large, mais il doit être étayé par un autre modalisateur épistémique pour marquer la modalité épistémique au sens restreint.

Cela vaut également pour la modalité évidentielle, ce que l’on explicitera infra. Ici, nous

poserons la question de savoir quelles sont les significations modales que le potentiel peut exprimer.

Selon les grammaires traditionnelles, le potentiel serbe se voit attribuer différentes significations

modales que l’on attache généralement à l’idée de possibilité dans le sens le plus large du terme

(Stevanović 1969, Piper et al. 2005). Plus précisément, cette signification est présente dans

toutes les autres significations modales. Ainsi, S. Tanasić souligne-t-il qu’il est souvent difficile

de déterminer le type de signification modale dans la phrase et pour l’inférer il faut consulter le

co(n)texte (Piper et al. 2005).

Malgré le problème concernant la détermination des sens modaux du potentiel, Tanasić (Piper et

al. 2005) suggère la classification suivante des significations modales du potentiel, fondée sur les

données de Stevanović (1969). Il est à noter que cette classification des valeurs modales du

potentiel serbe n’est pas construite sur des paramètres aussi précis que ceux du conditionnel

français :

a) la possibilité

b) le souhait

c) l’intention

d) la disposition à accomplir une action

e) la conviction qui préside à l’accomplissement d’une action

f) la supposition de l’accomplissement d’une action

g) la condition dont dépend l’accomplissement d’une autre action

M. Stevanović ajoute le sens modal de concession (h). Klajn (2005 : 114) et Belić (1999 : 456)

sens modaux à la signification optative, i.e. la valeur du souhait, considérée comme le sémantisme basique du potentiel.

Stanojčić et Popović (1994 : 388) distinguent aussi les significations de souhait et de possibilité, et prennent pour la fonction basique du potentiel (de laquelle découlent tous ses autres usages) «

l’attitude du locuteur envers une action, un état ou un événement non réalisées », cette attitude évaluant l’existence d’un des effets sémantiques évoqués supra (a-i).

Néanmoins, ces auteurs n’expliquent pas précisément comment cette notion d’’attitude’ est incarnée dans les différents usages du potentiel. Aussi, si on lie le potentiel uniquement à

l’expression des valeurs modales, du fait que l’attitude du locuteur entre dans la définition de la modalité, comment expliquer le fait que le potentiel peut se trouver aussi dans les emplois temporels ?

Notre objectif est justement de poser l’hypothèse monosémiste expliquant tous les usages du

potentiel, à première vue différents, et de proposer une nouvelle classification des emplois du potentiel, basée sur les critères bien déterminés.

La remarque de S. Tanasić, exposée supra, concernant le rôle du co(n)texte, sera prise en

considération dans notre traitement du potentel. Plus précisément, du fait que le rôle de la

pragmatique s’impose comme très important dans l’analyse du potentiel, nous allons nous

appuyer sur la thèse de Grice, disant que le sens des énoncés ne peut pas être réduit à leur contenu linguistique (la signification) mais doit être inféré, et notamment sur les paramètres pragmatiques : les informations contextuelles, encyclopédiques (nos connaissances du monde),

les inférences, dans l’interprétation des énoncés contenant le potentiel modal.

4.2. L’hypothèse de l’inactualité

C’est T. Ašićqui constate que le potentiel serbe n’exprime pas l’attitude du locuteur envers une

actiondans les phrases hypothétiques. Ce fait se réfère aux autres cas aussi, ce que Dodig (2014)

démontre. M. Dodig aborde dans son travail le sujet concernant les relations entre le subjonctif

français et le potentiel serbe en partant du fait que les deux représentent des modes verbaux et

des équivalents partiels, ce qui lui a permis d’expliquer pourquoi dans certains cas l’équivalent

sémantique de ce mode en serbe est le potentiel et dans d’autres cas le présent perfectif. Aussi,

en analysant les exemples, vérifie-t-elle le fait constaté par T. Ašić, i.e. que le potentiel ne

désigne pas, par lui-même, l’attitude du locuteur envers une action.

L’auteure constate que le potentiel peut exprimer de nombreuses significations modales, mais

elles doivent être inférées. Le potentiel s’appuie sur le co(n)texte et les différents outils

linguistiques pour marquer l’attitude du locuteur et ainsi l’hypothèse proposée par Stanojčić et

Popović (1994) dudit sens de base du potentiel se voit invalidée.

