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Une production peu transformée pour les marchés urbains

Première partie : Caractérisation spatiale et temporelle de l’offre vivrière du Nord-Cameroun

Chapitre 1 : L’offre vivrière locale et ses contraintes La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du La gestion des disponibilités alimentaires a toujours rythmé la vie des populations du

1.1. Caractérisation spatiale de la production et disponibilités régionales

1.1.2. Une production peu transformée pour les marchés urbains

La production acheminée vers les villes fait encore l’objet d’un faible niveau de transformation presqu’essentiellement assurée artisanalement malgré le développement des entreprises agro-alimentaires à partir des années 1990. Cerdan et al. (2003) en ont établi trois catégories : micro-entreprise, petite entreprise et PME. Il s’agit cependant d’un ensemble assez diversifié dont les capacités d’émergence, de croissance et de développement sont déterminées par l’économie dans laquelle elles évoluent. C’est un secteur caractérisé par une certaine instabilité des acteurs. Un recensement fait par Ferre et al. en 1999 (in Cerdan et al., Op. Cit.) indiquait pour la seule ville de Garoua 1 642 activités agro-alimentaires réparties dans six secteurs (tableau 3). Les céréales, bases stratégiques dans la sécurité alimentaire représentent 26 % des activités. On note par contre le peu d’intérêt pour les racines et tubercules, ce qui indiquerait leur faible place dans l’alimentation urbaine.

Tableau 3 : Recensement des principales activités agro-alimentaires à Garoua (1999)

Boissons Céréales Restauration Arachide/

oléagineux Viande Autres Total

Effectif 474 425 350 229 129 35 1642

Pourcentage 29 26 21 14 8 2 100

Source : Cerdan et al. (2003)

Pour comprendre les difficultés fonctionnelles des sous filières spécifiques qui constituent la base alimentaire, le processus de transformation de trois produits a été analysé : le maïs, le riz et le manioc.

1.1.2.1. La demande en farine de maïs : un marché non satisfait

L’importance du maïs dans la production céréalière s’est accompagnée comme on le verra plus loin d’un accroissement du niveau de sa consommation urbaine majoritairement sous forme de couscous (ou « boule » de farine cuite à l’eau). La mouture des grains de maïs est aussitôt apparue dans les années 1990 comme une contrainte majeure à la consommation pour les ménages (Abraao, 1994) qui interpellait la recherche. La mise au point des moulins à marteau pour le décorticage et le broyage du maïs dans le cadre du Projet Garoua (1988-1996)23, a permis d’apporter une réponse à la demande des consommateurs en termes

23 Financé par l’Etat camerounais, le Fonds d’Aide et de Coopération et la Caisse Française de Développement, le Projet Garoua, programme bilatéral entre le Cameroun et la France débuta en 1988 et s’acheva en 1996 au Nord-Cameroun. Il couvrait la zone soudano-sahélienne.

d’équipements. Cependant le développement des unités de transformation dans les villes a essentiellement été l’action du secteur privé.

On rencontre deux types de farine de maïs sur les marchés urbains du Nord-Cameroun : celle produite par les Maïseries du Nord-Cameroun (MAÏSCAM)24 ; et celle obtenue par le processus de transformation artisanale assurée par les femmes. Nos enquêtes de consommation ont montré que la farine industrielle est peu connue des consommateurs de Garoua (10 % des ménages enquêtés) et pas du tout de ceux de Maroua contrairement à Ngaoundéré (65 %). Malgré la proportion relativement élevée à Ngaoundéré, moins de 35 % en consomment régulièrement pour davantage préparer de la bouillie que du couscous. Trois raisons sont évoquées par les ménages pour justifier le peu d’intérêt pour ce type de farine : sa faible valeur nutritive, le grain ayant été débarrassé du germe pour la production de l’huile de maïs et/ou de grizt destiné à la fermentation de la bière ; sa faible consistance (elle est vite digérée d’où l’utilisation prioritaire pour la préparation de la bouillie) ; l’odeur peu appréciée.

