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2. ÉTAT DES LIEUX DE LA PRISE EN CHARGE DES PROBLÈMES

2.2. État des lieux de l’aide à l’écriture universitaire dans le monde francophone

Dans l’univers francophone, l’aide à l’écriture universitaire est historiquement plus récente qu’aux États-Unis. Comme je l’ai évoqué, les problèmes d’écriture des étudiants universitaires n’y ont véritablement été abordés par la recherche qu’au début des années 1970, sous l’effet − sous la contrainte pourrait-on dire − du mouvement de démocratisation de l’accès aux études universitaires. Au Québec, jusque très récemment, l’aide à l’écriture, relativement peu investie en milieu universitaire (elle l’est davantage au primaire et au secondaire), se cantonnait en général à la dimension linguistique (Lefrançois et al., 2008). Mais dans une perspective plus large, ce champ de recherche est aujourd’hui très actif et propose de nombreuses approches innovantes, notamment en Belgique, où l’inscription disciplinaire constitue une voie privilégiée.

2.2.1. L’inscription disciplinaire

Plus récemment qu’aux États-Unis, la nécessité d’inscrire l’écriture universitaire dans les disciplines − envisagée tantôt sous le terme d’acculturation disciplinaire, tantôt sous le terme d’inscription disciplinaire de l’écrit − s’est progressivement imposée. Elle est évoquée en Belgique par Pollet (2001), puis par de nombreux autres chercheurs francophones (Alava et Romainville, 2001; Blaser et Chartrand, 2009; Chartrand et Blaser, 2006; Delcambre, 2009; Delcambre et Lahanier-Reuter, 2010, 2012; Deschepper, 2008; Glorieux et al., 2006 ; Reuter, 2004). L’inscription disciplinaire s’attache à relier la maitrise de l’écriture au contexte (la discipline) où celle-ci prend place. Elle se définit par la prise en compte des spécificités de l’écriture pour chaque discipline, incluant ses exigences − et

parfois ses coutumes − d’ordre linguistique, mais aussi textuel et discursif, comme les caractéristiques des genres textuels et les structures argumentatives qui y prévalent; enfin, elle s’intéresse au fonctionnement épistémique qui y a le plus souvent cours, c'est-à-dire la manière dont l’écrit contribue à l’élaboration des savoirs au sein de cette discipline. Pollet justifie l’intérêt d’une inscription disciplinaire de l’écrit par la complexité et la variété des critères qui spécifient un texte dans une discipline donnée :

En effet, la complexité de ces genres et la nécessité de leur enseignement en tant que reflets de pratiques langagières imposent une perspective plus large. Ils doivent être envisagés selon leurs caractéristiques à la fois pragmatiques, énonciatives, textuelles et linguistiques : les indices paratextuels, le contexte de production/réception, le rôle et le statut des locuteurs, l’intention communicationnelle, la stratégie illocutoire, la progression thématique, l’organisation séquentielle, les organisateurs, les connecteurs, le(s) mode(s) d’énonciation, les embrayeurs, les modalités, la thématisation, le discours rapporté. (2001, p. 31)

Concrètement, l’inscription disciplinaire requiert une collaboration entre spécialistes de l’écriture et spécialistes des disciplines, mais celle-ci n’est pas toujours aisée à matérialiser. Au Québec, il existe ainsi un mouvement qui invite les enseignants des disciplines autres que linguistiques à s’investir dans l’amélioration de l’écriture (Blaser et Chartrand, 2009) ou qui voit des spécialistes de l’écrit se rapprocher des enseignants d’autres disciplines pour faire avancer cette inscription disciplinaire de l’écrit (Blaser, 2007; Lord, 2009), même si cela se cantonne pour l’instant au secondaire.

En France, les dispositifs d’aide à l’écriture, souvent installés dans cette visée d’inscription disciplinaire, sont difficiles à identifier car, dans les universités, ils sont intégrés aux cursus, sous forme de cours de méthodologie par exemple (Donahue, 2008). L’université de Lille 3, avec son laboratoire Théodile (Théories- Didactiques de la Lecture Écriture), et l’Université de Grenoble 3, avec le laboratoire Lidilem, étudient comment se réalise cette inscription disciplinaire de l’écriture. Delcambre et Lahanier-Reuter (2012) notent que « dans la majorité des cas, ces aides

ne sont pas délivrées dans des dispositifs spécifiques, mais au hasard des cours » (p. 53) et que les étudiants n’ont alors pas une perception nette (voire pas de perception du tout) des aides apportées. On le voit, l’accompagnement de l’écriture des étudiants, s’il s’inscrit dans les disciplines, doit cependant veiller à mettre en avant sa fonction d’aide à l’écriture, à remettre l’écriture au centre sous peine de passer inaperçu et de manquer son but. En fait, les dispositifs les plus consistants prennent place dans les filières technologiques et professionnelles ou dans les classes préparatoires aux Grandes Écoles (Donahue, 2008). On peut citer ici les travaux de Lafont-Terranova (2014a, 2014b), qui a conçu et mis en œuvre un dispositif d’un format original, l’atelier d’écriture de loisir didactisé, destiné aux étudiants de l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) d’Orléans (cf. chapitre des assises théoriques et considérations pratiques). Comparativement, l’inscription disciplinaire de l’écrit semble plus engagée et mieux matérialisée en Belgique.

