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2.1 Les concepts

2.1.1 Les concepts et les valeurs liés au contexte et au contenu des textes produits

2.1.1.3 Bioéthique

Le terme bioéthique a été inventé en 1970 par le biologiste et cancérologue américain, Van Rensselaer Potter qui la définissait comme une nouvelle discipline à portée globale incluant tous les champs du savoir et toutes les nations. En 1972, il écrivait : “I have invented a new word and a new scholastic enterprise called Bioethics which I have defined in a book by that name as the combination of ‘biological knowledge and human values’65”. Pour lui la bioéthique englobait :

« le contrôle de la population, la paix, la pauvreté, l’écologie, la vie animale, le bien-être de l’humanité et par conséquent la survie de l’espèce humaine et celle de la planète entière. Cette nouvelle discipline sera, il va sans dire, une entreprise interdisciplinaire ; elle dépassera la perspective interindividuelle pour porter le débat sur le plan de la responsabilité sociale ; elle exigera une approche systémique, voire cybernétique66 ».

Le concept de bioéthique n’a cessé depuis ce temps de susciter des discussions quant à sa compréhension et à son extension.

C’est une vision beaucoup moins large du terme qui a été véhiculée par André Helleghers, gynécologue ayant utilisé le terme en même temps que Potter mais lui ayant donné une perspective biomédicale. En 1971, Helleghers fonde le Kennedy Institute for Ethics à l’Université Georgetown qui allait avoir un rayonnement important dans les années suivantes. Cette vision voyait la bioéthique comme une branche de l’éthique se

65 “Bioethics for Whom?”, Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 196, 1972, pages 200-

205.

limitant aux questions liées aux développements des sciences biologiques et à leurs applications biomédicales ainsi qu’aux conséquences de ces applications dans la relation patients- médecins.

L’histoire du développement de la bioéthique et de ses différentes approches a été relatée dans de multiples ouvrages importants tels ceux de : Hubert Doucet67, Guy Durand68, Gilbert Hottois69, James Childress and Tom L. Beauchamp70 pour n’en nommer que quelques uns. Il est aussi essentiel de mentionner l’ouvrage de Tristram Engelhardt, un des noms les plus connus de la bioéthique : The Foundations of Bioethics71, un pilier de la littérature sur le sujet qui a largement contribué à baliser les contours d’une bioéthique pluraliste et séculière mettant de l’avant les principes d’autonomie et de bienfaisance. Bien que les discussions continuent sur le statut de la bioéthique, nous sommes d’ accord avec Hottois lorsqu’il affirme que la bioéthique est : « constitutivement multi-et interdisciplinaire [s’étant développée] sous l’impulsion de médecins, de biologistes, de théologiens, de philosophes de juristes, de psychologues, …mais aussi plus récemment de sociologues, de politicologues, d’économistes72 ». Cette complexité disciplinaire crée des problèmes méthodologiques sur lesquels nous reviendrons car comme le dit encore Gilbert Hottois : « Définir la bioéthique est une entreprise périlleuse. Son apparition récente, sa localisation interstitielle plus ou moins accentuée et les enjeux idéologiques qu’elle véhicule lui confèrent une identité instable et controversée73 ».

Le corpus théorique de la bioéthique s’est aussi enrichi, au cours des années 80’, de l’apport des féministes. Dans la foulée des études sur le genre, Susan Sherwin, l’une des principales porte-parole de ce courant, s’est attachée à démontrer que

67 Au pays de la bioéthique, Genève, Labor et Fides, 1996.

68 Introduction générale à la bioéthique, Montréal, Fides, 1999.

69 Qu’est-ce que la bioéthique ?, Paris, Vrin, 2004.

70 Principles of Biomedical Ethics, New York, Oxford University Press, Fifth Edition, 2001.

71 New York, Oxford University Press, Second Edition, 1996. Mentionnons que Engelhardt a modifié par la suite son point de vue sur la notion de bioéthique pluraliste et séculière. Il n’en demeure pas moins que sa première vision a eu une grande influence sur le développement de la bioéthique. 72 Qu’est-ce que la bioéthique ?, Paris, Vrin, 2004, page 17.

73 Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, directeurs, Nouvelle encyclopédie de bioéthique, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2001, page 124.

« l’intuition et l’expression morales féminines n’ont généralement pas été prises en compte dans la société occidentale traditionnelle74». Carol Gilligan a aussi énormément contribué au développement de ce courant. Elle avance dans son ouvrage In a Different Voice que : « pour diverses raisons culturelles, les femmes réfèrent à une éthique des soins fondée sur les relations et les responsabilités, tandis que les hommes se tournent plus volontiers vers une éthique de la justice accentuant les notions de règles et de droit75 ». Ce courant critique du pouvoir patriarcal a contribué à mettre en évidence la nécessité d’une bioéthique qui prend, bien sûr en compte les êtres vulnérables et les populations vulnérables mais qui doit éviter une conception discriminatoire de la vulnérabilité, conception qui peut amener à priver certains groupes de leurs droits.

