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1. LE RAPPORT À L’ÉCRIT

1.3. Conscience réflexive et aide à l’écriture: quels ponts possibles?

Une des catégorisations possibles pour l’aide à l’écriture universitaire est celle qui consiste à envisager les dispositifs soit selon une inscription disciplinaire, soit selon une visée transversale. Ces deux modalités se manifestent par exemple à travers les mouvements WAC et WiD aux États-Unis.

1.3.1. Inscription disciplinaire et/ou approche transversale

L’inscription disciplinaire, s’appuyant sur la notion de genre et sur le fait qu’un genre ne saurait s’enseigner en dehors de son contexte de production (Ochsner et Fowler, 2004; Wardle, 2009), met en avant la contextualisation de l’écrit et tente pour cela d’impliquer les enseignants des disciplines concernées (Bazerman et al., 2005; Buzzi, Grimes et Rolls, 2012; Maréchal, 2012; Pollet, 2001; Russel et al., 2009). Actuellement, cet axe de travail est bien admis et représenté, son intérêt ne faisant aucun doute. Buzzi, Grimes et Rolls (2012) militent pour une appropriation de l’aide à l’écriture par les enseignants des disciplines afin d’optimiser l’implication de l’étudiant dans son cursus et de favoriser les échanges entre enseignants. Delcambre et Lahanier-Reuter (2012) signalent toutefois que, lorsque cette aide est disséminée au sein des activités propres à la discipline, les étudiants n’en perçoivent pas toujours la réalité et n’en retirent pas tout le bénéfice possible. Enfin, le risque existe d’une focalisation sur les spécificités des écrits de la discipline, pouvant même être perçus par les étudiants comme des règles de bonne conduite et donc de bonne notation, avec les risques corolaires que sont le formatage intellectuel (Crahay, 2012; Russel et al., 2009) et le manque de recul ou de conscience réflexive.

L’approche transversale, visant un enseignement plutôt généraliste de l’écriture universitaire, est souvent remise en question actuellement, notamment du fait qu’il n’existe pas d’écrit universitaire académique type et qu’un enseignement généraliste de l’écriture universitaire, tel que proposé en First Year Composition (FYC) par exemple, manque par conséquent son but, voire place l’étudiant dans l’illusion de posséder des savoir-faire pseudo-universels (Ochsner et Fowler, 2004; Wardle, 2009). De plus, le transfert des compétences acquises n’est guère évident (Donahue, 2007; Moore, 2012; Ochsner et Fowler, 2004) : « Pour l’étudiant, les pratiques génériques dans les disciplines, liées aux savoirs disciplinaires, sont relativement claires, alors que le savoir et le savoir-faire généralisés propres aux cours de la première année le sont beaucoup moins » (Donahue, 2007, p. 89). Mais cela n’exclut pas leur réalité, ni la valeur transversale de l’écriture (Ibid.).

1.3.2. Une conscience réflexive de l’écriture

Une approche transversale garde d’ailleurs son intérêt et un certain nombre de chercheurs continuent de l’explorer ou d’y avoir recours, en tâchant de la renouveler. Un des principes avancés pour cela est précisément celui évoqué dans la partie précédente: chercher à éveiller une conscience plutôt qu’à transmettre des compétences. C’est par exemple ce que préconise Beaufort (2007) ou encore Russel

et al. (2009), se référant à Devitt (2004), pour qui, par exemple, « teaching genre

awareness, rather than particular skills, will facilitate transfer » (p. 409). Ce que soulignent de nombreux chercheurs, quel que soit le type de dispositif, c’est l’importance des « retours », retours de l’enseignant sur l’écrit produit, mais aussi échanges entre pairs et retour réflexif − plus ou moins guidé − des étudiants eux- mêmes sur leur propre travail (Fischer et Frey, 2011; McLeod et Maimon, 2000; Somerville et Creme, 2005; Vardi, 2009). Pour d’autres chercheurs, c’est même une clé de la réussite d’un dispositif, qu’il soit disciplinaire ou transversal (Purser, 2011). Dans le même ordre d’idées, Escorcia et Fenouillet établissent que « la métacognition, conçue comme un ensemble de métaconnaissances et de stratégies de régulation nécessaires au contrôle de la production d’écrits, a un rapport positif

significatif avec les performances en écriture » (2011, p. 68). Cette stratégie de retours sollicite la capacité de l’étudiant à observer ses processus d’écriture, ses manières propres de penser l’écriture, de la mettre en œuvre. Cela sollicite également chez l’étudiant une aptitude à observer ses choix dans l’élaboration de son écrit, dans ses stratégies de rédaction, de pouvoir justifier ou moduler ces dernières en fonction du but recherché, du contexte (pouvant, par exemple, s’appuyer sur des bases procédurales, métalinguistiques ou métadiscursives pour saisir les caractéristiques des genres ayant cours dans sa discipline et de se situer vis-à-vis d’elles). Ochsner et Fowler (2004), remettant en question le Writing to Learn, estiment même que c’est cette dynamique d’échanges et de retours qui porte une dimension d’apprentissage, et non l’écriture prise isolément.