En appui sur le principe du Rasoir d’Ockham (Grice 1978), posant qu’il y a lieu de rechercher un

sémantisme minimum qui (i) serait assez général pour pouvoir englober toutes les significations

différentes d’un mot, (ii) serait assez précis pour pouvoir indiquer les significations parfois très

nuancées, nous ajoutons qu’il est possible de déterminer un sémantisme de base du potentiel liant

tous ses usages. À notre avis, le potentiel a toujours la même valeur dans tous ses emplois, et il peut figurer dans les différents types de propositions ayant différentes valeurs.

Il s’agit de la valeur de l’inactualité, que nous prenons pour la valeur unique ou le sens de base

du potentiel. Selon notre hypothèse de l’inactualité le potentiel ne peut pas référer à un fait actuel, un fait qui se passe au moment de la parole.

Pour vérifier notre hypothèse, nous allons reprendre la classification des valeurs modales

proposée par les grammariens traditionnels, et nous allons essayer de démontrer que ces valeurs

ne sont qu’inférées moyennant le co(n)texte, en nous appuyant sur les exemples tirés de notre

corpus (appartenant aux romans de M. Selimović, à savoir La Forteresse et Le Derviche et La

Mort) ou repris de celui de grammairiens mentionnés supra.

4.3. La classification traditionnelle des usages modaux du potentiel

4.3.1. La possibilité

Nous avons déjà éclairci l’importance de la signification modale de possibilité à laquelle le

potentiel pratiquement doit son nom. Cependant, nous posons que ce sens modal n’est qu’inféré.

En fait, le sens de possibilité est souvent explicité par la signification lexicale du verbe :

(6) I zbog prazne sujete, propustio bi ovakvu priliku! (M. Selimović, Tvrđava, p. 52)

laissé fut

(6’) Et par excès d’amour propre, tu aurais laissé passer une occasion pareille! (M. Selimović, La Forteresse, p. 70)

(7) A možda bi mene požalioposebno, možda bi me izdvojio iz tog opšteg jada, i prihvatio me

kao posljednji čovjek poslednjeg čovjeka. (M.Selimović, Derviš i smrt, p. 227)

fut plaint fut séparé accepté

(7’) Peut-être me plaindrait-il davantage, peut-être me séparerait-il de cette misère commune,

m’accueillerait-il comme le dernier homme accueillant le dernier homme, si je lui disais : ... (M.

Selimović, Le Derviche et La Mort, p. 356)

(8) Imaš jake zube, pojeo bicelu ovcu. (A. Isaković, Paprat i vatra)

mangé fut

(8’) Ayant les dents si fortes, tu mangerais un mouton entier. (korpus.matf.bg.ac.rs)

(9) Poslije te zapletene priče, koju nebih mogao dvaput ponovitijednako, a i sad sam je sigurno

krivo zapisao, sve mi je izgledalo još nevjerovatnije. (M. Selimović, Tvrđava)

fus pu répéter

(9’) Après cette explication embrouillée que je n’aurais pu répéter deux fois sans me tromper, et que

j’ai certainement reproduite ici de façon inexacte, la chose me parut encore plus invraisemblable.

(M. Selimović, La Forteresse)

On peut remarquer que dans les exemples indiqués supra figurent le verbe modal moći

(‘pouvoir’) et la particule možda (‘peut-être’) grâce auxquels on infère l’usage modal de

possibilité du potentiel. La présence de ce verbe modal est (implicitement ou explicitement) sous-entendue. Ce fait est plus évident si on reconstruit les exemples 6 et 8 où le verbe moći

n’est pas employé ci-dessus :

(6) I zbog prazne sujete, tibi mogao propustitiovakvu priliku!

fut pu laisser

(6’) Et par excès d’amour propre, tu aurais laissé passer une occasion pareille!

(8) Imaš jake zube, mogao bi da pojedeš celu ovcu.

pu fut que mange

Piper (2005 : 458) ajoute que l’information de la possibilité concrète donne le complément du

prédicat réalisé sous forme de l’infinitif (propustiti, ‘laisser’) ou de la construction da + présent

(da propustiš,’que tu laisses’). On peut remarquer ces constructions dans nos exemples.