2.2.2. La dynamique belge

Au-delà d’une exploration argumentée des problématiques d’écriture vécues par les étudiants universitaires, des chercheurs et universitaires belges tentent d’apporter des réponses concrètes sur le terrain et d’analyser les effets des dispositifs mis en place. Ainsi, à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), une équipe de chercheurs et d’enseignants, dans le sillage de Pollet, ont mis en place un véritable dispositif d’acculturation aux écrits universitaires, allant d’une familiarisation générale à une inscription disciplinaire et évoluant vers l’écriture de recherche (Pollet, Glorieux et Toungouz, 2010). Ce dispositif prévoit une étape de familiarisation et d’appropriation générale, basée sur la lecture et l’écriture, et privilégie une dimension interactive. L’étape suivante, plus orientée vers une acculturation spécifiquement disciplinaire concrétise une collaboration entre spécialistes de l’écrit et spécialistes des disciplines concernées (Ibid.).

À l’Université Catholique de Louvain (UCL), un cours a été mis en place à la Faculté de Philosophie, Art et Lettres (FIAL), intitulé « Analyse et pratique du

discours universitaire » (Crahay, 2012, p. 65). Ce cours, initié par F. Thyrion et repris par M. Crahay, fait partie de la formation obligatoire − il est sanctionné de crédits de cours (5 crédits ECTS) − et concerne huit orientations disciplinaires différentes; il tente de concilier théorie et pratique, approche générale et spécificités disciplinaires. Selon Crahay (Ibid.), une des difficultés a été d’identifier les besoins de l’écriture universitaire en première année, beaucoup moins étudiée et théorisée que l’écriture de recherche en formation (Reuter, 2004)10. Il est à noter que ce dispositif s’oriente

davantage vers « l’atteinte de la finalité épistémique de l’écrit que sur le respect d’un format textuel précis, dont l’existence semble plus hypothétique que réellement attestée » (Ibid., p. 69). Il comporte une partie théorique et une partie pratique en groupes, toutes deux d’un volume de quinze heures; il visait entre autres à familiariser les étudiants de première année avec les pratiques littéraciées qui ont cours dans leur discipline, mais aussi à se situer vis-vis de celles-ci. Crahay annonce en effet comme un des enjeux du cours « les relations complexes, et rarement étudiées par la recherche francophone, entre format scientifique et formatage intellectuel » (Ibid., p. 74).

À l’Université de Louvain-la Neuve, un dispositif au format un peu similaire (quinze heures de cours théorique et quinze heures de travaux pratiques) a aussi été mis en place, insistant sur « les relations complexes entre opérations cognitives et langagières sous-jacentes à la production d’un écrit universitaire » (Deschepper et Thyrion, 2008, p. 64). Ce cours, appuyé par une plateforme internet liée au cours inclut la constitution d’un portfolio regroupant les productions de l’étudiant. Il tente également, malgré un format réduit en nombre d’heures qui ne favorise pas cette ambition, d’impliquer le RÉ des étudiants, avec un travail des conceptions de l’écrit et la visée d’une meilleure conscience de ses façons de faire et de ses pratiques en situation (Ibid.). Toutefois, ce dispositif a « tenté d’agir sur les aspects cognitifs et praxéologiques du rapport à l’écrit, laissant en marge les dimensions affectives et

axiologiques du concept » (Ibid., p. 65). Dans le cas présent, l’inscription disciplinaire se traduit entre autres par la focalisation du travail d’écriture sur le type d’écrits de la discipline, privilégiant l’écrit argumenté universitaire. Selon les chercheuses menant l’expérimentation, il en ressort qu’un dispositif, aussi rigoureux et proche des difficultés des étudiants soit-il peut ne pas atteindre son but s’il néglige

de prendre en compte et travailler les représentations, l’investissement et les conceptions des étudiants à propos de l’écrit(ure), et plus particulièrement à propos du type et du genre d’écrit qu’il a à produire […]; de favoriser la prise de conscience par chacun de ses façons de faire et de ses pratiques dans la nouvelle situation d’écrit(ure) à laquelle il est confronté, de manière à permettre la comparaison avec celles de ses pairs et avec ce qui est attendu, et à en éprouver la pertinence et l’ajustement à la situation. (Deschepper et Thyrion, 2008, p. 77)

A l’Université de Liège (ULg), de nombreux dispositifs ont vu le jour: un cours d’aide à la rédaction de mémoire; un didacticiel de français pour une meilleure transition entre secondaire et supérieur; un cours en ligne intitulé "Pratiques du discours scientifique et technique"; des séminaires intitulés Ancrage facultaire IFRES associant ancrage disciplinaire et maitrise de la langue; des modules en ligne pour les étudiants pour l’amélioration du français, en collaboration avec les enseignants de la discipline (Maréchal, 2012). Plus disciplinaire encore, le projet Euclide a permis une collaboration entre une enseignante de mathématiques et un linguiste, s’appuyant sur des expériences de corrections croisées, de mises en situation d’examen, tout cela visant à permettre aux étudiants de mieux prendre conscience des spécificités, des exigences, des erreurs possibles liées au traitement écrit de questions et problèmes mathématiques, à la structuration de la réponse écrite (Ibid.). En conclusion de son compte-rendu, Maréchal estime que « le souci d’une bonne maitrise de la langue […]

est partagé par une bonne partie de la communauté académique, étudiants comme enseignants, linguistes comme non linguistes » (Ibid., p. 137). Néanmoins, cette chercheuse relève en conclusion une récurrence des erreurs de langue commises quelles que soient les disciplines, suggérant la nécessité d’un travail plus métalinguistique, finalement plus transversal que spécifiquement disciplinaire.

Cette recension de dispositifs existants met en relief la complexité de la prise en charge des difficultés d’écriture des étudiants et la richesse des approches mises en place pour cela, que ce soit dans le monde anglophone ou francophone. Une synthèse de ce premier chapitre me permet de dégager des premières orientations pour la suite de ma recherche.