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Les déterminants économiques des choix alimentaires des ménages

Deuxième partie : Evolution de la demande alimentaire et fonctionnement des systèmes d’approvisionnement urbains

Chapitre 3 : La demande alimentaire urbaine

3.2. Les déterminants de la consommation alimentaire urbaine

3.2.2. Les déterminants économiques des choix alimentaires des ménages

Entre février et mars 2008 plusieurs villes camerounaises comme celles d’autres pays africains ont connu des manifestations sociales contre la vie chère, qualifiées par les média d’émeutes contre la faim. La hausse des prix de 20 % à 140 % a touché autant les produits d’importation (riz, farine de froment, sucre, huile de palme, poulet congélé…) que les produits locaux (maïs, manioc, macabo, plantain) (Jeune Afrique, n°246179). Cette crise née d’une revendication des transporteurs face à la hausse du prix du carburant à la pompe80

, a

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Jeune Afrique N° 2461 du 9 au 15 mars 2008.

80 Les facilités d’approvisionnement en carburant en provenance du Nigeria épargnent encore le Nord-Cameroun des effets de la hausse du prix du carburant à la pompe. Près de 70 % du transport régional fonctionne à partir des produits hydrocarbures commercialisés en bordure de route et dont les prix sont inférieurs d’au moins 30 % de ceux pratiqués à la pompe.

particulièrement été violente dans le Sud-Cameroun (Yaoundé, Douala, Nkongsamba, Bafoussam…). Malgré la hausse similaire, voire plus importante des prix des denrées de base dans les villes du Nord-Cameroun, aucun mouvement d’humeur n’a été observé. Loin de traduire la capacité des urbains nord-camerounais à mieux s’adapter aux difficultés socio-économiques, l’hypothèse la plus probable se trouve dans la manipulation politique de la revendication.

L’analyse de la cartographie des manifestations à l’échelle du Cameroun montre qu’elles se sont concentrées dans les « points chauds » de l’opposition camerounaise. Si des rumeurs faisant état de préparation des manifestations n’ont pas manqué dans le nord, elles ont vite été circonscrites et étouffées par la classe politique de la région acquise à la cause du parti au pouvoir (le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais) qui bénéficie du soutien du principal parti d’opposition (l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès). Par ailleurs si cette justification est vraie dans la pratique, elle demeure tout de même scientifiquement fragile pour expliquer ce qui pourrait être perçu comme une résilience des populations face à la flambée des prix.

D’un point de vue agricole et économique les mois de février et mars à Garoua et Maroua particulièrement se situent dans une période de récolte de mouskwaari et de patate douce de saison sèche. Ces produits locaux sont alors relativement disponibles sur les marchés et leurs prix abordables. En outre, le maïs récolté dans le grand bassin de production du Nord entre septembre et novembre affiche encore des prix accessibles au mois de mars. Cette relative disponibilité des produits locaux malgré diverses sollicitations transfrontalières et extra régionales ont sans doute contribué à atténuer l’ampleur de la flambée des prix qui a surtout porté sur les bases amylacées importées (riz, farine de froment) pour le cas du Nord-Cameroun. Contrairement à cette région, mars correspond dans le Sud-Cameroun au deuxième mois de semis des cultures de la première campagne agricole de l’année. C’est un mois de la période de soudure où les produits locaux de grande consommation (plantain, manioc, macabo, maïs) sont en faible disponibilité sur les marchés, situation accentuée par l’accroissement d’une demande gabonaise et équato-guinéenne solvable, ce qui amène les populations à consommer davantage les produits importés dont le riz.

Les indicateurs macro-économiques montrent que les villes africaines courent en 2010 et 2011 de nouveaux risques d’une crise alimentaire, particulièrement dans un contexte d’amplificiation de la pauvreté. Se nourrir est devenu une vraie gageure pour les ménages

urbains autant dans les grandes villes que les villes moyennes. Malgré les mesures gouvernementales prises depuis 2008 au Cameroun pour atténuer les effets de la hausse des prix sur les marchés (suspension ou réduction des droits et taxes de douanes à l’importation, signature des protocoles d’accord avec les opérateurs des différentes filières alimentaires, subvention de certaines filières…), les consommateurs urbains continuent de subir la hausse des prix des denrées de base. En mars 2009, un bilan annuel des mesures gouvernementales contre la flambée des prix a montré l’aggravation de la situation, notamment pour la grande majorité des ménages à revenu moyen et faible.

