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1. LE RÉ, DIMENSIONS ET NUANCES

1.3. Dimension affective

La dimension affective se manifeste généreusement dans les données; elle englobe les émotions et les sentiments que les étudiants éprouvent envers l’écriture, allant de l’amour inconditionnel à la haine, avec toutes les nuances possibles entre les deux. Un trait marquant des rapports qui relèvent de cette dimension affective est l’ambivalence, les sentiments pouvant d’une part être variés, mais d’autre part pouvant aussi être contradictoires, ainsi que l’évoque Rachel avec des termes comme amour et haine qui coexistent en elle (EA-R/106-107), car l’écriture lui procure parfois grand calme et repos, mais elle peut aussi être génératrice de stress, d’anxiété et de souffrance. Cloé emploie également le terme d’une « relation amour-haine » (EA-C/118) et Valérie rapporte aussi au sujet de son écriture qu’au fil du temps, elle a pu « l’aimer comme l’haïr » (EA-V/7). Ce thème de l’ambivalence sera développé plus loin.

Deux étudiantes se distinguent par un amour inconditionnel de l’écriture, c'est-à-dire un amour qui ne dépend pas des types d’écrit, des genres textuels ou des

conditions extérieures. L’une, Fanny, revendique son amour de l’écriture, précisant qu’elle aime avant tout l’acte d’écrire. Elle évoque l’écriture comme une amie, parfois rebelle, mais dont le caractère rebelle fait précisément tout le charme, une amie avec qui elle aime « danser ». Fanny s’était offusquée du questionnaire préalable portant sur les problèmes que les participants avaient avec l’écriture ; elle considérait que cela supposait que tout le monde avait des problèmes d’écriture et cela insultait son « amie » (EA-F/101-103 ; 113-114). L’amour de l’écriture de Fanny se présente comme quelque chose de sensuel ou de viscéral. Une autre participante, Anne, porte un amour inconditionnel à l’écriture, même si celui-ci est peut-être plus construit et moins spontané que celui de Fanny. Anne réfute Charmillot affirmant la souffrance de l’écriture; elle pose les conditions qui lui permettent d’éviter cette souffrance : l’absence de stress, un abord ludique, l’absence de jugement (d’auto- jugement), le fait d’envisager la contrainte comme une source de créativité et l’utilisation d’outils déjà acquis (EA-A/76-80). Pour Anne, ce plaisir est un plaisir cultivé, reposant entre autres sur des moyens qu’elle se donne pour y parvenir. On pourrait presque dire qu’Anne fait le choix d’aimer l’écriture de manière inconditionnelle.

Aucun participant n’évoque un désamour franc et massif de l’écriture − ce qui n’est guère surprenant dans une maitrise où l’écriture joue un rôle central − mais, Fanny et Anne mises à part, pour les autres étudiants, l’amour de l’écriture est un amour sectorisé, dépendant d’abord des genres d’écrits abordés, puis des circonstances. Si, pour la plupart, ils aiment l’écriture, ils n’aiment pas toutes les écritures, comme Paul : « Je sais donc passer d’un écrit à un autre, mais je ne suis pas à l’aise avec toutes les sortes d’écrits » (EA-P/28-29). Cet amour apparait très lié au plaisir : les étudiants aiment avant tout les écritures auxquelles ils prennent plaisir. C’est ainsi par exemple qu’Elise a rencontré l’amour de l’écriture, en découvrant le plaisir de l’écriture poétique : « j’ai vu que je pouvais aimer jouer avec les mots, un peu par imitation, m’amuser par écrit » (EA-E/10-11).

A l’opposé de l’amour, on rencontre des sentiments ou des émotions telles que la peur, le stress, l’angoisse. Cette peur, tout comme l’amour peut être plus ou moins sectorisée, certains genres d’écrits étant beaucoup plus générateurs d’angoisse que d’autres. Les écrits académiques sont parmi ceux qui provoquent le plus de stress, mais ce stress est aussi lié aux enjeux, aux contraintes et aux échéances qui accompagnent ces écrits. De manière plus panoramique, la peur se manifeste selon deux tendances, l’une concernant l’acte d’écrire, à travers la peur du vide que certains rencontrent (EA-D/48-49) − la fameuse page blanche − et l’autre concernant l’écrit, les contenus qu’il matérialise, peur qui se matérialise dans la crainte de se dévoiler, d’apparaître tel que l’on est (EA-D/58-59 ; EA-C/142-143 ; EA-Z/49-50). Ainsi que le souligne Olga : « Écrire, c’est prendre le risque d’être lu » (EA-O/24-25). La peur de se dévoiler doit cependant être replacée dans son contexte, celui d’une maitrise où l’écriture est impliquée, invitant les étudiants à produire de nombreux récits d’expériences personnelles.

À l’issue de cette première présentation du RÉ tel qu’il apparait chez les participants, voici un tableau récapitulatif. On y retrouve les trois dimensions principales avec chacune leurs composantes : conditions et stratégies pour la dimension praxéologique, fonction euristique, fonction d’inscription et fonction de communication pour la dimension conceptuelle, puis amour ou peur de l’écriture pour la dimension affective. On y retrouve également toutes les sous-composantes qui précisent différents aspects de ces dimensions de base, à savoir pour la dimension praxéologique des conditions nécessaires qui relèvent des contextes ou des dispositions intérieures. Dans la dimension conceptuelle, on retrouve une fonction euristique qui peut être cognitive ou affective, une fonction d’inscription qui peut être personnelle ou académique et une fonction de communication qui peut être à visée de partage ou d’évaluation. La dimension affective se détaille dans un amour de l’écriture qui peut être inconditionnel ou sectorisé, tandis que la peur peut concerner l’acte d’écrire ou l’écrit en tant que produit.

Tableau 4 : Récapitulatif des dimensions du RÉ Dimension praxéologique Conditions nécessaires ou favorisantes Extérieures : contextes Intérieures : dispositions du scripteur

Stratégies d’écriture personnalisées

Dimension conceptuelle Fonction euristique cognitive affective Fonction d’inscription personnelle académique Fonction de communication évaluation partage; expérimentation Dimension affective Amour de l’écriture inconditionnel sectorisé

Peur, angoisse, stress

acte d’écrire (page blanche)

écrit produit (apparaitre)

Au-delà des dimensions de base recensées et présentées dans ce tableau, on observe quelques traits qui les caractérisent et nous permettent de les préciser.