Concluons que moyennant le sémantisme lexical des verbes, la paraphrase possible avec le verbe

pouvoirdont l’instruction inhérente est la possibilité, les constructions indiquant la possibilité, le co(n)texte en général, la valeur de la possibilité du potentiel peut être inférée.

Finalement, mentionnons que les équivalents français offrent plusieurs sens possibles dont on

parlera infra, ce qui témoigne également en faveur de notre hypothèse que le sens de possibilité

ne représente pas le sémantisme de base du potentiel.

4.3.2. Le souhait

Consultons les exemples suivants :

(10)Nasmijala se:

- Ne volim što ideš! Nikad ne volim kad ideš od mene.

- Možda bi voljela da ne idem ni na posao? fut aimé

- Naravno da bih voljela. fus aimé

Sad sam i ja počeo da se smijem. Sasvim je luda. - Ko živi tako?

- Ja bih željela da živim tako. (M.Selimović, Tvrđava, p. 54)

fus voulu que vis

(10’) Elle rit: - Ça ne me plaît pas que tu y ailles. Je n’aime pas que tu me laisses seule. – Tu préférerais

peut-être que je n’aille pas travailler? – Bien sûr que je préférerais. Ce fut mon tour de rire. Elle est

complètement folle. – Qui peut vivre comme ça? –Moi, j’aimerais vivre comme ça. (M. Selimović,

La Forteresse, p. 73)

(11)Najradije bih krenuo izvan kasabe, u ovaj tihi predvečernji čas, da me noć zateče sama, ali me

posao vodio na drugu stranu, među ljude. (M. Selimović, Tvrđava)

fus parti

(11’) J’eusse préféré que la nuit me surprît hors de la ville, la douceur de ce crépuscule inclinait à la

promenade, mais l'exercice de ma charge m'appelait parmi les hommes. (M. Selimović, La Forteresse)

Les cas (10) - (11) montrent que l’on ne peut pas établir clairement la catégorie de la

signification modale. Le sens de souhait du potentiel est également déterminé à l’aide du

contexte ou des unités syntaxiques (rado, radije, najradije) et moyennant le sémantisme lexical

des verbes au potentiel.

Stevanović (1969 : 710) propose un test de vérification : « Si l’intention du locuteur est

d’exprimer sans équivoque la signification dе souhait, les verbes voleti [‘aimer’], želeti

[‘vouloir’] ou hteti [‘vouloir’] apparaîtront au potentiel ». Les exemples mentionnés supra

peuvent être reformulés en employant ces verbes indiqués ci-dessus. Paraphrasons un des exemples :

(11’’) Najradije bih hteo da krenem izvan kasabe, u ovaj tihi predvečernji čas, da me noć zateče sama, ali

me posao vodio na drugu stranu, među ljude. (M. Selimović, Tvrđava)

fus voulu que pars voudrais partir

En s’appuyant sur cette paraphrase on peut comprendre facilement que le potentiel marque le

sens de souhait dans l’exemple supra.

Toutes ces données nous conduisent à supposer que le sens du souhait n’existe pas dans le

sémantisme du potentiel et il doit être inféré. Donc, le potentiel n’implique pas directement la possibilité d’interpréter l’action du prédicat comme souhait. Dans ce but, on doit utiliser les outils linguistiques et non-linguistiques additionnels. Comparons les cas suivants :

(a) Ja bih na njegovom mestu otputovao negde daleko.

fus voyagé

Je voyagerais à sa place quelque part loin. (→ Si j’étais lui, je voyagerais quelque part loin.)

(b) Tako bih otputovao negde daleko.

Tellement fus voyagé

Je voudrais tellement voyager quelque part loin.

Dans les deux exemples figure le potentiel et la même idée ‘voyager quelque part loin’, mais leur

sens est différent. C’est moyennant la structure et la modalité de la phrase et la particule tako

(‘tellement’) que l’on infère la signification modale de souhait dans l’exemple (b). S’agissant de l’exemple (a), on pourrait lui attribuer le sens hypothétique.

Stevanović (1969) mentionne aussi que dans le registre familier, la valeur modale du souhait

peut être marquée seulement par le verbe auxiliaire biti au passé simple sans le participe passé du

verbe conjugué. Reprenons ses exemples :

(4) Bih, ćerko, vode iz gore! (corpus M. Stevanović 1969 : 712)

fus, fille, eau de montagne.

(4’) Je voudrais de l’eau ma fille !