L’ECAM 3 réalisée en 2007 a révélé que la dynamique de réduction de la pauvreté enregistrée à la fin de la décennie 1990 avec une baisse du taux de pauvreté monétaire de 53,3 % à 40,2 % entre 1996 et 2001, ne s’est pas poursuivie jusqu’en 2007. Ce taux est resté relativement stable à 39,9 % en décalage de l’objectif de 37 % retenu par le Gouvernement dans le Document de Stratégie de Réduction de la pauvreté –DSRP- (INS, 2008b).

Le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté de 269 443 FCFA81 par équivalent adulte et par an est en augmentation ces dernières années. En dépit du constat d’une nette amélioration de la situation des populations urbaines par rapport à celles des campagnes, de profondes disparités sont observées d’une région à une autre, et au sein d’une même ville. Trois groupes sont identifiés :

- Le premier groupe est constitué des provinces et villes ayant enregistré une forte baisse du taux de pauvreté (Ouest, Yaoundé, Centre hors Yaoundé, Sud-Ouest) ; - Le deuxième groupe est celui des provinces et villes où la pauvreté recule

modérément (Douala, Littoral hors Douala, le Sud et le Nord-Ouest) ;

- Le troisième groupe est celui où l’incidence de la pauvreté a augmenté (provinces du Nord, de l’Extrême-Nord, de l’Est et de l’Adamaoua).

3.2.2.1. Des ménages dans l’incertitude du futur

Pour comprendre dans quelles conditions les ménages s’approvisionnent dans un contexte d’amplification de la pauvreté, nous avons analysé leur pouvoir d’achat à partir des catégories socioprofessionnelles et du revenu. Nous retenons la définition du pouvoir d’achat

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d’un ménage considéré comme étant la capacité d’achat que lui permet l’intégralité de ses revenus (INSEE82).

L’enquête sur l’emploi et le secteur informel (EESI) réalisée par l’INS en 2005 a permis de recenser les secteurs d’activités et les catégories socioprofessionnelles (CSP) dans les zones urbaines du nord. Elle met en évidence l’importance des emplois indépendants qui absorbent plus de 40 % des actifs occupés. Quant aux secteurs d’activités, ils s’organisent autour du secteur primaire, de l’industrie, du commerce et des services divers (figure 34).

Figure 34 : Actifs occupés en fonction des secteurs d’activités en zone urbaine du Nord-Cameroun (2005)

Bien que les données ci-dessus présentent la situation de l’emploi urbain à l’échelle de l’ensemble régional, elles servent de repère pour les grands centres que sont Ngaoundéré, Garoua et Maroua. En général les actifs occupés se recrutent particulièrement dans les secteurs de l’industrie et des services non commerciaux. On n’observe pas de disparités remarquables entre les trois régions administratives, preuve que les activités s’homogénéisent dans le Nord-Cameroun. D’un point de vue spécifique, le secteur industriel s’organise autour de l’agro-alimentaire, du textile, de la pharmacie vétérinaire. Quant aux services hors commerce, ils portent sur un éventail de prestations allant de l’ingénierie aux assurances, à l’hôtellerie, la restauration, la téléphonie mobile de rue (call box), la plomberie, la menuiserie… Le commerce quant à lui recrute de nombreux actifs non qualifiés qui

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contribuent au grossissement des effectifs des travailleurs indépendants (tableau 16 ; figure 35).

Il faut cependant noter la contribution non négligeable des manutentionnaires recrutés pour les travaux du pipe-line Tchad-Cameroun achevés en 2006 dans le Nord-Cameroun, au secteur des services (hors commerce) lors de l’enquête EESI. La reconversion de cette importante main-d’œuvre a sans doute grossi le nombre d’acteurs du commerce à ce jour. Le secteur primaire bien que faiblement représenté (en moyenne 10 %), concerne surtout l’agriculture. Il marque la présence de cette activité dans les villes, soit à travers ses acteurs qui y résident et exercent dans les campagnes proches, soit par la pratique de l’agriculture urbaine qui a désormais droit de cité. L’agriculture, qu’elle soit pratiquée dans l’espace urbain ou rural proche constitue une source de revenu monétaire non négligeable pour les femmes au foyer, renforçant le revenu global des ménages d’une part, et participant à son approvisionnement alimentaire d’autre part.

