Comme nous avons déjà annoncé, le potentiel d’habitude revêt une valeur temporelle, si l’on en
croit les grammaires, mais à la différence du conditionnel français, il ne sert pas à l’expression de
l’ultériorité du passé, i.e.il n’a pas la valeur du futur dans le passé, du fait que la langue serbe ne
marque pas la distance par rapport au moment de la parole1. Le potentiel d’habitude est utilisé,
comme cela a déjà été expliqué dans la littérature (Stevanović 1969 : 691 ; Ivić 2008 : 60 ; Piper
et al. 2005 : 461 ; Klajn et Piper : 2013 : 407 ; etc.) pour exprimer le caractère habituel d’un
procès, i.e. pour marquer la répétition régulière d’une action dans le passé :
(1) Ponekad bih otišaoda vidim pocrnjele zidove i mrtve oči mrtvog zdanja, u kojem nikako nisam mogao
da zamislim bivše stanovnike: kao da je bilo pusto odvajkada. (M. Selimović, Tvrđava, p. 27) fus parti
1 Le serbe ne connaît pas le phénomène de la concordance des temps, ce qui signifie qu’à la différence du français,
le serbe ne marque pas la distance par rapport à S, i.e. il ne tient pas compte de question de savoir si une éventualité
est considérée par rapport au moment de la parole ou à un autre moment situé sur l’axe du temps, qui précède le
(1’) J’allais quelquefois contempler les murs noircis et les yeux éteins de la maison morte, qui semblait avoir toujours été vide: je ne parvenais pas à imaginer ses habitants, je ne me voyais plus moi-même
dans cette maison. (M. Selimović, La Forteresse, p. 25)
(2) Kad bih našao vremena, išao bih do Darive ili Kozje ćuprije i, sjedeći na obali, slušao kako voda
teče. (M. Selimović, Tvrđava, p. 34)
fus trouvé allé fus écouté
(2’) Quand j’en trouvais le temps, j’allais au bord de la Dariva, ou je poussais jusqu’au pont des Chèvres et, assis sur la rive, j’écoutais couler l’eau. (M. Selimović, La Forteresse, p. 36)
(3) Dok je sjedio, iznenađivao je svakoga ljepotom i snagom, muškim licem, srdačnošću osmijeha, širokim ramenima, jakim rukama, stasom kao u pehlivana. Ali čim bi ustao, sva bi se ta ljepota
porušila, a prema kolicima se batrgao bogalj koga je bilo nemoguće gledati bez žaljenja. (M.
Selimović, Derviš i smrt, p. 203) fut levé se fut anéanti
(3’) Tant qu’il était assis, il surprenait par sa beauté et sa force, son visage viril, la cordialité de son sourire,
ses épaules larges, ses bras puissants, sa taille élancée. Mais dès qu’il se levait, toute cette beauté était
anéantie ; ce n’était plus qu’un infirme qui se traînait péniblement jusqu’à sa petite voiture, et que
personne ne pouvait regarder sans s’apitoyer. (M. Selimović, Le Derviche et La Mort, p. 339)
Notons que l’imparfait représente l’équivalent français du potentiel serbe habituel marquant le
caractère habituel d’un procès dans le passé.
Selon Stevanović (1969 : 692) le potentiel, en tant que forme verbale exprimant la valeur
temporelle mentionnée supra, possède un caractère relatif, qualificatif, ce qui signifie qu’il
n’effectue plus sa fonction de mode verbal: il ne se réfère pas au futur, n’exprime pas l’attitude du locuteur ni l’action non réalisée, mais celle qui est accomplie et qui se réalisait dans le passé selon un ordre établi et par habitude. Chaque nuance modale est exclue dans la fonction temporelle du potentiel. Ce fait est aussi bien constaté dans le cas de la valeur modale de possibilité considérée comme la signification primordiale et toujours présente du potentiel à laquelle il doit son nom. Rappelons que, prenant en considération la classification traditionnelle
des emplois du potentiel, soit que l’on veuille ou on ait l’intention, la disposition, la conviction à
accomplir une action, soit que les actions marquent la condition ou la concession – la possibilité
de leur réalisation est omniprésente.
Stevanović (1969 : 692) souligne que la réponse à la question de savoir comment cet emploi
temporel du potentiel serbe a été établi n’a pas encore été donnée.