Le recours au meunier reste la première solution adoptée pour la mouture des grains, suivi de l’achat de farine de transformation artisanale vendue au détail qui concerne 40 % de ménages en moyenne à Garoua et Maroua, bien que l’offre en quantité ne satisfasse pas toujours la demande. Selon les enquêtés le recours au meunier présente deux contraintes : le temps d’attente et les coûts jugés élevés. Un diagnostic mené auprès de 20 meuniers25

dans la ville de Garoua (Kouebou, 2008) a révélé que les coûts élevés des prestations s’expliquent par l’importance des charges de fonctionnement (énergie électrique ou produits hydrocarbures, services de maintenance, rémunération du meunier, aménagement du local…). La vétusté de nombreux équipements participe également à l’augmentation des charges énergétiques. Installés pour la plupart depuis une dizaine d’années, l’état des moulins oblige quelquefois les meuniers à effectuer une double mouture pour réduire la granulométrie des farines de maïs, entraînant des surcoûts de consommation d’énergie, et occasionnant également de longues files d’attentes devant les meuniers. On assiste tout de même depuis deux ans à un

24 C’est au début des années 80 qu’un grand notable musulman de Ngaoundéré, profitant de l’échec de la SODEBLE, décide de se lancer dans la culture industrielle du soja, du tournesol et surtout du maïs. Il crée la société MAISCAM. Son objectif est d’approvisionner les villes en huile végétale, en farine de maïs et de fournir la matière première aux brasseries et aux troupeaux qui commencent à consommer des aliments de complément. La société MAISCAM est aujourd’hui un grand complexe agro-industriel, au capital de 3,25 milliards de F CFA (5 803 571 euros) implanté à 30 km au Nord de Ngaoundéré, au lieu-dit Borongo (Tchotsoua, 2006).

25 Ce diagnostic a été réalisé dans le cadre des activités du Programme 3.3 du Projet PRASAC/ARDESAC auquel nous avons participé de 2006 à 2009.

renouvellement des équipements particulièrement dans les marchés officiels les plus fréquentés pour répondre à la demande. Malgré ces efforts il y a un besoin d’accroissement de l’offre de service qui pourrait se faire soit par un encadrement des acteurs de la transformation artisanale, soit par des mesures incitatives à l’égard des promoteurs des moulins.

1.1.2.2. Le décorticage du paddy : échec d’une sous filière stratégique dans l’alimentation urbaine

Le décorticage du paddy est un aspect essentiel du développement de la filière riz au Cameroun en général et dans le nord en particulier depuis les années 1970. Le décorticage et l’usinage du paddy fourni par la paysannerie devaient permettre d’approvisionner les marchés urbains régionaux mais surtout ceux du Sud-Cameroun dont les perspectives de croissance étaient très tôt perceptibles. L’offre en riz usiné de la SEMRY (32 700 tonnes en 1989) se trouve rapidement insuffisante pour satisfaire la demande nationale dans l’ensemble estimée à 146 990 tonnes. Outre son coût de revient relativement plus élevé par rapport au riz importé, sa qualité est peu appréciée des consommateurs urbains. Le riz local est davantage sollicité sur les marchés urbains du Nord-Cameroun comme substitut du mil/sorgho lorsque les prix sont plus attractifs, que pour être consommé sous forme de grain (Engola Oyep, 1991) La transformation de la production demeure de ce fait une préoccupation ancienne.

L’arrêt de l’usinage du paddy par la SEMRY en 1987 a davantage contribué à paralyser cette sous filière. Les activités de décorticage ont été transférées à une paysannerie peu outillée et surtout peu préparée à la tâche. Cette situation a eu pour conséquence la prolifération de petites unités de décorticage dans les zones de production et de plus en plus dans les villes (Yagoua, Maroua, Garoua). Dans les zones rurales, cette prolifération a particulièrement bénéficié des appuis institutionnels existants [programmes et projets étatiques (PNVRA, PREPAFEN, PNUD…), et structures d’appuis privées et ONG internationales (PAAR-GTZ, CDD)]. Dans les zones urbaines, l’on a surtout observé des initiatives personnelles portées sur des opportunités de marché liées à la proximité d’un bassin de production (le cas des périmètres rizicoles de Lagdo proches de Garoua).