Tableau 16 : Actifs occupés suivant les CSP en zone urbaine du Nord-Cameroun (2005)

Catégorie socioprofessionnelle Proportion d'actifs occupés (%) Nord Extrême-Nord Adamaoua

Cadre supérieur, ingénieur et assimilé 6 6 4

Cadre moyen, agent de maîtrise 3 10 6

Employé/ouvrier qualifié 13 10 17

Employé/ouvrier semi qualifié 15 8 12

Manœuvre 12 7 7

Employeur 7 5 12

Travailleur compte propre 44 54 42

Total 100 100 100

Figure 35 : Actifs occupés suivant les CSP en zone urbaine du Nord-Cameroun (2005)

A l’échelle nationale le secteur informel emploie 90,4 % des actifs occupés (dont 55,2 % dans le secteur agricole. Il fournit le plus d’opportunités d’insertion économique, malgré la précarité des conditions de travail. Il est suivi du secteur public (4,9 %) et du privé formel (4,7 %) (INS-EESI, 2005). On estime que 75 % de la main-d'œuvre urbaine travailleraient dans le secteur informel (secteur du travail non déclaré et donc en principe à faibles revenus), et 6 ménages sur 10 tireraient au moins une partie de leurs revenus de ce secteur informel.

Dans les villes du Nord-Cameroun, ce secteur regroupe divers types de petits métiers qui font vivre de nombreuses familles : moto-taxi, vente des produits hydrocarbures frelatés, vente d’eau, vente de médicaments de rue, réparations diverses, pousseur, services domestiques, petit commerce de détail… Des études (Médiébou Chindji, 2004 ; Ossoko, 2004) ont montré que leurs acteurs se recrutent surtout parmi les migrants ruraux. La baisse drastique des salaires de 70 % des agents du secteur public camerounais en 1993-1994, la déflation de la fonction publique, la hausse du chômage des jeunes diplômés ont contribué à grossir les effectifs de ce secteur qui, pour certaines institutions (BM, PNUD), joue de plus en plus un rôle vital dans l’économie des pays en développement. Dans la décennie 1990, la Banque mondiale a fait du secteur informel une solution à tous les problèmes de développement, et plus particulièrement une solution au problème de la pauvreté. La mise en place du système de micro-crédits participe de cette politique à l’instar du Programme intégré

d’appui aux acteurs du secteur informel (PIASI) créé au sein du Ministère de l’Emploi et de la formation Professionnelle.

Les actions visant à structurer et à consolider le secteur informel dans la perspective d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages urbains impliquent plusieurs acteurs dans le Nord-Cameroun : ONG, CDD, Projets/Programmes étatiques. Un rapport présenté par le CDD de Maroua-Mokolo sur la vente d’eau à usage domestique dans la ville de Maroua a montré qu’un acteur gagne en moyenne 11 000 FCFA83

par mois, montant inférieur au SMIG qui est de 23 814 FCFA par mois84. Loin d’être un cas isolé la vente d’eau à Maroua reflète une situation généralisée à laquelle font face de nombreux chefs de ménages pratiquant le gardiennage, le transport des personnes par moto, la vente des médicaments de rue, le creusage de fosses pour latrines et des puits, la blanchisserie, la vente au détail des produits vivriers...

En nous référant à la structuration des tranches de revenus adoptée par l’INS pour ses enquêtes, nos résultats montrent que 77 % des ménages urbains au Nord-Cameroun ont un revenu mensuel moyen inférieur à 100 000 FCFA, avec une forte concentration (50 %) dans l’intervalle 70 000 – 100 000 FCFA et 27 % entre 20 000 et 50 000 FCFA (figure 36). Ce revenu provient pour la plupart de l’activité du chef de ménage de sexe masculin. Dans certains groupes ethniques les femmes participent peu aux charges du ménage.

Figure 36 : Distribution des niveaux de revenus moyens des ménages urbains au Nord-Cameroun

83 17 euros.

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