Ašić et Stanojević (2006) le constatent aussi en expliquant que le potentiel d’habitude représente
une des particularités du système des temps verbaux dans la langue serbe (qui est en général un
système simple). Sa particularité consiste en trois points qu’Ašić (2007) élabore dans son travail en posant les questions pertinentes concernant :
1) l’emploi du potentiel d’habitude,
2) l’expression de la répétition dans le passé,
3) la production des effets stylistiques par le potentiel d’habitude.
1) Est-ce que le besoin d’utiliser le potentiel d’habitude, vu son sens fondamental, est justifié ?
C’est Ivić (2008 : 61) qui détermine la place systématique du potentiel parmi les formes verbales
temporelles servant à l’expression des actions non référentielles2. En effet, ce type d’action est illustré par les formes verbales informant de l’actualité de la répétition des actions dans le présent, le passé ou le futur. M. Ivić mentionne que la répétition des actions dans les trois
époques de la durée est fondée sur l’opposition suivante : « irrégulier – régulier »3. Néanmoins, il
est à noter que l’espace entre ces deux points finaux est aussi rempli d’informations des
différents degrés de cette échelle. Le plus simple moyen de différencier précisément toutes ces
informations, c’est l’emploi de l’adverbe avec le verbe. Ensuite, certaines langues slaves
possèdent des outils gramaticaux (morphologiques ou syntaxiques) spécialisés pour signaler les
différences sur ce plan sémantique : l’aspect morphologique des verbes qui peut être perfectif et
imperfectif ou les formes verbales mises en opposition. Ainsi, en serbe, pour marquer la
répétition régulière d’une action dans le passé, on utilise soit le passé composé des verbes
imperfectifs soit le potentiel. L’emploi de ces deux formes verbales est fondé sur l’opposition : « l’information strictement factuelle de la répétition de l’action - la représentation émotionnelle
de l’action (l’évocation des souvenirs) » (Ivić 2008 : 60) où le passé composé figure dans le
premier cas et le potentiel dans le deuxième. M. Ivić souligne que la représentation factuelle de la répétition dans le passé n’exclut pas l’actualité de cette répétition dans le présent (4), alors que
l’évocation émotionnelle des souvenirs la supprime nécessairement (5) :
(4) Novine je kupovao svakog dana u podne, što uostalom i dan danas čini. (M. Popović, Sudbine)
(4’) Il achetait le journal chaque jour à midi, ce qu’il fait même aujourd’hui. (www.korpus.matf.bg.ac.rs)
(5) Novine bi kupovao svakog dana u podne, ≠ što uostalom i dan danas čini.
(5’) Il achetait le journal chaque jour à midi, ≠ ce qu’il fait même aujourd’hui.
Piper (2005 : 461) ajoute que, concernant l’expression des actions non référentielles passées4, le
potentiel est la forme la plus appropriée à marquer les actions accomplies. Plus précisément, dans
le cas où le prédicat est formé du verbe perfectif, le potentiel représente l’unique forme à
marquer la répétition d’une action dans le passé. S’il s’agit du verbe imperfectif, le potentiel partage cette fonction avec le passé composé en produisant l’effet stylistique déjà mentionné – l’évocation des souvenirs (voir les exemples infra). Évidemment, le potentiel des verbes imperfectifs ne marque pas obligatoirement la répétition dans le passé avec cet élément
sémantique –la représentation émotionnelle de ce passé. Il s’agit de sa capacité à styliser l’action
répétée dans le passé.
passé composé perfectif :
* U to vreme, često smo otputovali. (otputovati ‘avoir voyagé’)
À cette époque, nous avons souvent voyagé.
2 Une action est qualifiée de référentielle par le verbe seulement dans le cas où elle est présentée comme une réalité,
actuelle dans le présent, le passé ou le futur (Ivić 2008 : 54).
3 Elle est marquée par l’opposition grammaticale : présent perfectif – présent imperfectif :
On nas ponekad obiđe.– On nas redovno obilazi.
Il nous rend visite parfois. – Il nous rend visite régulièrement.
Soulignons que l’adverbe (parfois, régulièrement) tient le rôle principal dans la signalisation de cette opposition
tandis que l’aspect du verbe représente le signal secondaire.
potentiel perfectif :
U to vreme, često bismo otputovali.
À cette époque, nous voyagions souvent. passé composé imperfectif :
U to vreme, često smo putovali. (putovati ‘voyager’)
À cette époque, nous avons souvent voyagé. potentiel imperfectif :
U to vreme, često bismo putovali.
À cette époque, nous voyagions souvent.
