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2.1 Les concepts

2.1.1 Les concepts et les valeurs liés au contexte et au contenu des textes produits

2.1.1.2 Universalisme ou globalité

Issue de la pensée grecque ou médiévale pour certains et des Lumières pour d’autres, l’idée qu’il existe des principes et des valeurs universelles est une idée contestée ou acceptée par différentes disciplines. On remet en question cette idée, la présentant comme des « rapports de force, où les uns imposent aux autres, comme valeurs ou références universelles, ce qui n’est que l’expression de leurs perspectives particulières52 ». Cette synthèse souhaitée entre universalisme et diversité culturelle est-elle possible ? Il semble évident que le rêve d’un universalisme global poursuivi par la modernité et l’esprit positiviste d’Auguste Comte qui croyait que la fixité sur la compréhension des idées générales mettrait fin au désordre social ne sera jamais atteint. Cette vision de la philosophie positive comme « seule base solide de la réorganisation sociale qui doit terminer l’état de crise dans lequel se trouvent depuis si longtemps les nations les plus civilisées53 » demeure une utopie.

51 FMI, « la mondialisation : faut-il s’en réjouir ou la redouter ? », [En ligne] : http://www.imf.org/ external/np/exr/ib/2000/fra/041200f.htm#V, (Page consultée le 24 décembre 2007).

52 Alain Renault, « Les conditions d’un universalisme ouvert à la diversité », Sens Public, [En ligne] : http://www.sens-public.org/spip.php?article455, (Page consultée le 19 décembre 2007).

53 Voir : Cours de philosophie positive, Première leçon : Exposition du but de ce cours, ou

considérations générales sur la nature et l’importance de la philosophie positive, page 38. Ce texte a été écrit en 1830.

Il est important de s’interroger sur la possibilité d’une bioéthique que l’on pourrait qualifier d’universelle comme le fait Guy Bourgeault, après avoir rappelé Hannah Arendt qui affirme que personne n’est identique à un autre homme : « C’est pourquoi le projet d’une éthique universelle que d’aucuns ont proposé ces dernières années, avec ses repères et ces règles qui assureraient partout une régulation presque uniforme des conduites et des pratiques, est proprement utopique, heureusement, et illusoire54 ».

Ceci dit, une vision d’un universalisme fondée sur les valeurs principielles d’équité et de justice exigeant d’accorder à tous des chances égales et d’accepter la différence demeure actuelle et est le gage de la reconnaissance et de l’authenticité55. En somme comme l’écrit Taylor, il est trop simple de se cantonner dans un ‘libéralisme neutre’, et de se dire que : « toute société politique fondée sur une notion forte du bien commun privilégiera par le fait même la vie de certaines personnes (celles qui adhèrent à sa notion du bien commun) plus que d’autres (celles qui cherchent d’autres formes de bien), et donc qu’elle n’accordera pas à tous une reconnaissance égale ». Il faut donc, selon lui, se demander ce « qu’implique une vraie reconnaissance des différences56 ». Un rejet complet de l’universalisme ne conduit-il pas comme l’écrit le philosophe Alain Renault à une acceptation de l’inacceptable ? Pour lui s’il s’agit de rejeter l’idée qu’une communication : « peut s’établir entre tous les hommes à propos de certaines valeurs principielles, il faudrait aussi convenir que s’imposerait alors un renoncement à toute référence à des droits de l’humanité57 ». En éthique comme en bioéthique, cette question est grave. « Les tensions provoquées par la diversité culturelle et les différences d’opinion religieuses et politiques ont pris avec certains événements récents une ampleur dramatique » écrivait déjà en 1997 Jean-Pierre Changeux58. Il se demande, après avoir rapporté les résultats d’une étude démontrant que les enfants peuvent s’entendre sur les règles morales proprement dites, jugées obligatoires, portant

54 Éthiques : dit et non-dit, contredit, interdit, Essai, Montréal, PUQ, page 19.

55 Charles Taylor développe ces idées dans: Le malaise de la modernité, Paris, Cerf, 2005. 56 Ibidem, page 59.

57 Les conditions d’un universalisme ouvert à la diversité, La revue Sens public, (30 juin 2007), [En ligne] : http://www.sens-public.org/spip.php?article455, Page consultée le 19 décembre 2007. 58 “Introduction: Le débat éthique dans une société pluraliste”, dans Une même éthique pour tous ?

sur les concepts de bonheur, de justice, de droits et les distinguer des règles conventionnelles non généralisables, si un adulte ne pourrait pas « singulariser au sein des divers enseignements philosophiques ou religieux qu’il reçoit cette part majeure d’impératifs moraux universels qui se trouvent en commun au niveau de tous les représentants de l’espèce59 ».