Du point de vue de la performance, les équipements existants (photo 1) fournissent encore des résultats peu satisfaisants tant en termes de quantité de riz obtenue que de sa qualité. Le temps de décorticage reste important (30 minutes en moyenne pour un sac de 100 kg de paddy), l’activité mobilise une main-d’œuvre importante à rémunérer à l’échelle d’une petite unité artisanale de transformation (4 à 6 personnes pour assurer l’ensemble des

opérations de décorticage, de conditionnement et de stockage), la qualité obtenue reste peu compétitive sur les marchés urbains en raison d’un taux élevé de brisures (près de 30 % par sac). Le riz local est un produit peu présent sur les marchés urbains dominés par le riz importé.

Photo 1 : Unité artisanale de décorticage de paddy à Maga

Cliché : Fofiri Nzossié, février 2009

Quelques initiatives privées commencent cependant à se mettre en place en vue d’améliorer la transformation de la production. Elles sont organisées autour de la Fédération des riziculteurs de Yagoua répartie en quatre unions de planteurs. La Société Camerounaise de Producteurs de Riz (SCPR) née de cette Fédération et implantée à Yagoua assure le décorticage de 600 sacs de 100 kg de paddy par semaine, pour un rendement d’environ 500 sacs de 50 kg de riz blanc. De nouvelles formes d’appuis institutionnels sont entrain de se mettre en place à travers la coopération Sino-Camerounaise et Nipo-Camerounaise pour la relance de la filière riz au Cameroun. Elles pourraient être porteuses d’espoir pour l’amélioration de la sous filière transformation au Nord-Cameroun. Conquérir les marchés urbains reste dans tous les cas un défi majeur à relever par la filière rizicole locale.

1.1.2.3. La transformation des tubercules de manioc : un processus artisanal

La production de manioc (manihot esculenta crantz) dans le nord du Cameroun est passée de 90 000 t en 2001 à 160 000 t en 2007 (MINADER, 2009). L’excédent commercialisable est acheminé vers les villes sous forme de racine, de cossettes ou de farine. Les procédés de transformation du manioc sont restés largement artisanaux et ne permettent pas aux acteurs de répondre efficacement aux attentes de qualité formulées par les consommateurs en termes de couleur, d’odeur et de goût principalement.

La transformation artisanale du manioc en farine pour la préparation du foufou suit cinq étapes :

- Le trempage : il s’effectue encore à près de 80 % dans des rivières à proximité des parcelles et dans des fûts et/ou bacs métalliques pour la proportion restante. Dans le premier cas, des micro barrages de retenue d’eau sont construits sur des sections du cours d’eau pour servir de bassin de trempage (photo 2). Les tubercules restent ainsi trempés pendant 3 à 5 jours selon le cas pour permettre leur détoxication et leur ramollissement. Dans le second cas, le récipient (fût ou bac) est généralement placé dans un coin de la cour, puis rempli d’eau. Deux contraintes sont identifiées dans ce cas. La première porte sur le besoin d’approvisionner le récipient à partir des points d’eau souvent éloignés des lieux d’habitation ; la deuxième réside dans l’obligation de transporter les tubercules de manioc du lieu de production au lieu d’habitation, ce qui constitue des charges supplémentaires, les tubercules étant constitués de 60 à 70 % de leur poids en eau. Pour réduire ces charges, l’épluchage peut alors se faire en champ. A ces deux contraintes s’ajoute une troisième d’ordre sanitaire en termes de qualité hygiénique de l’eau utilisée et des risques de contamination des produits par les résidus d’oxydation des récipients métalliques.