Les années 90 ont été, comme le souligne Hottois : « celles de la mondialisation de la bioéthique et donc de la rencontre par la bioéthique de tous les problèmes associés à la globalisation76 ». De ce fait et aussi à cause des questions économiques soulevées par le vieillissement de la population et le développement de nouvelles technologies, des questions ont commencé à être posées, questions auxquelles la bioéthique ‘individualiste’ ne pouvait pas répondre. Ainsi que l’écrit Hubert Doucet : « Le rêve du progrès indéfini a des limites imprévues77 ». Comment allouer et partager les ressources financières, technologiques et pharmaceutiques dans un tel contexte ? Comment décider aujourd’hui de modifications génétiques du patrimoine humain sans poser la question de l’impact sur les générations futures ? C’est alors que : « Toute une série d’interrogations métaphysiques reviennent à l’ordre du jour et, en raison du contexte nouveau, demandent un renouvellement du regard sur ce que veut dire vivre ensemble78 ».

Ce questionnement donnera naissance à un courant qualifié de bioéthique sociale ou communautaire. Ce courant a été alimenté et soutenu par des auteurs qui précisent que l’approche fondée sur l’autonomie du patient qui a marqué l’éthique

74 Ibid., 2001, page 459. 75 Ibidem, pages 459-460.

76 Ibidem, page 15.

77 Au pays de la bioéthique, op. cit., page 61.

clinique ne suffit plus à l’analyse des questions confrontant ce champ de pratique à l’heure actuelle. En effet la mondialisation et les développements technologiques des sciences de la vie posent, selon ce courant, des questions qu’il faut revoir avec une lunette élargie aux problématiques sociétales. Certains auteurs prétendent même que cette nécessité de la globalisation de la bioéthique est la revanche de Potter79 qui s’était fait le porteur d’un concept englobant toutes les problématiques sociétales incluant l’environnement et les animaux.

Ce courant social et communautaire a été défendu particulièrement par Daniel Callahan, What kind of life: the limits of medical progress8081. Callahan soutient que la gestion de la santé doit se faire dans une perspective de bien commun et que de ce fait sa distribution et sa répartition doivent prendre en compte, dans une perspective de justice distributive, les ressources disponibles dans une société ce qui pourra faire en sorte que l’intérêt particulier de chacun doit parfois être en partie sacrifié et que chacun devrait l’accepter. Il écrit : “I have argued that the pursuit of health is a social enterprise, that the good of society should take priority in the provision of curative medicine over the good of the individual and its pursuit82”.

Dans la même veine, Norman Daniels lance un appel à un agenda élargi pour la bioéthique dans son article : “Equity and population Health: Toward a Broader Agenda for Bioethics83” ou, à l’instar de Callahan, il soutient une approche sociale de la bioéthique et une ouverture sur les pays en développement.

79 Voir à ce sujet : Fabrizio Turoldo, “Il futuro della bioetica è globale”, in: Turoldo, Fabrizio.

La globalizzazione della bioetica, Padova, Fondazione Lanza, 2007, pages 3-28.

80 New York, Simon and Schuster, 1990.

81 Plusieurs de ses articles reprennent le même thème. Voir : Daniel Callahan, “When Self- Determination Runs amok”, Hastings Center Report, vol. 22 (mars-avril 1992), pages 52-55; Daniel Callahan, “Individual Good and Common Good: A Communitarian Approach to Bioethics”,

Perspectives in Biology and Medicine – vol. 46, no 4, (Autumn 2003), pages 496-507.

82 Daniel Callahan, What Kind of Life: The Limits of Medical Progress, New York, Simon and

Schuster, 1990, page 115.

Dans le même courant, il faut citer l’important ouvrage de Lisa Sowle Cahill qui veut connecter Bioéthique, bien commun et mondialisation84. Pour elle, le bien commun est une vision qui fait en sorte que le droit individuel à la santé fait partie d’un continuum intégré au plus grand bien de la société globale. Le marché dépend, selon elle, d’une approche individuelle plus que d’une perspective sociale et traite la santé comme une commodité plus qu’un besoin de base, privant ceux qui n’en ont pas les moyens de profiter des innovations biomédicales. Sa conclusion est que la santé globale appelle le bien commun global, mais un bien commun qui prend en compte les structures et les institutions en place dans les différentes régions du globe afin de maintenir la dignité des personnes. Donc cette vision inclut un élément de proportionnalité lié au contexte où l’action se déroule.

Enfin mentionnons que tous s’accordent pour dire que la bioéthique implique une discussion multidisciplinaire et un débat avec la société civile afin d’identifier dans différentes sociétés le niveau d’acceptabilité sociale. Cette préoccupation pour la participation et la discussion a fait en sorte que les travaux qui concernent cet aspect renvoient souvent, pour les louanger ou les rejeter, aux ouvrages du philosophe allemand Jürgen Habermas qui a beaucoup écrit sur la communication85.

Finalement, bien que la bioéthique fasse encore l’objet de nombreuses critiques concernant sa définition, et l’extension et la compréhension du concept, il n’en demeure pas moins que, compte tenu des enjeux actuellement liés à la santé (soins et santé publique) et aux applications des nouvelles découvertes scientifiques (génomique, génétique, nanosciences, sciences cognitives, banques populationnelles) elle est peut-être le champ le plus intéressant pour analyser les rapports complexes entre l’éthique et le politique.

C’est dans le cadre de cette approche sociale et communicationnelle que nous tenterons de répondre à notre question de recherche.

84 L.S. Cahill, Bioethics and the Common Good, Milwaukee: Marquette University Press, 2004.

85 Citons, par exemple, Morale et Communication. Introduction à l’édition française, Paris,

Flammarion, 1986 ; L’avenir de la nature humaine, Vers un eugénisme libéral, Paris, Gallimard, 2002. Paru en Allemand en 2001. Traduction de Christian Bouchind’homme.