(5) I mi bismo teletinu (ibid.)

Et nous fûmes veau.

(5’) Nous mêmes voudrions du veau.

Nous avons nommé cette forme le potentiel abrégé que l’on a expliqué (cf. le point 2.2) en

termes de grammaticalisation et dans le cadre de la théorie de J. Pustejovsky.

Rappelons que le verbe biti en serbe peut être considéré comme un « vector verb » (Hopper et

Traugott 1993 : 109), qui fonctionne soit comme un « non full verb », i.e. un auxiliaire d’un autre

verbe, soit comme un « full verb » ayant le sens lexical complet et le statut grammatical. Dans

les cas supra, le verbe biti au potentiel abrégé figure comme un auxiliaire du verbe complet želeti

(‘vouloir’) qui est implicitement donné, ou sous-entendu, moyennant le co(n)texte. Alors, le sens modal de souhait est aussi co(n)textuellement inféré.

Selon la théorie de J. Pustejovsky, le statut du verbe biti au potentiel abrégé est le même, i.e. le

verbe biti fonctionne comme le verbe-auxiliaire qui sous-catégorise un SV (boire de l’eau)

comme son argument mais moyennant le mécanisme de coercion il change le type de son argument et accepte un SN (de l’eau) comme son argument.

Mentionnons aussi que le potentiel abrégé peut marquer d’autres sens modaux, ce que l’on

démontrera infra.

Belić (1999: 457) est le seul à mentionner le doute comme sens modal du potentiel. Regardons les exemples tirés de notre corpus :

(12)Bi li radio ? (corpus Belić 1999 : 457)

fus travaillé

(12’) Travaillerais-tu?

(13)Bi li ostao kod nas, u selu ? (ibid.)

fus resté

(13’) Resterais-tu chez nous, dans le village ?

Selon l’opinion d’A. Belić, le potentiel produit le sens de doute dans les exemples supra, mais il dérive ce sens de la signification modale du souhait dont la réalisation est mise en question.

L’auteur réduit le sens du doute à la signification optative (c’est pourquoi nous avons décidé de

présenter son analyse dans le cadre de la valeur du souhait). Rappelons que l’auteur fait

l’hypothèse que la signification optative représente le sens de base du potentiel. Nous avons déjà

expliqué notre attitude envers le sens modal du souhait du potentiel, c’est-à-dire, ce sens doit être inféré. Cela vaut également pour le sens de doute.

Remarquons la présence de la particule li en inversion avec le potentiel et la modalité phrastique

de l’interrogation totale dans les exemples supra. On pourrait dire que l’auteur réserve l’interprétation du sens de doute pour ce type de co(n)texte ; il infère le sens de doute en

s’appuyant sur le rôle de l’interrogation qui met en débat l’énoncé affirmatif (ce que l’auteur n’explicite pas). Du fait que l’auteur dérive le doute du sens de souhait, il s’agit de l’énoncé

affirmatif suivant : Tu veux travailler / Tu veux rester chez nous.

Cependant, nous tenons à souligner que les exemples supra peuvent proposer plusieurs sens

possibles : - de possibilité :

Bi li mogao da radiš / da ostaneš kod nas ?

Tu pourrais travailler / rester chez nous ?

- d’hypothèse :

Bi li radio / ostao kod nas kada bismo ti platili ? Tu travaillerais / resterais chez nous si nous te payons ?

Sans le co(n)texte plus large, on ne peut pas déterminer précisément de quel type de sens modal

il s’agit. Cela implique que notre hypothèse se voit confirmée – le sens de doute du potentiel

n’est qu’inférémoyennant le co(n)texte et aussi que le potentiel ne dépend pas de l’interrogation.

Nous allons accorder une attention particulière au rôle de l’interrogation dans le cas du potentiel

(qui est pertinente dans le cas du conditionnel français).

4.3.3. L’intention

Les grammairiens serbes associent l’emploi du potentiel exprimant l’intention aux phrases finales, ce que l’on peut voir dans les exemples suivants :

(14) - A znaš li ti šta ljudi čine da bi tamo došli? - Ne znam, i ne tiče me se. Ja ne bih učinio ništa. (M.

que fus là venu

(14’) - Sais-tu ce que les gens font pour aller à cette soirée? –Je ne sais pas et ça ne m’intéresse pas. Moi,

je ne ferais rien du tout. (M. Selimović, La Forteresse, p. 69)

(15)Zatvorio sam oči, pokušavajući da se potpuno opustim, da bi se i ona uspavala mojim mirom. (M.

