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2. VERS UNE RECHERCHE-INTERVENTION

2.3. Une recherche-intervention

2.3.1. Présentation, définition et modalités générales

La RI est une variante de la RA (Duchesne et Leurebourg, 2012) dont elle garde la personnalité de base, mais dont elle spécifie certains traits concernant les liens entre action et recherche. La RI a d’abord émergé dans l’univers du travail social (Taylor, 2012), visant une plus grande efficacité de l’action sociale. Dans

l’univers anglo-saxon, la RI (Intervention Research) offre un ensemble de formats et de visées très large :

Schilling (1997) took a broader view, seeing intervention research as encompassing: (i) studies attempting to understand social phenomena; (ii) studies of helping processes; (iii) longitudinal studies of clients before and after social work intervention; (iv) studies to systematically design and develop interventions; and (v) full-scale experiments. (Taylor, 2012, p. 425)

Au-delà de son ancrage en sciences sociales, la RI s’est beaucoup développée dans les sciences de la gestion où elle constitue un outil apprécié d’analyse et d’évolution des pratiques (Duchesne et Leurebourg, 2012), mais elle offre un intérêt tout particulier en sciences de l’éducation (Ibid.). Pour Duchesne et Leurebourg, la RI se définit comme « une méthode de recherche menée par un acteur- chercheur dont les rôles d’intervenant et d’agent de changement s’harmonisent aux besoins des acteurs-participants tout comme aux caractéristiques du terrain d’étude » (2012, p. 6). Cette définition met en avant divers aspects de la RI qui épousent parfaitement les traits de notre projet de recherche. Je peux souligner le rôle d’acteur- chercheur, déjà évoqué pour la conception et la mise en œuvre du dispositif, la visée de changement qui demeure présente, même sur un mode indirect, la prise en compte des besoins des acteurs − les étudiants − et enfin la spécificité du cadre où prend place le projet, dans mon cas : la maitrise en étude des pratiques psychosociales de l’UQAR.

Je viens de l’évoquer, la RI aborde le changement de manière spécifique; celui-ci est en effet autant un moyen qu’un but, on ne cherche pas à le pérenniser d’emblée, mais plutôt à amener chez les acteurs, à partir d’une compréhension différente des actions ou processus concernés, des changements de perspectives, de points de vue ou de conceptions qui, secondairement, installeront des changements dans les manières de procéder (Duchesne et Leurebourg, 2012; Méniri et Ponté, 2008). Sans l’intervention, le changement étudié et pourvoyeur d’informations n’aurait pas lieu (Detchessahar, Gentil, Grevin et Stimec, 2012); il s’agit bien de

s’appuyer sur le processus de changement déclenché pour faire émerger de l’information : « Les méthodes de recherche-intervention s’inscrivent dans une triple perspective : décrire, expliquer et transformer l’objet de recherche pour mieux le connaître » (Krief et Zardet, 2013, p. 213). En ce sens, certains auteurs, s’inspirant de Dewey, évoquent un agir créatif, c'est-à-dire une action qui produit du savoir, de la connaissance : « La RI fait de cet agir créatif un moyen de production de connaissances » (Detchessahar et al., p. 4). Mais en retour et en prolongement, cette connaissance rendue accessible par l’intervention va permettre elle aussi du changement (Moisdon, 2010).

Il y a renforcement mutuel entre recherche et pratique (Paillé, 2007), la pratique nourrit la connaissance, tandis que les nouvelles compréhensions vont influencer les attitudes et comportements des acteurs. La RI devient l’opportunité pour les praticiens d’accéder à de nouvelles manières d’aborder leurs problématiques :

Ce qui intéresse particulièrement Avenier et Nourry (1999) dans la RI, ce n’est pas de vérifier des hypothèses, comme les méthodes positivistes s’y appliquent, mais plutôt de voir émerger de nouveaux problèmes de recherche qui susciteront la création de situations d’intervention permettant d’enrichir la réflexion des acteurs concernés. (Duchesne et Leurebourg, 2012, p. 6)

Il découle dès lors de cette visée une posture particulière quant à la problématisation de la recherche. D’après Duchesne et Leurebourg, « La RI préconise conséquemment une observation sans hypothèse préalable et à l’épreuve des oppositions entre les points de vue avant d’aboutir à une méthode, puis à une théorie » (Ibid.). Si les connaissances issues du cadre théorique et de la problématique ne sont pas absentes du processus d’ensemble de la recherche, la situation problématique, quant à elle, nécessite un « diagnostic empirique » (Paillé, 2007). Ceci implique également un processus de recherche plus souple, susceptible de s’adapter en cours de route en fonction des difficultés rencontrées d’une part, mais aussi des observations menées, voire des suggestions qui en découlent. La méthodologie n’est

donc pas figée ni stabilisée une fois pour toutes (Duchesne et Leurebourg, 2012 ; Méniri et Ponté, 2008) ; « Il faut oublier ici les modalités de la recherche empirique traditionnelle où une collecte de données doit vérifier une hypothèse et déboucher sur une série unique de résultats » (Paillé, 2007, p. 148).