Photo 2 : Dispositif de détoxication/ramollissement du manioc dans une rivière à Vela-Mbaï (Adamaoua)

Cliché : Fofiri Nzossié, avril 2010

- L’épluchage : il se fait avant ou après trempage selon le moyen utilisé. Dans le cas de

la rivière, l’épluchage intervient au retrait du tubercule de l’eau, contrairement au trempage dans un récipient où l’épluchage se fait généralement en champ avant transport des tubercules pour la maison ;

- L’émiettage : il se fait au mortier après ramollissement des tubercules pour obtenir des

mottes qui après séchage, deviennent des cossettes ;

- Le séchage : il est essentiellement naturel et se fait par étalage au soleil sur une bâche, une natte, un tissu pagne ou sur le bitume dans des localités traversées par une voie bitumée. La durée de séchage varie entre 2 et 5 jours suivant les conditions météorologiques ;

- Le broyage des cossettes : la farine commercialisée au détail sur les marchés urbains est obtenue par broyage des mottes séchées au moyen de broyeuses électriques ou à moteur utilisant du fuel. Malgré la vulgarisation des équipements dans les zones rurales même les plus enclavées, les cossettes sont encore pilées dans un mortier pour l’obtention de la farine. Dans la plupart des cas les cossettes sont acheminées vers les villes et vendues en l’état.

Du point de vue de la qualité, le procédé artisanal de transformation présente des risques de dégradation des propriétés organoleptiques du produit final à chacune des étapes (Djouldé, 2005). La perte de couleur blanche des cossettes, l’acidité, l’élasticité, l’odeur de moisissure sont les principaux facteurs de qualité qui caractérisent aujourd’hui les cossettes

Barrages de retenue d’eau Bassin de trempage Tubercules de manioc Aire d’épluchage manuel après trempage

vendues sur les marchés. Le séchage naturel par étalage au soleil présente également les risques de contamination par des aérosols contenus dans l’air.

L’accroissement de la production n’a pas induit des changements de trajectoire dans les procédés de transformation et ce malgré le dispositif institutionnel d’accompagnement existant. Le système national de recherche agricole camerounais (SNRA) a fourni de nombreux acquis potentiellement valorisables pour l’amélioration du procédé de transformation des tubercules et de la qualité des cossettes. Ces acquis sont pour l’essentiel portés par la recherche universitaire soutenue par des institutions et organismes internationaux. Les travaux menés visent l’amélioration des propriétés organoleptiques des dérivés du manioc. Trois axes de recherche sont particulièrement abordés :

- l’étude de la qualité des produits en relation avec la diversité variétale et les conditions de conservation et de transformation (Etoa et al., 1988 ; Klang et Ndjouenkeu, 2006 ; Tatsinkou et al., 2006) ;

- le développement des procédés de maîtrise de l’étape de fermentation, notamment de manioc amer de variété TMS 3001 dominant dans la région pour un meilleur contrôle du rouissage (Djoulde et al., 2003 ; Djouldé, 2005) ;

- l’amélioration des techniques de séchage des cossettes par le développement des séchoirs solaires (Ahouanou et al., 2000; Kapseu et al., 2005), et des appareils de broyage des cossettes.

Le rôle des pouvoirs publics dans la diffusion des innovations techniques est aujourd’hui avéré dans le domaine de la transformation des tubercules de manioc, malgré le faible niveau d’adoption. Les interventions de l’Etat sont principalement orientées dans trois domaines :

 L’appui à la professionnalisation des équipementiers locaux à travers les micros crédits ;

 Le renforcement des capacités des acteurs ruraux de la transformation ;

 Les dons en équipements/infrastructures aux acteurs structurés en GIC/Associations.

Elles se font à travers le PNVRA et depuis 2004 spécifiquement par le PNDRT. C’est un outil spécifique qui a particulièrement œuvré à ce jour pour la diffusion des variétés améliorées et pour l’accroissement de la production de manioc dans le Nord-Cameroun. Les actions d’appui au développement de la transformation du manioc portent sur le financement des infrastructures (aires de séchage), les dons en équipements (bacs de trempage d’une

capacité de 200 litres, moulins secs et moulins à pâte) et la formation des bénéficiaires à l’utilisation et l’entretien des équipements. Tout comme pour le riz, la satisfaction de la demande en sous produits du manioc fait appel à des améliorations du procédé de transformation par les acteurs.