Selimović, Tvrđava, p. 69)

que fut et elle endormie par mon calme

(15’) Je fermai les yeux et tâchai de me détendre tout à fait afin que mon calme l’endormît. (M. Selimović,

La Forteresse, p. 100)

(16)U deliću sekunde odlučio je da joj persira, ne bi li izbegao nesporazume. (D. Nedeljković,Ponedeljak) que non fut évité

(16’) En une fraction de seconde il a décidé de la vouvoyer, afin d’éviter les malentendus.

(www.korpus.matf.bg.ac.rs)

Dans le cadre de la production du sens en question, le potentiel est obligatoirement introduit par

la conjonction - le plus souvent par da (‘que’).

Soulignons qu’en exprimant l’intention, l’action est présentée comme non-réalisée. Ce fait

justifie l’emploi du potentiel et en même temps témoigne en faveur de notre hypothèse de

l’inactualité comme sémantisme de base du potentiel.

Il faut mentionner qu’en serbe le présent peut aussi exprimer la valeur modale de l’intention.

Ainsi, le potentiel figurant dans les exemples cités ci-dessus peut être remplacé par le présent sans changement de sens significatif. La différence existe, bien évidemment, en ce sens que le

potentiel dans les propositions finales représente la forme marquée, utilisée aux fins

emphatiques, par rapport au présent en finales qui est une forme non-marquée(Ivić 1970 : 90).

Qu’est-ce que cela signifie ? Le potentiel représente, en fait, à la différence du présent, la forme emphatique :

a) il accentue le fait que l’objectif est consciemment choisi :

Otišao je u rat da bi poginuo.

que fut mort

Il est allé à la guerre pour se faire tuer.

Par contre, en employant le présent, l’emphase est absente. Nous recevons seulement

l’information que la mort a été le résultat du départ à la guerre, mais ce n’était pas planifié :

Otišao je u rat da pogine.

que meurt Il est allé à la guerre pour mourir.

b) il souligne le fait que l’action est non-réalisée et ne sera pas réalisée sauf si l’action en principale ne se réalise précédemment. Ainsi nous avons l’exemple emphatique avec le potentiel :

Ustani da bismo te videli.

que fûmes te vu

Lève-toi pour que nous te voyions.

Ustani da te vidimo. que te voyons Lève-toi que nous te voyions.

En somme, le potentiel et le présent en finales sont glosables dans les cas exposés supra, ce qui

entraîne certaines différences que nous avons déjà évoquées, mais il faut mentionner le cas où le potentiel en finales ne peut jamais être remplacé par le présent.

C’est Piper (2005 : 459) qui souligne un type de prédicat au potentiel irréalisable au présent. Il

s’agit du cas de la négation de l’intention exprimée par le verbe au potentiel et à la forme

négative suivie par la particule li (exemple 16 supra). Dans ces conditions l’apparition du présent

est exclue.

Mrazović (2009 : 613) nomme différemment ce potentiel – le potentiel négatif + la particule li et

souligne que même s’il s’agit de la négation, la signification de la phrase entière n’est pas

négative :

Kupila sam joj knjigu ne bih li je usrećila. = da bih je usrećila

que non fus la rendu heureuse = que fus la rendu heureuse

Je lui ai acheté le livre pour la rendre heureuse.

La constatation de P. Mrazović est confirmée aussi par les équivalents français (l’exemple 16’).

Soulignons aussi que ce potentiel négatif en combinaison avec la particule li figurant dans les

phrases finales exprime la faible probabilité et l’incertitude de la réalisation de l’intention. On pourrait dire que la langue serbe possède la conjonction spécifique impliquant la possibilité

faible de l’accomplissement de l’intention. La construction da + potentiel, typique pour les finales serbes, peut fonctionner comme l’équivalent du potentiel négatif + particule li, mais la

conjonction da (‘que’) marque unefaible probabilité de la réalisation de l’intention. Le potentiel

seul indique seulement que l’intention n’est pas réalisée.

À ce stade, nous devons mentionner que dans le plus grand nombre de cas, toutes les significations modales du potentiel serbe peuvent être exprimées par le conditionnel français sauf