Toutefois, cela implique de consacrer du temps à ces échanges et à ces retours réflexifs; malgré toute sa pertinence, la proposition de Buzzi, Grimes et Rolls (2012) d’inclure l’aide à l’écriture entièrement dans les disciplines risque fort, d’une part, de placer les enseignants face à un défi chronométrique, si ce travail doit être fait en sus de la transmission des savoirs disciplinaires, et, d’autre part, de placer les étudiants face à une répétition de pratiques d’écriture et d’analyse, avec des objectifs généraux similaires sur l’ensemble de leurs disciplines.

Pour matérialiser cette visée d’une réflexivité sur l’écrit, certains chercheurs estiment que l’enseignement − ou l’accompagnement − de l’écriture universitaire doit épouser les stratégies du linguiste. Ainsi, Rinck estime que « travailler cette conscience réflexive revient à placer les étudiants ou tout locuteur en position d’interroger la langue, à la manière du linguiste » (2012, p. 87). Wardle, suggère de remplacer l’illusoire objectif de Learning to write, par celui de Learning about

writing, plus réaliste et permettant à des spécialistes de l’écrit de transmettre à des

étudiants débutants non pas une manière d’écrire, mais leurs connaissances de spécialistes et leurs compétences « à propos » de la langue et du discours:

In such a course, the subject (as Wendy Bishop put it) is always writing: how people use writing, how people learn to write, how genres mediate work in society, how "discourse communities" affect language use, how writing changes across the disciplines, and so on. (Wardle, 2009, p. 784)

Pour cette chercheuse, la nature même du contenu enseigné implique presque de facto pour les étudiants une réflexion sur leurs propres pratiques d’écriture et sur celles à l’œuvre dans le champ académique; selon elle : « writing research as course content lends itself to self-reflection, abstraction of general principles about writing (potentially academic writing specifically), and mindfulness about writing practices » (Ibid., p. 785).

Plusieurs chercheurs insistent enfin sur la nécessaire variété des écrits demandés aux étudiants, ce que n’envisageait pas le traditionnel freshman essay en FYC. Certains préconisent une ouverture à des écrits non académiques, à davantage d’expression personnelle (McLeod et Maimon, 2000; Russel et al., 2009), comme une façon aussi de résister au formatage intellectuel. Ainsi, Somerville et Creme (2005), au sein d’un dispositif visant à rendre les étudiants davantage conscients (aware) de leur écriture et à mieux utiliser l’écriture comme outil d’apprentissage, estiment que l’écriture libre (freewriting) s’est avérée particulièrement intéressante et influençait favorablement les écrits académiques, point de vue partagé par Elbow (1998, cité par Russel et al., 2009) et par Penloup (2008). Les travaux de Lafont- Terranova (2008, 2009, 2013, 2014a; Lafont-Teranova et Niwese, 2012, 2016a, 2016b) vont également dans ce sens. Dans cet ordre d’idées, la tenue d’un journal de formation, la réalisation d’un porte-folio (Lafont-Terranova, 2014a; McLeod et Maimon, 2000; Vanhulle, 2002), l’ouverture au monde extérieur à travers des thèmes de société, du travail d’enquête, ou encore la dynamique de projet (Purser, 2011) sont avancées comme des pratiques utiles pour l’écriture des étudiants. Toutefois, un journal académique, guidé par des questions disciplinaires semble produire de meilleurs résultats aux examens qu’un journal personnel libre (Russel et al., 2009). Bisenius-Penin (2013) préconise elle aussi le recours à des écritures distinctes, à des

contraintes favorisant la pensée divergente et à la tenue d’un journal d’écriture, afin, là encore, de favoriser une posture méta-réflexive.

À l’issue de la première partie de ce mouvement d’approche théorique, je vois se préciser les visées qui peuvent présider à l’élaboration de mon dispositif d’aide à l’écriture. Le dispositif en lui-même s’inscrit d’abord dans un contexte précis. En ce sens l’enjeu de l’inscription disciplinaire se pose autant dans la pratique que dans les axes théoriques qui vont encadrer l’intervention, et j’envisage effectivement de tenir compte des spécificités des écrits que les étudiants à la maitrise en étude des pratiques psychosociales auront à produire. Toutefois, les auteurs que je viens d’aborder me conduisent à privilégier certaines options. Je souhaite ainsi favoriser une réflexivité de l’écriture chez les étudiants, celle-ci contribuant à renouveler les dimensions conceptuelle et praxéologique de l’écriture. Mais, comme le soulignait Jodelet (1994), si une représentation sociale est représentation d’un objet, elle est tout autant représentation du sujet qui la porte. Pour ces raisons et aussi pour varier les modes d’apprentissage (Ochsner et Fowler, 2009), je me suis penché sur l’intérêt d’impliquer le rapport à soi dans un projet d’aide à l’écriture. Cette démarche m’a incité à argumenter mon choix à partir de la notion d’identité, notion qui établit des liens entre écriture et perception de soi. Je vais maintenant montrer comment se tissent ces liens.