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Quittons un moment la réflexion épistémologique pour nous rapprocher plus du terrain de l'enquête. C'est le moment d'aborder l'espace universi­

taire, les sciences de l'éducation et l'histoire de la Section. Cette contextua­

lisation correspond à la deuxième étape de la recherche. Après la construc­

tion des concepts qui s'enchevêtrent pour tisser le cadre théorique, vient le moment de la relativisation. A ce stade on peut inscrire les concepts dans un espace social défini par des institutions et des acteurs. La collaboration disciplinaire ne se pratique pas in abstracto et une réflexion sur les dimensions épistémologiques ne suffit pas pour cerner l'ensemble des enjeux. La relativisation nuance un peu les concepts et permet de se préserver d'une glorification des activités scientifiques, où les sciences seraient présentées détachées des milieux qu'elles nourrissent et qui les entretiem1ent: c'est la question des conditions sociales et institutimmelles de production des connaissances. De plus nous empruntons une voie qui s'apparente à la sociologie des sciences qui, selon Barreau (1990), est une dimension importante du concept complexe d'épistémologie.

L'espace universitaire

Il existe plusieurs lectures possibles de l'espace universitaire. En premier on peut se référer à l'histoire de l'institution universitaire comme le fait J.

Verger (1 98 1 ). Celle-ci prend forme au Moyen-,âge en Europe et a pour

fonction l'enseignement des arts libéraux et de la théologie. Très vite elle se détache des autorités locales et obtient son autonomie de la papauté dont elle devient un interlocuteur privilégié et direct. Ces privilèges et ces libertés lui accordent un statut particulier et enviable dans la société. De la Renaissance au XVIIIe l'institution universitaire végète; l'enseignement se sclérose et l'université s'adapte mal aux transfom1ations sociales. Cepen­

dant elle reste garante de la reproduction sociale et assure la fonnation en théologie, en droit et en médecine.

A partir du XIXe, avec l'industrialisation, l'université se réfonne radicale­

ment. Verger obser,e qu'elle s'organise autour de deux fonctions, le développement de l'enseignement supérieur et la recherche scientifique. Les universités européennes se diversifient selon les contextes culturels. Par exemple, en France c'est la séparation avec l'Eglise qui marque l'institu­

tion; cette dernière cherche à créer une unité administrative d'enseigne­

ment. En Allemagne l'université évolue au coeur du romantisme et du nationalisme et elle valorise la fonnation théorique au détriment de la fonnation professionnelle. Au comraire, en Angleterre, l'université dispense une formation scientifique et technologique pour répondre aux besoins de

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Marcacci (1988) nous rappelle que l'Université de Genève a pour ancêtre l'Académie de Calvin fondée en 1559. Celle-ci répond aux nécessités de la Réforme et au besoin d'enseigner la nouv.elle théologie. L'établissement garde son nom jusqu'au XIXe. L'école de théologie avec sa dogmatique calviniste atlire les étrangers et contribue au renom de Genève. L'Académie ne prend pas le statut d'université qui seul peut être octroyé par la papauté.

Au cours du XVIIe et du XVIIIe l'innovation intellectuelle et la recherche

scientifique échappent à l'Académie et la communauté scientifique gene­

voise se développe en marge. Avec l'avènement du radicalisme et de la Confédération Helvétique, le Grand Conseil vote en 1872 le statut d'Université. La réforme, dirigée par Carl Vogt, donne deux fonctions à cette nouvelle université, l'enseignement et la recherche. Cette option s'inspire des hautes écoles allernandes et respecte la tradition européenne des universités du XIXe.

A travers ce bref survol on peut comprendre comment les fonctions de l'université se sont modifiées au cours du temps. Au départ elles se centraient exclusivement sur l'enseignement et, dès le XIXe, intègrent la recherche scientifique. Qu'en est-il aujourd'hui du rôle et des finalités de l'université?

Le CERI (1982) (Centre pour la Recherche et ] 'Innovation dans l'enseigne­

ment), à travers une enquête auprès des universités des pays membres de l'OCDE, identifie trois fonctions: l'enseignement, la recherche et les services. Si les fonctions d'enseignement et de recherche sont connues, reste à définir la notion de service. Le CERI retient deux acceptions possibles: "Dans un premier sens, elle recouvre l'ensemble des activités de l'université et traduit simplement le fait qu'à la limite toute activité de recherche ou de formation est un service à l'égard de la collectivité". (p.

3) Cette orientation évoque les implications des autres fonctions de l'université. "La deuxième grande acception de la notion de service insiste au contraire sur l'autonomie de celle fonction." (p. 39) Dès lors le service a une fonction bien distincte des deux autres, parallèle, différente sur le plan structurel et dans ses finalités. Le développement du secteur <les services conduit à une redéfinition de la mission de l'université, mais elle

n'est pas sans poser la question du nouveau statut de l'objectivité, de la neutralité et du non-engagement traditionnellement attribués à l'université.

Il devient alors nécessaire de réfléchir sur la notion de besoin, sur le fonctionnement de l'université et sur le rayon d'action des services et de la complexité du réseau des échanges en refondant les relations que l'université entretient avec la collectivité.

Il n'y a pas que les fonctions qui permettent de définir l'institution universitaire. L'approche de Bourdieu (1984), qui considère l'université comme un champ, offre une autre lecture des interactions. Le champ universitaire est un espace à plusieurs dimensions construit autour du pouvoir. Lieu des luttes des classements, il s'agit de conserver ou de transformer les rapports de force, où les stratégies utilisées dépendent des positions de chacun.

Cette analyse montre que la compréhension de la structure du champ universitaire passe par l'identification des différentes positions, par l'étude du rendement des divers types de capital qui contribuent au capital universitaire et au capital de notoriété scientifique, par l'étude des jeux et des enjeux du pouvoir. Les différentes pïatiques, pïises entre le pôle mondain et le pôle scientifique, s'organisent en stratégies et les jeux du pouvoir donnent un sens aux activités. L'université n'est pas seulement des fonctions, l'enseignement, la recherche et les services, c'est aussi des individus (des agents) en interaction et dont les échanges évoluent autour d'un objectif, occuper une position favorable au sein du champ universitai­

re.

Cette approche de Bourdieu, qui construit le champ universitaire en un espace à plusieurs dimensions évoluant autour du pouvoir et des positions des individus, permet un autre éclairage de la notion de loyauté discipli­

naire évoquée par Karpinski (1972). En effet, la loyauté disciplinaire est de l'ordre de la co-construction. Les positions individuelles, les rapports aux objets de connaissance inscrit� dans une discipline spécifique, se jouent dans l'espace complexe des relations universitaires et autres. La loyauté disciplinaire ne peut pas se lire comme une simple option personnelle, détachée de toute interaction. On n'est pas loyal ou déloyal; il vaudrait mieux parler de degré de loyauté qui oscille entre un attachement fort au paradigme de la discipline et le détachement. La position entre ces deux pôles est tributaire alors des types de capital (social, scolaire, universitaire, par exemple), de leur combinaison et de l'investissement des acteurs.

Les conditions sociales et institutionnelles de production des