On peut conclure que le potentiel d’habitude, en tant que forme verbale marquant la répétition
dans le passé et produisant ces effets stylistiques, justifie son emploi et sa place dans le système des temps verbaux dans la langue serbe.
Ašić (2007) ajoute une raison supplémentaire justifiant l’usage du potentiel d’habitude dans le
système verbal serbe. Il s’agit de son emploi dans le cadre des propositions temporelles signifiant
la relation de progression temporelle entre un événement e1 et un événement e2 (e1 < e2) et en même temps exprimant la valeur itérative dans le passé :
(3’’) Ali čim bi ustao (e1), sva bi se ta ljepota porušila (e2).
fut levé se fut anéanti
Mais dès qu’il se levait, toute cette beauté était anéantie.
Comme nous avons vu supra, le passé composé est le pendant du potentiel concernant
l’expression de la répétition d’une action dans le passé. La question qui se pose ici est de savoir si ce temps représente aussi le pendant du potentiel en ce qui concerne la progression temporelle.
Il est à noter qu’à la différence du passé composé des verbes perfectifs (a), le passé composé des verbes imperfectifs ne peut pas désigner la progression temporelle en raison de la nature aspectuelle des verbes en question (b, c) :
a) Popio je (e1) gutljaj rakije, razvalio (e2) vrata i pobegao (e3) u šumu.
bu a brisé couru
Il but une gorgée d’eau-de-vie, brisa la porte et courut dans la forêt.
b) U napadima straha, pio je gutljaj rakije, razvaljivao vrata i bežaou šumu.
bu a brisé couru
Dans les moments d’angoisse, il buvaitune gorgée d’eau-de-vie, brisait la porte et courait dans la
forêt.
c) Nedeljom pre podne gledala je televiziju, jela bombone i telefonirala drugaricama.
regardé a mangé téléphoné
Le dimanche matin, elle regardait la télé, mangeait des bonbons et téléphonait à ses amies.
Dans le cas de (a), l’instruction aspectuelle des verbes perfectifs popiti (‘avoir bu’), razvaliti (‘avoir brisé’), pobeći (‘avoir couru’) donne à voir les procès accomplis. Moyennant cette instruction et celle de la pragmatique (nos connaissances du monde), on peut inférer la relation
de succession entre les événements e1, e2 et e3. Rappelons que le rôle de la pragmatique est
également important dans l’interprétation discursive, aspectuelle et temporelle des propositions.
Dans les cas de (b) et de (c), l’aspect morphologique des verbes imperfectifs piti (‘boire’),
razvaliti (‘ouvrir’), bežati (‘courir’), gledati (‘regarder’), jesti (‘manger’) et telefonirati (‘téléphoner’), présente les procès, marqués par ces verbes, dans son cours, ce qui n’implique pas
précisément le type de relation temporelle entre eux.
Cependant, dans l’exemple (b), la succession des événements e1 < e2 < e3 peut être
pragmatiquement inférée moyennant le co(n)texte et le sémantisme des verbes en question, mais
cela n’est pas le cas dans l’exemple (c) où l’ordre temporel des événements n’est pas strictement
défini, signifiant que l’on peut inférer les trois relations temporelles entre eux.
Consultons maintenant les exemples où figure le passé composé dans les propositions temporelles en question :
(6) Ali čim je ustao (e1), sva ta ljepota se porušila (e2).
est levé a été anéantie
(6’) Mais dès qu’il se leva5, toute cette beauté futanéantie. (7) ?Ali čim je ustajao (e1), sva ta ljepota se rušila (e2).
est levé a été anéantie
(7’) Mais dès qu’il se levait, toute cette beauté étaitanéantie.
Dans le cas de (6) les prédicats au passé composé des verbes perfectifs je ustao (‘leva’), se
porušila (‘fut anéantie’) expriment la progression temporelle : l’action (e1) de la subordonnée introduite par la conjonction dès que se déroule avant celle de la principale (e2), ce que l’on infère par l’instruction de la conjonction en question (antériorité immédiate de l’action de la
subordonnée) et de l’aspect perfectif. L’exemple 7 est inacceptable parce que le passé composé
des verbes imperfectifs je ustajao (‘se levait’), se rušila (‘était anéantie’) ne marque pas la
progression temporelle, du fait l’instruction aspectuelle des verbes imperfectifs (cf. supra) est en
conflit avec la signification de la conjonction temporelle dès que introduisant e1 comme antérieur
à e2.