Le caractère itératif et récursif qui prévaut à certaines étapes de la RI est fortement mis en avant par les chercheurs. Selon Paillé, comme pour la RA « qui se mène progressivement par approximations successives et rarement d’un seul trait », les étapes d’intervention, de collecte de données et d’analyse de celles-ci seront multiples (Ibid.). Pour Duchesne et Leurebourg (2012), à ce stade, « les interventions peuvent se succéder et être répétées » (p. 11). Ceci tient notamment au fait de l’interactivité entre chercheur et acteurs, des informations nouvelles qui émergent en cours de processus et peuvent conduire à des ajustements du dispositif expérimenté.

2.3.2. Opérationnalisation de la recherche-intervention

Selon les auteurs, l’opérationnalisation de la RI adopte un nombre d’étapes différent, allant de quatre temps (Méniri et Ponté, 2008) à huit étapes (Paillé, 2007), mais la structure générale est approximativement la même, la différence venant essentiellement du découpage et du niveau de détail, celle de Méniri et Ponté restant, par exemple, très générale. Le tableau ci-dessous (tableau 1) met en parallèle différentes manières d’organiser une RI; j’en ai retenu trois. D’une façon générale, il existe une première phase assez unanime, plus ou moins détaillée selon les auteurs, qui consiste à prendre connaissance du problème et à analyser la situation problématique.

L’étape II consiste en la préparation de l’intervention; cette étape est commune aux trois structures retenues, mais chez Duchesne et Leurebourg (2012), il apparait déjà une intention formalisée, une « situation idéale visée » (p. 10). Chez Paillé (2007), les composantes recherche (3) et intervention (2) sont clairement distinguées dans cette étape de préparation.

Tableau 1

Synthèse des étapes de la RI selon les auteurs Duchesne et Leurebourg (2008) Taylor (2012, d’après Fraser, 2004) Paillé (2007) I. a) Perception d’un problème 1) Problem analysis

and project planning

(1) Diagnostic empirique de la situation problématique II. b) Construction d’un

mythe rationnel (situation idéale désirée) 2) Information gathering and synthesis 3) Intervention design

(2) Préparation du plan et des outils d'intervention

(3) Choix des méthodes de collecte des données de l'aspect recherche III. c) Phase expérimentale : intervention et interaction 4) Early development and pilot testing

(4) Intervention et cueillette des données de la recherche

(5) Répétition de 4 et 5 à plusieurs reprises si nécessaire

IV. 5) Evaluation and

advanced development

(6) Analyse et évaluation des

données de la recherche-intervention (7) Description des changements et des connaissances issus du projet d) Définition d’un ensemble simplifié de logiques d’action e) Processus de changement (8) Critique de l'intervention et recommandations V. 6) Dissemination

L’étape III comprend la mise en œuvre de l’intervention et le recueil d’informations; le caractère expérimental de cette étape apparait chez tous les auteurs. La récursivité et l’interactivité caractérisent cette étape; elles sont même envisagées comme une étape à part entière chez Paillé (5).

Les étapes IV et V ne sont pas découpées de la même manière chez tous. Chez Duchesne et Leurebourg (2012) la RI aboutit d’emblée d) à des recommandations et e) à un changement. C’est donc le versant intervention qui semble appuyé à l’issue du processus. Chez Taylor ou chez Paillé, on passe par une étape d’analyse et d’évaluation — respectivement 5) et (6). Celles-ci aboutissent à une dissémination des résultats, étape 6) pour Taylor, ou à une description des changements et connaissances issus du projet, étape (7) pour Paillé. Ce dernier souligne ainsi une caractéristique de la RI, à savoir une attention également répartie sur l’intervention et sur la production de connaissances. Il termine son protocole par (8) : une critique de l’intervention et des recommandations, cette étape ultime s’avérant logique dans une conception de la RI qui se veut plus descriptive et exploratoire que résolutoire.

En croisant les nuances qui apparaissent dans ces différentes options méthodologiques de la RI avec les spécificités de mon propre projet de recherche, je peux à présent poser des jalons sur les choix méthodologiques qui me semblent les plus pertinents.