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L’élaboration proprement dite du texte de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme ayant été faite dans une organisation internationale dont les gouvernements de 193 pays sont membres, ce processus incluait une dimension politique dont on ne peut faire abstraction. Il faudra donc examiner les attentes des uns et des autres et les compromis atteints au cours de ces délibérations. Les attentes et les compromis seront ceux des acteurs principaux que sont les membres

206 Cadre conceptuel, cadre théorique, dans Alex Mucchielli, directeur, Dictionnaire des méthodes

du comité international de bioéthique et les pays membres (pays développés, en développement et pays émergents).

2.2.1 Délibération

La délibération est au fond la conversation et le débat qui se tient entre les différents acteurs impliqués. Car, il y a dans la délibération « rencontre des différences et des divergences …qui a pour objet l’analyse des problèmes et la compréhension des enjeux « du point de vue de la décision collective » ou en vue d’une telle décision, note Georges Legault, afin de trouver « par le dialogue des raisons d’agir ensemble compte tenu des pertes encourues par la décision collective207 ».

Le plus grand théoricien de la délibération est sans doute Jürgen Habermas qui a fait de la délibération la méthode par excellence pour atteindre une forme de construction de la vérité à un moment donné et par le fait même un consensus. Pour lui lorsque l’on débat de manière argumentée il est possible d’arriver à un accord. Son ouvrage La théorie de l’Agir communicationnel dans lequel il résume sa pensée à ce sujet démontre toute l’importance qu’il accorde à cette forme d’interaction dont il fera le pivot de sa pensée208.

Pour ce philosophe « La critique publique devient ainsi une extension, un épiphénomène aux travaux théoriques de recherche209 ». Ainsi lorsqu’il discute de l’Avenir de la nature humaine, il soutient que, dans une société plurielle, on ne peut faire une démonstration appuyée sur une conception universelle de la dignité humaine, mais sur une conception de celle-ci développée par la discussion et avec laquelle tous sont d’accord210. On a nommé cette forme de délibération éthique procédurale de la discussion. Cette éthique « postule que dans nos sociétés moralement plurielles, la

207 Guy Bourgeault, op.cit., page 79.

208 Paris, Fayard 1997.

209 Donald Ipperciel, Habermas : le penseur engagé. Québec, Les Presses de l’Université Laval, page 12.

210 On trouvera chez Christian Bouchindhomme, Le vocabulaire de Habermas. Paris, Ellipses, 2002, une longue explication de la conception de l’acte de parole chez Habermas et de la façon dont il fait ressortir les bases de la validité du discours.

seule manière légitime de construire des normes justes communes est la discussion argumentée et égalitaire entre tous les intéressés aboutissant à des consensus211 ». 2.2.2 Consensus et Compromis

Ainsi que le souligne Gilbert Hottois un comité d’éthique, à plus forte raison, un comité international « doit se garder de devenir un comité de morale. Il doit également craindre de verser dans une sorte d’esthétisme, se contentant de refléter la diversité des cultures et des individualités au nom du droit à l’autonomie et à la différence212 ». Il devient donc capital qu’il exprime une préférence pour le consensus. Cette préférence est l’expression de sa nature « éthique : [car] dans ce mot il y a la référence à ce qui est commun, à ce qui unit et rend possible la vie sociale213 ». Ce qu’il faut éviter selon Hottois est le dissensus paresseux qui perd de vue toute visée de l’entente et le consensus forcé. « Ce risque est d’autant plus grand que le comité d’éthique se trouve étroitement inséré dans un processus de décision politique214 ».

Hottois poursuit en disant que la pratique du pragmatisme pourra faciliter le consensus. Cette approche consistant à écarter du débat les points sur lesquels l’accord s’avère impossible et à formuler les consensus sans exiger l’accord sur toutes les raisons qui les justifient car ces raisons ne convergent pas nécessairement. Il écrit : « Les consensus pragmatiques sont extrêmement précieux et même indispensables dans nos sociétés complexes si l’on veut instituer des règles opératoires communes tout en préservant la liberté de penser et la diversité des croyances215 ». Guy Bourgeault ne pense-t-il pas de façon de similaire lorsqu’il dit : « seul le débat, par le jeu serré des argumentations et de leurs critiques, pourra conduire à des compromis comme solutions démocratiquement acceptables216 ». Donc à un projet commun mais qui

211 Lazare Marcelin Poamé dans Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa, dir., op.cit., page 409. 212 Gilbert Hottois, Qu’est-ce que la bioéthique ?, Paris, Vrin, 2004, page 38.

213 Ibidem. 214 Ibidem. 215 Ibidem, page 39.

pourra, dans son application, prendre en compte la diversité culturelle à condition que les droits de l’homme et les libertés fondamentales soient respectés.

Comme nous le disions au début de ce second chapitre sur la recension des écrits et la définition des concepts, nous souhaitions étudier les concepts que nous retrouvons dans notre question de recherche et les concepts pouvant nous servir à modéliser le bien commun. En ce qui concerne le bien, nous avons brièvement retracé la pensée de certains auteurs importants qui se sont penchés sur ce concept au cours des siècles passés. Nous, nous sommes ensuite attardés sur le bien commun tel que perçu en éthique et en bioéthique. Le bien commun étant rarement défini, c’est par un examen des idées développées par les auteurs lorsqu’ils parlent du bien commun que nous avons construit notre modèle. Nous avons aussi examiné deux concepts liés au processus d’élaboration des positions en bioéthique procédurale : la délibération et le consensus.

Nous allons dans le prochain chapitre décrire la perspective théorique, la méthodologie et la démarche qui seront mises en œuvre pour examiner l’utilisation de ces concepts dans l’élaboration de la Déclaration universelle sur la bioéthique.

C

HAPITRE

3.

PERSPECTIVE THEORIQUE

,

METHODOLOGIE ET DEMARCHE

Ayant suite à notre revue de littérature défini notre cadre conceptuel par le schéma présenté à la page 76, nous allons maintenant préciser notre perspective théorique, notre méthodologie et notre démarche.