S’agissant de l’expression de la répétition dans le passé, il est à noter que le passé composé des
deux types de verbes ne peut pas la marquer dans les propositions temporelles en question. Constatons que, dans les propositions temporelles signifiant la progression temporelle (e1 < e2) et la répétition du passé, le passé composé des verbes perfectifs peut marquer la progression
temporelle alors qu’elle est exclue (ou doit être pragmatiquement inférée) au passé composé des
verbes imperfectifs, mais ce dernier temps verbal ne peut pas exprimer l’itération dans le passé.
Il se produit, donc, le besoin d’une forme verbale exprimant la progression temporelle et la
répétition dans le passé et revêtant un caractère perfectif. Ašić (2007) voit la solution dans le potentiel :
5 Dans la langue française la catégorie de l’aspect est encodée par les temps verbaux-mêmes, tandis que dans la
langue serbe celle-ci est exprimée morphologiquement (moyennant l’opposition des verbes perfectifs – imperfectifs:
čitati –pročitati, kupiti – kupovati). Ainsi, utilisons-nous l’opposition entre le passé simple et l’imparfait pour
(8) Ali čim bi ustao (e1), sva bi se ta ljepota porušila (e2).
fut levé se fut annéantie
(8’) Mais dès qu’il se levait, toute cette beauté était anéantie.
L’exemple (8) vérifie que le potentiel est beaucoup plus adapté que le passé composé pour
marquer la répétition d’une action accomplie dans le passé et la progression temporelle entre e1
et e2. Il est formé à l’aide des verbes perfectifs dans le cas d’espèce, mais il est possible aussi
d’employer les verbes imperfectifs.
Pour mieux illustrer la signification du potentiel en français, différente de celles marquées par le
passé composé, nous allons employer la conjonction chaque fois que au lieu de dès que :
(8’’) Mais chaque fois qu’il se levait, toute cette beauté était anéantie.
Il s’agit aussi de la conjonction de temps, signifiant le rapport temporel de simultanéité entre les actions de la principale et de la subordonnée, mais aussi la répétition et le caractère habituel
d’une action.
Néanmoins, dans le cas d’espèce, on n’infère pas la vraie simultanéité, mais la progression
temporelle, parce que cet homme se lève d’abord et puis on voit son apparence physique. La
conjonction chaque fois que est donc l’équivalent correct.
Résumons brièvement – l’existence de la forme du potentiel d’habitude est justifiée en serbe
pour les raisons suivantes :
- expression de la répétition dans le passé des actions non référentielles - production des effets stylistiques
- marque de la progression temporelle (e1 < e2) - représentation des actions réalisées et accomplies
Le dernier point ne parle pas en faveur de notre hypothèse monosémiste du potentiel représentant
une forme, qui dans tous ses emplois marque des actions inactuelles, i.e. non réalisées. Est-ce
que cela signifie que notre hypothèse est invalidée ? Nous pensons que non, et c’est ce que nous
allons tenter de démontrer infra.
2) Comment le potentiel d’habitude représente-t-il l’itération d’une action ?
La condition pour l’interprétation habituelle d’une action représente la répartition homogène du
sous-intervalledans l’intervalle principal, ce qui signifie que l’habitualité est en vigueur à chaque
moment de l’intervalle.
V. Stanojević et T. Ašić notent que le potentiel ne peut pas exprimer la répétition irrégulière
spécifiée ni la répétition dans l’intervalle qui n’est pas nécessairement terminé avant le moment
de la parole :
(9) Tog letа tri putа me je/*bi me odveo nа brdo.
(9’) Cet été il m’a emmené / *m’emmenait trois fois sur la colline.
(10)Do sаdа *bi / je dolаziou šest i petnаestpo mene nа fаkultet.
Dans ces exemples les adverbes et les locutions adverbiales (trois fois, plusieurs fois, etc.)
marquant la répétition spécifiée excluent l’emploi du potentiel, mais on peut utiliser le passé
composé.
Remarquons qu’en langue française, l’équivalent sémantique du potentiel serbe est l’imparfait (n’exprimant lui non plus la répétition irregulière spécifiée). Sa présence est aussi exclue dans les
cas cités supra tandis que le passé composé français peut être employé après les adverbes déjà
mentionnés. L’imparfait se combine avec les adverbes et les locutions adverbiales impliquant
l’intervalle constitué de sous-intervalles homogènes, de type souvent, régulièrement, le lundi,
etc. :
L’année dernière Paul allait au cinèma régulièrement.