Ces débats sur l’universalisme continuent d’alimenter, entre autre, la réflexion de la philosophie, du droit, des sciences politiques et de la bioéthique. Les auteurs qui abordent cette question ou bien rejettent l’universalisme ou essaient de développer son fondement à partir d’une conversation mondiale sur des valeurs partagées de façon transparente et qui prennent en compte, sans en faire un empêchement, les différences de culture. Deux de ces auteurs sont Alan Gewrith et Amarty Sen.

Alan Gewirth a voulu donner une base théorique aux droits de l’homme et à une moralité commune. Dans son article “Common morality and the community” il souligne que :

“The idea of a common morality has been central to many phases of the history of philosophy. It also figures prominently in recent moral, legal, and political thought and action. The Universal Declaration on Human Rights promulgated by the United Nations in 1948 assumed the existence, in some sense, of common moral standards for judging nations and governments; a common morality is also invoked not only in contemporary appeals for human rights but also in the agonized concern over such ongoing problems as homelessness, poverty, drug addiction, AIDS, and other human afflictions60”.

Gewirth avance que nous sommes tous familiers avec cette thèse qui avance que le monde moderne démontre une telle pluralité d’idées et de valeurs et : “such a loss of community and social solidarity, that the reality is one not of a common morality but of a divergence of warring, mutually incompatible morality61”. Il propose

59 Ibidem. page 26.

60 Gewirth, Alan, “Common Morality and the Community”, in Gene Outka and John P. Reeder, editeurs, prospects for a Common Morality, Princeton, Princeton University Press, 1993, page 29. 61 Ibidem.

une distinction entre une morale normative et une morale positive, la première pouvant être qualifiée d’universelle à certaines conditions.

Les problèmes que peuvent soulever une conception possible d’une morale commune peuvent se résoudre si l’on admet que les droits de l’homme se fondent sur la liberté et le bien-être auquel chaque agent a droit. De sorte que, si je crois que j’ai des droits et que personne ne doit me les dénier, il s’ensuit que je dois aussi considérer que tous les autres ont ces mêmes droits. Cette réciprocité fonde ce qu’il appelle le Principe de consistance générique, qui serait valide pour tous, donc universel. Il réfute les objections d’ethnocentricité ou d’approche occidentale en démontrant que les droits de l’homme prennent leur source dans la pensée d’Aristote, de Thomas d’Aquin ou d’auteurs de l’époque médiévale. Un des arguments intéressants est à l’effet que les droits de base comme la vie, l’intégrité physique, l’équilibre mental, requièrent pour leur obtention “not only food, clothing and shelter but also freedom from torture and similar disabling practices62”.

L’économiste Amarty Sen dans sa discussion sur l’universalité des droits de l’homme souligne que souvent ceux qui acceptent l’idée générale des droits de l’homme “exclude, from the acceptable list, specific classes of proposed rights, in particular the so-called economic and social rights, or welfare rights63”. Ces droits sont souvent qualifiés de seconde génération des droits de l’homme. Sen examine les fondements des droits de l’homme au niveau des idées et les considère comme des demandes éthiques qui ne sont pas principalement légales. Même si ces demandes sont susceptibles d’inspirer l’élaboration de législations, ceci se produit après coup et n’en constitue pas un caractère fondamental. Il défend l’idée qu’il peut y avoir des différences d’application importantes au niveau national “without losing the commonality of agreed principles64”.

62 Ibid., page 41.

63 Amarty Sen, “Elements of a Theory of Human Rights”, Philosophy and Public Affairs, vol. 32, no 4, 2004, page 323. Sen reprend dans cet article les bases d’une conférence donnée dans le cadre des Conferences Gilbert Murray.

L’examen de la littérature sur le sujet nous a conduits à conclure que les auteurs qui voient les tentatives de définir des principes universels comme s’appliquant aux contextes de toutes les cultures, rejettent l’universalité alors que ceux qui font une distinction entre des niveaux d’application tels que le niveau global et le niveau contextuel, entrevoient la possibilité de définir des normes communes pouvant s’appliquer de façons différentes dans différentes cultures.