En ce qui concerne la représentation de l’itération d’une action dans le passé par le potentiel et
par le passé composé, V. Stanojević et T. Ašić soulignent aussi une différence.
Comparons les exemples suivants :
(11) Marija je uveče pila čokoladno mleko.
(11’) Marie a bu du lait au chocolat le soir.
(12)Uveče bi Marija popila šolju hladnog čokoladnog mleka.
(12’) Le soir Marie buvait un verre de lait au chocolat froid.
En effet, le passé composé (11) décrit l’habitude du sujet, i.e. sa caractéristique permanente
durant une période déterminée tandis que le potentiel (12) met l’accent sur chaque réalisation
particulière de cette qualité. Il n’exprime pas, donc, l’habitude du sujet, ni ses traits. Le cas
suivant le vérifie, où on doit employer le passé composé :
(13) Marija je kao osnovac odlično igrala košarku.
(13’) Élève, Marie a joué très bien au basket-ball.
(14)*Marija bi kao osnovac odlično igrala košarku.
(14’) Élève, Marie jouait très bien au basket-ball.
Les exemples indiqués supra, représentent une situation différente dans la langue française.
D’une part, à la différence du potentiel d’habitude, l’imparfait peut désigner l’habitude ou les
qualités d’un sujet (14’). À chaque moment de l’intervalle, déterminé par l’expression adverbiale
temporelle (à l’école primaire), l’habitude du sujet est en vigueur.
3) Comment en employant le potentiel d’habitude produit-on les effets stylistiques,
décrits dans la littérature ?
Constatons que par le potentiel, on entre à l’intérieur des événements et ainsi le spectateur / le
lecteur et l’acteur les éprouvent ensemble. T. Ašić souligne que la manière par laquelle le
potentiel représente la répétition d’une action dans le passé (mettre l’accent sur chaque réalisation particulière d’un événement) est liée à sa possibilité de produire des effets stylistiques
: la nostalgie, l’évocation des souvenirs. La nostalgie est aussi, d’une part, la conséquence du fait que l’intervalle marqué par le potentiel d’habitude est strictement détaché du moment de la
parole. En effet, si les événements n’existent plus dans le présent, c’est-à-dire, si on se souvient de quelque chose qui est irréversiblement disparu, on exprime alors la nostalgie.
Rappelons que le passé composé donne simplement « l’information strictement factuelle de la répétition de l’action » (Ivić 2008 : 64). Dans l’exemple suivant, la différence entre les manières
par lesquelles le potentiel d’habitude et le passé composé représentent l’itération d’une action,
est évidente :
(15)Pred džamiju je dolazio i Salih Golub, siromašni šerbedžija s Vratnika. Skinuo bi s ramena tešku posudu sa šerbetom, i sjeo na kamen, teško dišući. Kad bi se odmorio, počeo bida pjevuši, poluglasno, za sebe, naslonjen na zid, zatvorenih očiju.
(15’) Devant la mosquée venait aussi Salih Goloub, le pauvre marchand de sorbets de Vratnik. Il déposait
son lourd bidon et s’asseyait, tout haletant, sur une pierre. Une fois reposé, il se mettait à chantonner à mi-voix, pour lui-même, adossé au mur, les yeux clos.
Par le prédicat au passé composé (je dolazio) le narrateur informe et introduit le lecteur dans l'événement tandis que par le potentiel il vivifie les événements, il crée une image de cet homme Golub devant les yeux du lecteur.
La production des effets stylistiques et narratifs du potentiel en question, fait référence à la
théorie de Genette (1972). Dans les termes utilisés par cet auteur, on pourrait dire que l’emploi
du potentiel d’habitude peut être considéré comme un type de focalisation interne.
En effet, la narration peut être non-focalisée, i.e. neutre sans les effets stylistiques, ou focalisée,
marquée par les outils linguistiques (l’emploi spécifique des temps verbaux, la présence des
certains mots déictiques, etc.). En ce qui concerne la focalisation externe, les événements sont
présentés comme vus par l’objectif de la caméra, ils se suivent dans la série comme des images et
personne ne les éprouve. Par contre, dans le cas de la focalisation interne, les événements passent
nécessairement à travers le filtre de la conscience –soit de celle d’un personnage du récit, soit de
celle du narrateur en tant que participant ou témoin engagé émotionnellement dans l’événement.
Selon la Théorie de la pertinence (Sperber et Wilson 1986) les énoncés focalisés sont employés